Eglises d'Asie

L’Église bangladaise contribue au renouveau des traditions populaires locales

Publié le 23/10/2019




Au Bangladesh, majoritairement musulman, près de la moitié des 600 000 chrétiens sont issus de la communauté bengalie, l’ethnie majoritaire. La plupart descendent d’hindous de castes inférieures qui se sont convertis au christianisme il y a plusieurs siècles. D’autres appartiennent à plusieurs dizaines d’autres groupes ethniques. Les chrétiens bengalis et indigènes ont tous maintenu de nombreuses traditions culturelles locales. Aujourd’hui, l’Église locale défend l’inculturation en encourageant les traditions religieuses populaires comme le Pala Gaan, la comédie musicale du Jishu Nila (Vie de Jésus), celle du Koshter Gaan (Chant du serviteur souffrant), ou le Thakurer Geet (Ballade de saint Antoine de Padoue).

Jacob Baroi a grandi en regardant son père et ses oncles participer au Pala Gaan (tradition populaire locale) dans leur village, dans le sud du Bangladesh. Le Pala Gaan mélange récits, musique, comédie et danse, afin de raconter des histoires tirées de la Bible, comme le récit de la Création, la chute d’Adam ou l’exode des juifs hors d’Égypte, ainsi que des scènes sur la vie, la mort et la résurrection. Le tout comprend entre dix et vingt acteurs, danseurs et musiciens. « Quand j’étais à l’école primaire, je regardais les répétitions du Pala Gaan et j’apprenais les chansons. Plus tard, j’ai rejoint l’équipe comme chanteur. J’ai participé à beaucoup de représentations, c’était une expérience magnifique », confie Jacob Baroi, 54 ans, catholique et père de trois enfants. Pour diverses raisons, notamment le déménagement en ville de plusieurs acteurs et chanteurs, mais aussi par manque de moyens, l’équipe a dû cesser ses activités au bout de quelques années. Depuis, Jacob Baroi n’a pas pu reprendre le Pala Gaan, depuis près de vingt ans, malgré le fait qu’il en est un passionné. Pourtant, depuis trois semaines, il est parvenu à rassembler une nouvelle équipe, qui a commencé à répéter afin de se préparer à la tenue d’un concours de Pala Gaan. Tout a été rendu possible grâce à une initiative du diocèse de Barishal, qui a organisé un atelier le 27 septembre en rassemblant près de 60 participants, pour la plupart des anciens acteurs ou chanteur de Pala Gaan. L’atelier a nommé un comité de neuf membres, chargé de superviser les équipes et d’organiser le concours. L’initiative est soutenue par Signis, l’Association catholique mondiale pour la Communication, explique le père Anol Terence D’Costa, responsable de la commission des communications sociales pour le diocèse de Barishal. « Les traditions comme le Pala Gaan sont de grande valeur sur le plan culturel et religieux, mais elles ont tendance à disparaître par manque de soutien », regrette le père D’Costa. « Avec l’accord de notre évêque, j’ai soumis le projet à Signis Asie, qui l’a approuvé, et nous avons alors lancé un plan d’action. » En général, un spectacle Pala Gaan peut durer jusqu’à huit ou dix heures, mais l’Église locale espère développer une version plus courte, de près de deux heures. « Les gens sont occupés, et ce n’est pas toujours évident pour eux d’y consacrer toute une journée ou toute une nuit », explique le père D’Costa. « Une version plus courte permet de dépasser cette contrainte de temps et d’intéresser plus de monde. » Le prêtre remarque qu’en plus de la préservation d’un héritage culturel, l’initiative cherche également à soutenir l’harmonie interreligieuse, à l’échelle locale et nationale. « Au début, notre projet était limité au diocèse, mais nous encourageons également les équipes à jouer ailleurs si elles sont invitées. »

Chute et renouveau

Le Pala Gaan est une tradition populaire des régions rurales bangladaises. Il serait dérivé du Sankirtan, une ancienne tradition religieuse hindoue mêlant narration, musique et danses, afin de conter des récits spirituels et de véhiculer des idées religieuses. Durant des siècles, le Pala Gaan s’est surtout transmis comme une tradition orale, mais certaines équipes ont écrit des textes et des scénarios afin de mieux le préserver. Au Bangladesh, majoritairement musulman, près de la moitié des quelque 600 000 chrétiens, pour la plupart catholiques, viennent de la communauté bengalie, le groupe ethnique majoritaire dans le pays. La plupart sont des descendants d’hindous de castes inférieures qui se sont convertis au christianisme il y a plusieurs siècles. D’autres chrétiens appartiennent à plusieurs dizaines d’autres groupes ethniques ; les chrétiens bengalis et indigènes ont maintenu beaucoup de leurs traditions culturelles, même après leur conversion. À la lumière des enseignements du concile Vatican II (1962-1965), l’Église catholique locale a essayé d’inculturer la liturgie en intégrant les musiques et danses traditionnelles, et en encourageant les traditions religieuses populaires comme le Pala Gaan, la comédie musicale du Jishu Nila (Vie de Jésus), celle du Koshter Gaan (Chant du serviteur souffrant, durant le carême), ou encore le Thakurer Geet (Ballade de saint Antoine de Padoue). Face à l’influence des médias, aux divertissements modernes et à l’agitation de la vie urbaine, ces traditions ont tendance à attirer moins de monde, même si certains groupes persévèrent en organisant des représentations occasionnelles, avec le soutien de l’Église locale.

Éveil des consciences

Le père Pradeep Perez, S. J., a étudié les traditions populaires et religieuses locales pendant des années. Actuellement, il poursuit un doctorat sur les traditions populaires dont celle du Thakurer Geet (Ballade de saint Antoine de Padoue), toujours populaire parmi les chrétiens bengalis de l’archidiocèse de Dacca et du diocèse de Rajshahi. Le père Pradeep est convaincu de l’importance de préserver ces traditions. « Les formes modernes de divertissement peuvent être plaisantes, cela ne remplace pas l’interaction humaine », poursuit-il. « Par exemple, le Pala Gaan peut soutenir et approfondir la vie spirituelle des gens et contribuer à façonner notre identité en tant que chrétiens bangladais », explique-t-il. « Ces temps-ci, nous avons souvent constaté un éveil des consciences à propos des pratiques culturelles et religieuses, ce qui montre que beaucoup de gens sont encore attirés par la culture traditionnelle. Nous devons la défendre. » En 2015, le prêtre a lancé un concours de Thakurer Geet entre 18 équipes, ce qui a permis de mettre en lumière la richesse de cette tradition locale, ses défis et les besoins de soutiens. « La beauté de ces dévotions populaire vient en partie de leur tradition orale, mais le temps est venu de mettre les choses par écrit pour qu’elles ne disparaissent pas un jour », souligne le père Pradeep. « Les gens font perdurer ces traditions par amour, et il faut se demander comment ils veulent les transmettre aux générations futures. » Pour lui, les initiatives du diocèse de Barishal sont une bonne avancée, et cela peut être reproduit ailleurs dans le pays. « Les traditions populaires doivent avoir une vraie place dans l’Église, elles doivent être soutenues et disposer d’aides financières. L’Église peut réfléchir à la création d’un fonds qui peut permettre de les soutenir en continu. » À Barishal, Jacob Baroi estime qu’il a de bonnes chances de contribuer à raviver le Pala Gaan dans la région. « Même si c’est venu tardivement, je salue les efforts de l’Église locale pour défendre le Pala Gaan », se réjouit-il. « Maintenant, je rêve de former une bonne équipe, qui jouera non seulement localement mais qui aidera également à répandre la tradition Pala Gaan dans le pays. »

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews