Eglises d'Asie – Bangladesh
L’Église bangladaise au service du développement des minorités Dalits bangladaises
Publié le 07/07/2020
« Je suis fier d’être un Dalit », confie Atul Francis Sarker, un Dalit catholique et directeur de Caritas Bangladesh. Le parcours de ce Bangladais, originaire d’un groupe particulièrement marginalisé et victime de discriminations, jusqu’à atteindre la plus haute responsabilité de l’organisation sociale catholique dans le pays, témoigne d’une certaine détermination et d’une grande résilience de sa part. « Je le dois aux missionnaires et aux initiatives de développement de l’Église locale », explique Atul Sarker, 62 ans et père de deux enfants. Originaire de la paroisse catholique Saint-François Xavier de Baradal, dans le district de Satkhira (diocèse de Khulna), il vit aujourd’hui à Dacca, la capitale, et revient régulièrement dans son village, où la plupart des quelque 3 200 paroissiens sont des Dalits – exclus du système des castes hindoues et autrefois considérés comme « intouchables » par les autres hindous. Longtemps exclus de nombreux lieux publics (écoles, restaurants, marchés, temples…) et des rassemblements comme les mariages, ils subissent toujours de nombreuses discriminations. Atul Francis Sarker confie en avoir été victime durant son enfance. « Je me souviens que les gens refusaient de m’acheter du lait au marché. Une fois, comme j’avais touché par erreur un pot en terre cuite appartenant à une femme alors que je prenais de l’eau au bassin, ils l’ont cassé. J’ai été surpris, mais ce n’est qu’en grandissant que j’ai vraiment compris à quel point c’était humiliant », souligne cet ancien séminariste. Il ajoute que les missionnaires catholiques ont fortement contribué au développement des communautés Dalits, chrétiens et non chrétiens. « Ils ont défendu des valeurs sociales comme le fait d’accepter les gens comme ils sont, en s’opposant aux stigmatisations sociales. Ils ont mis l’accent sur l’éducation, le développement et l’autonomisation, et cela a changé la donne pour les Dalits. »
Développement et autonomisation
Shyamuyel Mondol, âgé de 26 ans, catholique et travailleur social, vient de la paroisse Marie Reine des Pauvres de Chuknagar, dans le district de Khulna, et qui compte environ 300 catholiques Dalits. Depuis la fin des années 1970, cette paroisse a été un point de départ pour l’apostolat des missionnaires xavériens (Société de saint François Xavier pour les missions étrangères) auprès des régions majoritairement Dalits de Satkhira, de Khulna et de Jessore. Shyamuyel Mondol affirme que les catholiques de la région sont devenus chrétiens par choix, notamment pour éviter les humiliations sociales et les discriminations. « Ils étaient convaincus qu’ils ne pouvaient pas être libres sans changer de religion. Avec le soutien de l’Église, beaucoup d’entre eux ont reçu une éducation et ont pu trouver des emplois plus qualifiés », ajoute Shyamuyel Mondol, dont la mère, une catholique, s’est mariée à un homme hindou qui s’est converti au christianisme. Malgré leur pauvreté, le couple a pu offrir une éducation à leurs sept enfants, avec l’aide de la paroisse. Shyamuyel est entré au séminaire afin de devenir missionnaire, mais il a finalement quitté la formation en 2018. Durant sa scolarité et ses études, il a acquis des compétences en anglais et en informatique qui lui ont été bien utiles par la suite. Aujourd’hui, il travaille auprès d’une organisation caritative qui accompagne les personnes handicapées. Il espère également fonder une ONG qui se concentre davantage sur la formation et l’autonomisation des personnes handicapées. « Ce que je suis aujourd’hui et ce que je peux devenir, cela n’aurait pas été possible sans la conversion de mes parents. Les valeurs chrétiennes ont changé nos vies profondément », assure-t-il.
L’histoire de Swapon Das, 57 ans, directeur d’une autre organisation locale engagée auprès des Dalits, dans le district de Satkhira, est légèrement différente. Swapon Das est devenu catholique en 1985, alors qu’il travaillait avec le père Pierluigi Lupi depuis deux ans, pour divers projets socio-économiques. « Le père Lupi s’est d’abord mis en colère quand j’ai demandé à devenir chrétien, mais il a finalement accepté devant mon insistance », explique-t-il. Il est le seul de sa famille à être devenu chrétien. Quand il est entré au séminaire pour devenir prêtre, en revanche, sa mère, une hindoue, s’y est fermement opposée. « Elle m’a écrit : ‘J’ai accepté ta conversion au christianisme, mais si tu deviens prêtre, je me suiciderai.’ Donc j’ai quitté le séminaire », poursuit-il. Parmi les Dalits qui ont pu recevoir une meilleure éducation, beaucoup ont abandonné leurs anciennes professions et sont devenus fermier, pêcheurs ou ouvriers. Certains d’entre eux ont même pu devenir médecins ou ingénieurs. Avec le développement des initiatives locales contre l’illettrisme, certaines pratiques controversées comme les systèmes de dot et les mariages d’enfants ont été peu à peu abandonnées. Pourtant, près de 30 % des filles Dalits sont encore victimes de mariages précoces, affirme Swapon Das, d’où la poursuite des campagnes de sensibilisation. « Nous soutenons des formations comme divers artisanats ou l’informatique, parce que beaucoup d’entre eux, particulièrement les hindous, sont encore discriminés et défavorisés », ajoute-t-il.
3,5 millions de Dalits au Bangladesh
Les Dalits hindous ont longtemps dû supporter de nombreux métiers considérés comme dégradants (blanchisseurs, barbiers, vidangeurs, équarrisseurs, cordonniers, balayeurs…). Au Bangladesh, selon Banglapedia, on compte près de 3,5 millions de Dalits dans les zones rurales et urbaines, dont environ 500 000 sur la côte sud. Dès le XVIIe siècle, les groupes missionnaires catholiques – jésuites, PIME et salésiens – de la région ont lancé des activités auprès des Dalits, notamment au sud du diocèse de Khulna. Des initiatives aux succès mitigés, selon le père Sergio Targa. Les Dalits, attirés par un besoin de sécurité et de protection contre les oppressions sociales, représentaient le seul foyer d’évangélisation dans la région, alors que les hindous et musulmans étaient sceptiques vis-à-vis du christianisme. Les relations entre les Dalits et les premiers missionnaires étaient compliquées, notamment par un manque de soutien des autorités ecclésiales, des ressources humaines inadaptées et une certaine rigidité des deux côtés, estime le père Targa. Ainsi, les Dalits sont fréquemment passés d’une religion à l’autre afin de régler des questions telles que des mariages illicites, des luttes de pouvoir et des querelles locales. De leur côté, les missionnaires xavériens les ont appelés Rishi (« sage ») afin soutenir la dignité humaine des Dalits, et ils ont lancé la mission Rishi en 1952. Ils ont mis l’accent non plus sur les conversions, mais avant tout sur le développement social. Les xavériens ont rencontré de nombreuses difficultés, notamment parce que beaucoup de chrétiens ne voulaient pas se mélanger aux Dalits convertis. Par exemple, jusqu’en 1959, dans une paroisse, il y avait deux lieux pour la liturgie des deux groupes, avant qu’un des deux bâtiments soit détruit.
« Beaucoup d’entre eux sont devenus chrétiens parce qu’ils pensaient que leur foi d’origine ne leur permettrait pas de se libérer de leur statut d’intouchables », estime le père Luigi Paggi, qui a travaillé parmi eux pendant 25 ans. Aujourd’hui, la moitié des catholiques du diocèse de Khulna sont des Dalits, et trois paroisses locales – Satkhira, Shimulia et Baradal – compte une grande majorité de Dalits. Certains prêtres sont également issus de leurs communautés. Le père Paggi estime qu’ils auraient dû pouvoir prospérer davantage. « Ceux qui s’en sont sortis pourraient mieux soutenir leurs communautés. Il y a un manque d’unité et de motivation », regrette-t-il. Daud Jibon Das, âgé de 44 ans, secrétaire général de la Commission Justice et paix du diocèse de Khulna, salue quant à lui la contribution du christianisme en faveur du développement des minorités Dalits. « Dans mon village de Satkhira, le christianisme a joué un rôle essentiel pour l’éducation et la formation professionnelle des habitants. Tous les enfants ont pu aller à l’école, ce qui était autrefois impensable », affirme Daud Jibon Das, directeur régional de Caritas Khulna, qui est lui-même Dalit. Il ajoute que beaucoup de Dalits ont encore besoin de soutien. « Nous essayons d’aider ceux qui sont dans le besoin. Nous sommes reconnaissants envers les missionnaires qui tentent d’améliorer nos vies, et nous savons que quoi qu’il arrive, nous ne devons pas oublier les nôtres », ajoute-t-il.
(Avec Ucanews, Dacca)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews