Dans l’ouest de la Birmanie, près de la frontière indienne, dans l’Etat Chin, le coup d’État a fait naître plusieurs groupes d’autodéfense. La région montagneuse, majoritairement baptiste, est la plus pauvre du pays. Ayant voté massivement pour la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD, le parti d’Aung San Suu Kyi) lors des élections de novembre 2020, l’Etat Chin était jusqu’alors un des plus pacifiques du pays. Mais à la suite du coup d’Etat de février 2021, les populations Chin ont pris les armes, formant aujourd’hui un des foyers les plus intenses de la résistance contre le régime militaire birman. Que ce soit au sud de l’État Chin, à Mindat, ou au Nord, à Kalay et Tedim, des forces d’autodéfense se sont organisées dès le mois de mars, armées le plus souvent de simples fusils de chasse. Ces citoyens armés ont formé la Chinland Defense Force, des groupes organisés par districts et séparés les uns des autres par des routes dangereuses et peu praticables. Cette force publique, alliée au nouveau gouvernement d’unité nationale clandestin, a réussi à se saisir de la ville de Mindat (20 000 habitants) en mars, forçant les soldats à quitter la ville. L’armée birmane, prise de court a même été forcée de signer un cessez-le-feu. Mais le 13 mai, les généraux ont déployé des troupes par hélicoptères et fait avancer les soldats derrière un « bouclier humain » qu’étaient forcés de former des civils, bloquant les tirs de la résistance. À ce jour, la majorité de la population a fui dans les villages alentour, et l’eau et l’électricité ont été coupées. Les affrontements se sont désormais étendus aux autres villes de la région telles que Hakka et Falam. Les résistants Chin sont toujours cachés dans les collines, armés de fusils de chasse et de reliques des guerres mondiales passées.
Aux origines de la révolte
Selon le Pasteur Cuang, dans la région de Kalay, le soulèvement de la population Chin s’explique par le développement économique permis ces 10 dernières années. « Le peuple Chin souffre sous le pouvoir des militaires depuis plus de 50 ans, depuis le coup d’Etat du général Ne Win en 1962. Malheureusement, les Chins sont les plus pauvres de toute la Birmanie. Notre denrée principale n’est pas le riz mais le maïs. Il nous faut plus de 4 heures juste pour cuisiner le plat de base [soupe blanche de maïs]. Lors des précédents coups d’Etats, nous étions avant tout occupés à survivre. Cette fois c’est différent », explique le septuagénaire. La croissance économique et surtout le développement de la téléphonie mobile et d’Internet permettent aujourd’hui une meilleure intégration des diasporas aux terres d’origine. « La quasi-totalité des familles Chins ont au moins un à deux enfants à l’étranger. Ils sont aux États-Unis, en Europe, à Singapour, etc. Maintenant les communications sont bien meilleures, nous pouvons communiquer et envoyer de l’argent. Tout ceci nous permet aujourd’hui de nous redresser et de nous battre pour notre liberté », ajoute-t-il concrètement. L’économie de la région dépend largement des versements de la diaspora. Depuis longtemps, les Églises locales aident les familles désireuses d’émigrer à l’étranger. Au-delà de ces nouvelles opportunités économiques, le pasteur ajoute que « l’éducation a également progressé au contact des missionnaires, et le développement des écoles fait qu’aujourd’hui les jeunes savent presque tous lire et écrire ». Les Chins sont particulièrement bien représentés parmi le personnel des ONG à Rangoun, grâce à l’enseignement de l’anglais dans les églises et séminaires.
Les ethnies chrétiennes en première ligne
À ce jour, la résistance armée birmane est menée principalement par les ethnies chrétiennes, les Kachins, Karens et Chins. Interrogé sur le lien entre christianisme et résistance, le pasteur écarte toute inspiration théologique, mais souligne que les chrétiens de Birmanie, en plus de l’oppression ethnique et politique, souffrent d’oppression religieuse. « Les Birmans bouddhistes nous envoient des moines missionnaires, ils construisent des pagodes dans nos villes. Mais lorsque nous envoyons nos missionnaires dans les plaines, ces derniers se retrouvent face à des montagnes de difficultés. Il est très difficile de construire des églises. » Le pasteur Syl, résident de la ville de Falam, confirme ces motifs : une gigantesque pagode a été construite dans cette ville à majorité chrétienne en 1992, provoquant à l’époque la colère des habitants.
Selon le pasteur Syl, le 21 mai, la situation sécuritaire se dégrade rapidement. Un groupe d’autodéfense a attaqué en embuscade un convoi de militaires, faisant six morts côté militaires, dont un capitaine, et une victime civile à Falam. « La population est terrifiée et craint les représailles. Rien que ce matin, des tirs ont été entendus dans la ville. De plus, nous venons d’apprendre que quatre cas de Covid-19 ont été détectés à l’hôpital de la ville. Enfin, les gens ont désormais peur de parler, et certains informent même les militaires. » Quelques jours plus tôt, les combats s’étaient déjà étendus à la capitale régionale de Hakka, où la résistance, le 18 mai, a piégé un convoi de militaire en tuant sept soldats et en en blessant une vingtaine.
Une crise humanitaire majeure est annoncée dans ces collines aux sols poussiéreux, dont l’économie dépend de l’envoi des jeunes femmes comme employées domestiques à l’étranger et du commerce entre la Chine et l’Inde – des flux largement réduits par la pandémie depuis plus d’un an. La résistance Chin, saluée par la jeunesse birmane à travers le pays, est aussi courageuse que tragique. Des dizaines de milliers de résidents de la ville de Mindat sont désormais réfugiés dans des villages déjà démunis. À Rangoun, la communauté Chin, dans sa majorité, n’a pas rouvert les églises malgré l’autorisation accordée par les généraux birmans en février 2021. Une commerçante influente en explique les raisons à ses invités : « Dans la Bible, Daniel refusa la nourriture et le vin des Babyloniens. Dans cet esprit, nous ne retournerons pas à l’église rouverte par l’armée. » Cependant, les prières résonnent entre les collines Chin, pleurant la mort des martyrs tués par les militaires et espérant surtout une aide providentielle.
(EDA / Salai Ming)
Crédit သူထွန်း / CC BY-SA 4.0