Eglises d'Asie

Le radicalisme des ouvriers bangladais à Singapour inquiète Dacca et l’Église bangladaise

Publié le 27/11/2020




Le 24 novembre, le ministère singapourien des Affaires intérieures a fait part de l’arrestation de 37 personnes, dont 15 ouvriers bangladais, accusées de radicalisme islamiste. Selon les autorités, ces personnes ont été arrêtées et déportées dans le cadre de mesures de sécurité renforcées à la suite des attaques terroristes récentes en France et en Autriche. Elles auraient participé à des activités radicales suspectes et publié des commentaires haineux sur les réseaux sociaux. Le père Anthony Sen, membre de la Commission Justice et Paix de la Conférence épiscopale bangladaise, a fait part de ses inquiétudes.

Une vue générale du quartier financier de Singapour en 2016.

Le père Anthony Sen, membre de la Commission Justice et Paix de la Conférence épiscopale bangladaise, a fait part de ses inquiétudes après l’arrestation d’un travailleur bangladais vivant à Singapour et accusé de terrorisme, et après la détention de quinze autres ouvriers bangladais à Singapour, accusés d’avoir publié des commentaires haineux sur les réseaux sociaux. En tout, 37 personnes – 14 Singapouriens et 23 étrangers – ont été détenues et interrogées à Singapour au cours des dernières semaines. Selon le ministère singapourien des Affaires intérieures (MHA), dans une déclaration publiée le 24 novembre, ces personnes ont été arrêtées dans le cadre de mesures de sécurité renforcées à la suite des attaques terroristes survenues récemment en France et en Autriche. Sur l’ensemble des détenus, 16 étrangers – dont 15 Bangladais et 1 Malaisien – ont été expulsés après un interrogatoire. Les autorités singapouriennes ont expliqué que les détenus arrêtés ont participé à des activités radicales suspectes et publié des commentaires sur les réseaux sociaux en incitant à la violence. La majorité d’entre eux ont soutenu la décapitation de l’enseignant Samuel Paty en France et les autres attaques terroristes islamistes récentes.

« Les autorités bangladaises doivent prendre cela au sérieux »

Les services d’immigration de l’aéroport international Shah Jalal de Dacca ont confirmé que les détenus bangladais, pour la plupart des ouvriers dans le secteur du bâtiment à Singapour, sont arrivés au Bangladesh dans la matinée du 25 novembre. Récemment, le 2 novembre, un autre ouvrier bangladais, Ahmed Faysal, âgé de 26 ans, a également été arrêté et emprisonné à Singapour dans le cadre de la loi sur la Sécurité interne, pour des activités liées au terrorisme. Ahmed Faysal, un musulman de l’est du Bangladesh, est arrivé à Singapour en 2017 où il a commencé à travailler dans le bâtiment. Sa radicalisation a commencé en 2018 sous l’influence de contenus islamistes en ligne soutenant l’État islamique. Il est accusé d’avoir projeté des actes de violence armée au nom de sa religion. Il a diffusé de la propagande pro-Daesh en anglais et en bengali, en évoquant l’oppression des musulmans à travers le monde et en encourageant les musulmans bangladais à prendre les armes. Il utilisait les réseaux sociaux sous une fausse identité. Il a également cherché à rejoindre l’État islamique en Syrie, et il a acheté plusieurs couteaux à Singapour dans l’intention de les ramener au Bangladesh pour organiser des attaques contre des policiers de la communauté hindoue. Les autorités bangladaises de lutte contre le terrorisme ont expliqué qu’elles avaient examiné les accusations portant contre Ahmed Faysal et contre 15 autres détenus déportés.

Le père Anthony Sen, de son côté, a confié que « l’arrestation et la déportation d’ouvriers accusés de pensées et d’actes radicaux ternissent l’image du Bangladesh dans le monde ». « Il est déjà arrivé la même chose à Singapour et dans d’autres pays, y compris en Inde et en Malaisie », a-t-il déploré. Ce n’est pas la première fois que des ouvriers bangladais sont accusés de radicalisme à Singapour. En 2016, la cité-État a expulsé 26 migrants bangladais proches d’un groupe islamiste accusé d’avoir diffusé les enseignements d’idéologues radicaux comme Anwar al-Awlaki, un islamiste américano-yéménite lié à al-Qaeda. Les migrants expulsés auraient projeté des activités terroristes au Bangladesh et dans d’autres pays. « C’est un problème particulièrement grave, et les autorités bangladaises doivent prendre cela au sérieux. Il est important que les services d’immigration et la police vérifient le parcours des ouvriers avant toute autorisation », a insisté le père Sen. « Le radicalisme est devenu un problème sérieux au Bangladesh ces derniers temps, et l’État et la société doivent être vigilants afin d’empêcher toute menace, que ce soit dans le pays ou à l’étranger. »

8 millions d’ouvriers migrants bangladais

Shakhawat Hossain, un analyste sur la Sécurité intérieure et un ancien brigadier général à la retraite, basé à Dacca, partage les inquiétudes du prêtre. « La radicalisation est un processus qui prend du temps, et si nous sommes attentifs, on peut l’empêcher en intervenant à temps. Le radicalisme des ouvriers migrants n’est pas un phénomène nouveau, et ces derniers événements nous permettent de prendre conscience qu’il y a toujours des défauts dans les processus de migration actuels – des défaillances qui doivent être réglées », souligne-t-il. Cependant les arrestations n’ont pas fait l’unanimité sur les réseaux sociaux et dans l’opinion bangladaise. « Nous sommes indignés alors que des personnes sont punies pour avoir exercé leur liberté d’expression », dit par exemple un commentaire en ligne. D’autres ont invité les ouvriers bangladais à éviter de réagir en publiant des commentaires sur les arrestations. « Évitez de publier des contenus radicaux sur les réseaux sociaux. Si vous perdez votre travail et que vous êtes déportés, vous devrez assumer votre responsabilité », a souligné un autre internaute, Tonmoy Ahmed. Le Bangladesh compte près de 8 millions d’ouvriers migrants, dont la plupart travaillent au Moyen-Orient. Ils représentent un revenu d’environ 15 milliards de dollars US par an, et apportent une contribution vitale à l’économie bangladaise.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

F. B.