Eglises d'Asie – Bangladesh
Le travail des enfants toujours d’actualité au Bangladesh
Publié le 21/11/2019
À 12 ans, Sojib Muhammad connaît par cœur le bazar de Kawran, l’un des plus grands marchés de Dacca, la capitale bangladaise. S’il s’y rend tous les jours, c’est pour gagner sa vie et non pour acheter. Il enchaîne les petits boulots, entre le balayage, la collecte de légumes invendus pour les vendre aux plus démunis à prix réduits, et le déchargement de légumes et autres produits depuis les camions. Actuellement, il est employé par un vendeur de poulets, qui le charge de laver les volailles et servir les clients. « J’ai un déjeuner gratuit et selon les ventes, je gagne entre cent et deux cents takas [entre 1,07 et 2,13 euros] par jour. J’en dépense une partie et je donne le reste à ma mère », explique Sojib, musulman. Pour lui, le temps qu’il passe au bazar le distrait de la tristesse de sa vie familiale. Il ne connaît par son père biologique, qui est parti à sa naissance. Sa mère s’est remariée et il un demi-frère et une demi-sœur. Leur père travaille au marché et gagne sa vie en déchargeant les camions. Sa famille vivait dans un bidonville du quartier, avant qu’ils soient chassés sur ordre du gouvernement, pour libérer le terrain pour un projet d’infrastructure. Aujourd’hui, ils vivent dans une tente de fortune installée près de la voie ferrée, au bazar de Kawran. Sojib et ses frères et sœurs ne vont pas à l’école, faute de moyens. « Je vois des enfants aller à l’école, et j’ai demandé à mes parents de m’y envoyer. Mais ils n’étaient pas intéressés, et je n’ai jamais été dans une salle de classe », regrette-t-il.
Son employeur actuel, Jamal Uddin, âgé de 40 ans, vend des poulets au marché. Il se dit attristé en voyant des enfants comme Sojib. Lui-même a deux enfants – un fils et une fille, qui ont presque le même âge que Sojib. Ils vivent avec leur mère dans un village du district de Mymensingh, dans le nord-est du pays. Leur père leur envoie de l’argent tous les mois, et ses deux enfants vont à l’école. Lui-même est illettré, mais il espère un meilleur avenir pour ses enfants. « Il y a beaucoup d’enfants, dans les bidonvilles et les rues de Dacca, qui pourrait s’ouvrir à d’autres perspectives d’avenir s’ils pouvaient être scolarisés. Sojib est un garçon intelligent, mais il restera probablement au marché toute sa vie », ajoute-t-il. Sabina Khatun, 10 ans, se rend elle aussi au bazar de Kawran tous les jours, pour aider sa mère à ramasser et laver des légumes abîmés, destinés à être vendus à bas prix. Son père est mort il y a plusieurs années. Son frère, âgé de 15 ans, travaille dans un véhicule de transport public comme assistant et ne vit pas avec la famille. « J’ai été à l’école jusqu’à 9 ans, mais ma mère ne pouvait pas continuer à payer mon éducation, donc j’ai arrêté d’aller à l’école », explique-t-elle. Sa mère, Laila Begum, ajoute que l’éducation est un luxe pour des familles pauvres comme la leur, qui se débrouille au quotidien pour survivre et se procurer deux repas par jour. « Le coût de la vie augmente de jour en jour. Après avoir payé les dépenses courantes, il n’y a plus rien, donc c’est impossible de la renvoyer à l’école. »
Déscolarisation et travail des mineurs
Le Bangladesh compte plusieurs millions d’enfants comme Sojib et Sabina, alors que près d’un quart des 160 millions d’habitants du pays vivent sous le seuil de pauvreté. Selon l’Unicef, les enfants représentent environ 40 % de la population bangladaise, et près de 2,2 million d’entre eux sont déscolarisés. En 2016, une enquête nationale sur le travail des enfants, réalisée par le Bureau des statistiques (Bangladesh bureau of statistics), affirmait que le pays comptait 3,45 millions d’enfants travailleurs. Parmi eux, 1,2 millions d’enfants étaient employés dans des industries dangereuses comme les tanneries, les ateliers mécaniques, les entrepôts et le bâtiment. Selon les organisations de protection de l’enfance, en l’absence d’éducation et de surveillance, beaucoup d’enfants vivant dans la rue et dans les bidonvilles sont exposés au viol, au trafic de drogue, aux abus et aux violences. De son côté, le gouvernement assure que des mesures sont prises pour mieux protéger les droits des enfants, notamment par l’éducation. « Nous avons pris l’initiative de créer le département de protection de l’enfance [Child care and protection department] et une nouvelle loi nationale sur l’enfance est étudiée. Le gouvernement cherche également à développer davantage de centres d’accueil et d’hébergement », confie Naznin Islam, secrétaire adjoint du ministère des Affaires féminines et de l’enfance, qui explique que le gouvernement a effectué un recensement dans les régions urbaines comme Dacca. Elle ajoute qu’un projet de réhabilitation des bidonvilles vulnérables et des enfants des rues est également à l’étude : « L’amélioration des conditions des enfants, en assurant leur accès à l’éducation, est l’un des Objectifs de développement durable [adoptés par les Nations-Unies en 2015, à atteindre à l’horizon 2030]. Donc nous faisons tout ce que nous pouvons pour atteindre cet objectif à temps. »
De son côté, la Caritas bangladaise protège les droits des enfants grâce à six projets lancés à travers le pays, confie Ranjon Francis Rozario, directeur général adjoint de l’agence nationale. Caritas Bangladesh gère 550 écoles dans le pays, en se concentrant particulièrement sur les activités extrascolaires et l’éducation de la petite enfance. L’organisation a également ouvert des centres d’accueil et d’hébergement pour les enfants des rues, et elle dirige un projet pour les enfants handicapés. Ces dernières années, Caritas et le Bureau bangladais de l’enseignement catholique (Bangladesh catholic education board) ont travaillé ensemble à l’élaboration d’un projet national pour la protection et l’éducation de la petite enfance. « Nous faisons des efforts de notre côté et nous collaborons avec le gouvernement afin de protéger les enfants vulnérables et améliorer leurs conditions. Nous croyons que si les financements sont utilisés correctement dans les secteurs privés et publics, tous les enfants pourront être réintégrés socialement », assure Ranjon Francis Rozario.
(Avec Ucanews, Dacca)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews