Eglises d'Asie

Le vicariat apostolique de Phnom Penh face au Covid-19 : « Une porte s’ouvrirait-elle pour nous ? »

Publié le 16/05/2020




Après deux mois de confinement, le vicariat apostolique de Phnom Penh voit peut-être une porte de sortie après une annonce du Premier ministre Hun Sen. Ce dernier a déclaré, ce vendredi 15 mai, qu’il « n’est pas à l’ordre du jour de rouvrir les écoles, les clubs sportifs et les karaokés, ni les grands rassemblements religieux ». Selon Mgr Olivier Schmitthaeusler, vicaire apostolique de Phnom Penh, à part quelques communautés de Phnom Penh et le long du Mékong et du Bassac, les communautés catholiques locales sont modestes. « Une porte s’ouvrirait-elle pour nous ? » demande-t-il, en invitant à ne pas oublier la vie spirituelle dans les premières nécessités face à la crise.

Les fêtes du Nouvel An cambodgien ont été célébrées sans festivités en famille ou entre amis et sans visite à la Pagode, afin d’éviter des brassages de population en ce temps de pandémie. Alors que la circulation entre provinces a été à nouveau autorisée, nous espérions un assouplissement de l’interdiction des rassemblements religieux et une réouverture, au moins partielle, des écoles… Il n’en fut rien et jusqu’à aujourd’hui nous sommes toujours sous le coup de ces interdictions d’activités religieuses et de la fermeture des écoles, des casinos et des lieux de divertissements. Pourtant, la vie semble avoir repris : les marchés sont bondés de monde, les bouchons ont refait leur apparition, les restaurants retrouvent une clientèle cambodgienne, les constructions de routes sont reparties de plus belle… Mais ceci n’est qu’une illusion pour le visiteur d’un jour. Si aujourd’hui, parmi les 122 cas recensés de Covid-19, il ne reste plus qu’un seul cas officiellement hospitalisé, les effets néfastes sur le Cambodge et son économie fragile, sur sa population qui depuis une vingtaine d’années commençait à émerger de la pauvreté, commencent à se faire sentir cruellement.

Ainsi, 160 usines ont déjà fermé et une trentaine d’autres sont sur cette triste « liste d’attente », ce qui représenta plus de 100 000 ouvriers sans travail. À cela, il faut rajouter les 100 000 ouvriers cambodgiens revenus de Thaïlande début avril, et tous ceux qui sont toujours en Thaïlande sans travail aujourd’hui. Le tourisme a chuté de 99,5 % sur les sites prestigieux d’Angkor, ce secteur représentant 30 % de l’économie cambodgienne. Les entreprises de logistique qui n’ont plus de marchandises à livrer provenant d’usines étrangères de textiles de grandes marques, font faillite. Par ailleurs, les 71 institutions de microcrédit, qui font du Cambodge le pays le plus endetté par habitants (3 000 dollars US), ne récoltent plus de remboursements depuis deux mois.

Des mesures d’exemption de taxes ont été mises en place, et des aides sont versées aux ouvriers – 540 000 familles pauvres devraient toucher une indemnité d’environ 30 dollars US… Mais souvent, les mesures prennent du temps à être mises en place. D’autant plus que l’Union européenne, emportée dans sa gestion compliquée de la crise du Covid-19, trouve le temps de mettre le Cambodge sur sa liste noire pour le blanchiment d’argent ! C’est un très mauvais signal pour les investisseurs, et qui ne va certainement pas aider le Cambodge qui commence à se trouver en détresse économique, faute d’aides à coups de centaines de milliards d’euros ou de dollars comme on le voit aux États-Unis ou en Europe.

Une gestion prudente face à la crise sanitaire

Personne ne semble se pencher sur le Cambodge, qui a su gérer d’une manière prudente et intelligente la crise sanitaire. Ainsi, dès fin février, des mesures d’hygiène ont été diffusées par les médias. Le 16 mars, les écoles ont été fermées, et de même, le lendemain, les lieux de divertissements, les casinos, les activités religieuses et les frontières. Chaque cas déclaré a été suivi pour mettre en quarantaine tous ceux qui avaient été en contact avec les personnes infectées. Par ailleurs, les fêtes du Nouvel an ont été interdites. Pour contribuer à sauver l’économie, les ouvriers ont dû travailler durant ces jours habituellement chômés, qui seront récupérés quand la crise sera terminée. Aujourd’hui, malheureusement, les usines ferment faute de matières premières venant de l’étranger et de commandes (d’autant plus que l’Union européenne a également levé l’exemption de taxe « Tout sauf les armes » sur les produits cambodgiens).

La chaleur (entre 35 et 40 degrés depuis février), la lumière crue du soleil, la jeunesse de la population (60 % des Cambodgiens ont moins de 25 ans), l’hygiène plus rustique qu’en Europe (qui a certainement, au fil du temps, renforcé le système immunitaire naturel) expliquent certainement la très faible diffusion du Covid-19 au Cambodge. Ici, la dengue n’est attrapée que par les enfants, et extrêmement rarement par les adultes cambodgiens, alors que les étrangers adultes qui se font piquer par un moustique tigre sont contaminés immédiatement. La discipline de la population (port de masque, distanciation sociale) l’explique également, tout comme la structure de la vie sociale en village, où finalement, peu de personnes viennent de l’extérieur. De fait, je vis depuis deux mois à Chomkatieng, un petit village de quatre cents habitants qui forme une communauté de vie avec très peu de personnes de « l’extérieur ».

Dieu ne fait pas partie des premières nécessités

Cependant, face à la crainte d’une seconde vague et aux cas actifs dans la région (Thaïlande, Singapour), les écoles restent fermées et les activités religieuses suspendues. Pour l’Église catholique au Cambodge, très petite et très jeune, composée de tant de baptisés de la première génération, le danger est de s’installer dans une routine paresseuse où l’on se contente de quelques prières vite dites et de vivre au rythme de la société en oubliant Dieu… Il est intéressant de noter que dans le monde, qui s’est confiné en mettant plus de la moitié de la population mondiale à domicile, seules les activités de premières nécessités ont été permises : courses alimentaires, services de santé et travail indispensable au fonctionnement minimum de la société. Notre monde sécularisé s’est révélé s’il en était encore besoin : Dieu ne fait pas partie des premières nécessités. La vie spirituelle n’est pas vitale pour l’homme d’aujourd’hui. Benoît XVI en avait fait le point d’ancrage de son pontificat : l’absence de Dieu dans le monde, alors que l’homme est fait pour chercher Dieu (relisons le discours magistral du Saint-Père au Collège des Bernardins en 2008).

Les sociétés postmodernes, abruties par la quête de bénéfices et la course éhontée au « toujours plus », ont certes mis la vie en priorité, et le confinement en a été un signe fort : les intérêts économiques ont été mis de côté pour sauver des vies. Mais la vie spirituelle, qui a été malheureusement reléguée dans la sphère du privé, n’est-elle pas aussi vitale ? Comment expliquer que des aumôniers d’hôpitaux n’aient pas pu visiter des malades dans leur dernier voyage ? Risquaient-ils de se faire contaminer plus que les soignants du corps ? Les masques FPP2 ne protégeaient-ils que le personnel soignant et non les aumôniers ?

À la lumière des Actes des Apôtres

Le vicariat de Phnom Penh a été proactif dès le 19 mars : programme de messes et chapelets quotidiens en « live » sur les réseaux sociaux, réunions des prêtres et des bureaux diocésains par vidéoconférence… Mais rapidement après Pâques, il a été clair que ces moyens modernes n’étaient pas suffisants pour assurer la vie spirituelle de nos jeunes communautés et l’accompagnement des catéchumènes, qui sont pour la plupart à la campagne, parfois sans téléphone et sans réseau internet, certains ne sachant pas lire. Aussi, les trois dimanches après Pâques ont été pour moi l’occasion, au regard de mon expérience dans la communauté de Notre-Dame du Sourire, en milieu rural, de lancer des initiatives pour que le peuple de Dieu du vicariat de Phnom Penh puisse se nourrir de la Parole et du Pain Eucharistique. Quoi de plus propice que le Temps Pascal, qui nous replonge dans les Actes des Apôtres, dans la vie des premières communautés chrétiennes, pour puiser à la lumière de l’Esprit et développer des moyens en conformité avec les règles du gouvernement ?

En achevant ces lignes, une dépêche vient de tomber : le Premier ministre, lors du Conseil des ministres de ce vendredi 15 mai, a déclaré qu’il « n’est pas à l’ordre du jour de rouvrir les écoles, les clubs sportifs et les karaokés, ni les ‘grands rassemblements’ religieux pour le moment, au vu de la situation dans la région et dans le monde, afin d’assurer la meilleure santé au peuple cambodgien ». À part quelques communautés de la ville de Phnom Penh et le long du Mékong et du Bassac, nos communautés sont modestes… Une porte s’ouvrirait-elle pour nous ? Avant de conclure cette chronique, on peut souligner que ce long temps de deux mois a été révélateur de nombreuses choses… Un peu comme le bain argentique qui permettait de révéler ce qu’il y avait sur les négatifs des photos. Ainsi, surprise, on découvrait la netteté, les couleurs, les visages, les sourires et les larmes, le ciel bleu ou gris, la nature verte ou morose, et le flou du négatif se laissait traiter pour se dévoiler. Le Covid-19 a été un véritable bain argentique pour nous tous. Il est temps de passer par « le bain révélateur » de l’Esprit et de nous convertir un peu plus ! Que Dieu nous bénisse et nous garde !

(EDA / Mgr Olivier Schmitthaeusler)

Pour aller plus loin, lire ici une annexe de la chronique de Mgr Olivier Schmitthaeusler :

Premier Appel : Dimanche de la Divine Miséricorde : soyons proactifs dans la charité, inventive à l’infini ! (Extraits de l’homélie du dimanche 19 avril) ;

Deuxième Appel : 3e dimanche de Pâques : que des apôtres se lèvent ! (Extraits de l’homélie du 26 avril 2020) ;

Troisième appel : 4e dimanche de Pâques : les baptisés doivent pouvoir avoir accès à l’Eucharistie, Pain de Vie ! (Extraits de l’homélie du 10 mai).


CRÉDITS

Vicariat apostolique de Phnom Penh