Eglises d'Asie – Thaïlande
L’Église orthodoxe en Thaïlande forme des groupes de solidarité entre touristes russes et ukrainiens réfugiés
Publié le 21/04/2022
L’église orthodoxe de la Sainte-Trinité, au nord de l’île de Phuket, est un beau bâtiment aux murs vert pomme surmontés de trois dômes dorés, que les Thaïlandais des environs appellent « la mosquée ». Depuis le début du conflit en Ukraine, l’archimandrite Oleg Cherepanin, chef de l’Église orthodoxe en Thaïlande, a ouvert les portes de ses lieux de culte aux familles ukrainiennes touchées par le conflit, ainsi qu’aux touristes russes. « Nous ne faisons pas de différence entre nos paroissiens », affirme le père Oleg. « À Phuket, Ukrainiens et Russes ne forment qu’une seule grande communauté orthodoxe. »
Derrière l’église, des chambres et des bureaux accueillent plusieurs familles ukrainiennes, originaires de Kiev et de Kharkiv, dont les logements ont disparu dans des bombardements. « Sans appartement, sans travail, avec la guerre qui fait rage, on préfère ne pas rentrer pour l’instant », explique une mère de famille de deux enfants. « Ici, au moins, les enfants sont en sécurité. » Dans la chambre d’à côté réside Nikita, touriste russe originaire d’Irkousk : « Mon billet de retour a été annulé du jour au lendemain », raconte-t-il. « Mais la compagnie aérienne ne m’a pas remboursé le billet, et je n’ai pas assez d’argent pour acheter un nouveau billet. Au début, je pensais que l’ambassade allait m’aider, mais ils m’ont conseillé de plutôt me tourner vers l’Église. »
Les sanctions européennes à l’égard de plusieurs banques russes, déconnectées du système de paiement international, ont encore empiré la situation pour certains touristes russes, incapables de payer pour leurs chambres d’hôtel ou leurs besoins de première nécessité. Hébergé depuis un mois, Nikita, qui n’était jusqu’ici pas spécialement pratiquant, effectue des menus travaux d’électricité ou de jardinage autour de l’église et ne rate aucune des célébrations religieuses quotidiennes. Un prêtre ukrainien, le père Roman, du diocèse de Kiev, est aussi hébergé par l’Église en attendant une amélioration de la situation : « J’espère pouvoir rentrer au plus vite auprès de mes paroissiens, ils ont besoin d’espoir. »
L’Église orthodoxe en Thaïlande a été fondée en 2007 par Oleg Cherepanin
Le dimanche, c’est la célébration la plus importante, une cinquantaine de personnes sont présentes. Les deux prêtres, russe et ukrainien, chantent et célèbrent ensemble. Les fidèles, Russes en majorité, mais aussi Ukrainiens, Kazakhs et Ouzbèques, prient pour leurs proches, leurs familles et pour l’arrêt de la guerre. Vers le milieu de la liturgie, une requête anonyme déposée par un fidèle suggère de prier « pour la santé de Vladimir Poutine ». « On le fait, bien sûr », se justifie le père Oleg, « nous sommes des religieux, nous prions pour la santé de tous ». Le parti pris, dans la communauté, est d’éviter de discuter de la guerre qui fait rage : « C’est trop douloureux, ça ne sert à rien d’en débattre, cela risque de diviser la communauté », estime-t-il. « En tant que croyants, nous devons aider, pas débattre. » Des collectes d’argent et de denrées non-périssables sont effectuées et envoyées chaque semaine en Ukraine de la part de la communauté russe de Phuket, via le réseau de contacts personnels des paroissiens.
L’Église orthodoxe en Thaïlande est relativement récente, fondée en 2007 par le père Oleg Cherepanin. Elle compte déjà cinq églises principales, à Bangkok, Phuket, Kho Phagnan et Pattaya, pour répondre aux besoins grandissants de l’importante communauté russe dans le pays. Toutes les églises comportent aussi des bâtiments annexes où résident les membres du clergé, les volontaires ou les membres du chœur – un élément important de la liturgie orthodoxe –, qui viennent souvent de Russie ou d’Ukraine. Toutes les églises ont été érigées ces quinze dernières années, entièrement grâce aux dons des fidèles de la communauté.
« On a du mal à comprendre comment c’est possible »
Après la liturgie du dimanche, un petit groupe se rassemble pour déjeuner dans les appartements du père Oleg. En cette période de Carême (les chrétiens orthodoxes célébreront la Pâque ce dimanche 24 avril), pas de viande, surtout des soupes végétariennes et des pâtisseries. Les paroissiens discutent de la vie de la communauté, de l’éducation des enfants, des affaires des uns et des autres. La guerre n’est évoquée qu’à contrecœur : « On a du mal à comprendre comment c’est possible », se désole Janna Sviritoka, directrice d’une agence immobilière. « Mon assistante est ukrainienne, j’ai plein d’amis ukrainiens ici, nous sommes comme frères et sœurs. Beaucoup de Russes ont des racines en Ukraine. »
C’est particulièrement vrai chez les religieux, comme le père Oleg, lui-même d’origine à la fois ukrainienne et bélarusse. « Pendant la période de l’Union Soviétique, sous le communisme, la pression contre les religions était très forte », se souvient-il, « et peu de jeunes hommes des régions centrales osaient devenir prêtres ». « Donc les prêtres venaient souvent des régions périphériques, et surtout d’Ukraine de l’Ouest, qui a toujours gardé la foi vivante. C’est pour cette raison qu’encore aujourd’hui de nombreux membres du clergé russe sont en réalité d’origine ukrainienne. » Les membres du chœur, résidents à Bangkok, sont aussi tous ukrainiens.
Le conflit en Ukraine a provoqué de vives tensions au sein de l’Église orthodoxe. Tandis que le patriarche Kirill, à Moscou, a réaffirmé son soutien à l’opération des troupes de Vladimir Poutine, le patriarche de Constantinople Bartholomée a condamné cette « invasion horrible » et reconnu l’indépendance de la nouvelle Église ukrainienne, sous l’égide du métropolite Épiphane. Plus d’une centaine d’églises ukrainiennes ont désormais pris leurs distances avec Moscou. Mais, contrairement à leurs leaders, à Phuket, prêtres et paroissiens veulent rester unis et espèrent pour bientôt la fin de la guerre.
(EDA / Carol Isoux)
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Carol Isoux