Eglises d'Asie – Pakistan
Les condamnés à mort atteints de maladie mentale ne seront plus exécutés
Publié le 16/02/2021
Les organisations de défense des droits humains pakistanaises ont applaudi un arrêt historique de la plus haute juridiction pakistanaise, qui met un terme à l’exécution de condamnés à mort souffrant de maladie mentale. La Cour suprême a estimé que les condamnés à mort ne devraient pas être exécutés s’ils souffrent d’une maladie mentale qui les empêche comprendre les raisons de leur exécution. « Nous saluons le récent arrêt de la Cour suprême en faveur de la protection des personnes sévèrement atteintes de maladie mentale, dont l’exécution sera désormais suspendue » a déclaré la Commission des droits de l’homme du Pakistan dans un communiqué du 12 février, co-signé avec une dizaine d’ONG. « Ce jugement historique est une avancée pour de nombreux citoyens au sein de communautés marginalisées, qui souffrent aux mains d’un système de justice pénale avec peu de protections en place pour les personnes vulnérables. » Le jugement profite en particulier à Kanizan Bibi, Imdad Ali et Ghulam Abbas, trois prisonniers schizophrènes, une forme grave de maladie mentale, qui ont fait l’objet de campagnes médiatiques pour faire reconnaître la maladie mentale comme circonstance atténuante d’un crime. Le tribunal a commué les peines de Bibi et Ali et ordonné leur transfert vers une institution spécialisée, et invité les responsables de la prison à déposer une nouvelle demande de grâce pour Abbas.
Bibi, une femme d’âge moyen, diagnostiquée schizophrène paranoïaque, a été condamnée à mort en 1991. Selon sa famille, elle a été arrêtée alors qu’elle n’avait que 16 ans, torturée en garde à vue puis forcée à avouer son implication dans un meurtre. Elle n’a pas dit un mot depuis près d’une décennie suite au traumatisme subi. Ali souffre également de schizophrénie et au cours des 20 ans passés dans le quartier des condamnés à mort, il a enduré quatre ans à l’isolement total. Abbas, qui a passé 15 ans dans le couloir de la mort, souffre à la fois de schizophrénie, de déficience intellectuelle et présente des symptômes tels que des délires et des hallucinations auditives. « Ce genre de prisonniers ne devraient en aucun cas être exécutés. Notons que les prisonniers qui sont incapables de comprendre la raison de leur condamnation n’auraient pas dû être condamnés en premier lieu », ont déclaré les ONG. « Le jugement insiste sur l’importance de la capacité d’un accusé à participer à son procès et sur la nécessité pour les tribunaux de première instance de renvoyer certains dossiers devant un conseil médical pour évaluer la santé mentale des accusés. »
Des chiffres préoccupants
Les chiffres de la santé mentale au Pakistan sont préoccupants, des estimations datant de 2016 indiquant que 50 millions de personnes y souffrent de troubles mentaux. « Le public est très peu sensibilisé à la santé mentale et aux troubles mentaux, ont déclaré les ONG, ce qui signifie que la stigmatisation sociale associée au fait d’avoir une maladie mentale empêche ceux qui en ont besoin de faire appel à un professionnel pour un traitement médical, ou même de se confier à leurs amis proches et leur famille, par peur d’être ostracisées. » Au Pakistan comme ailleurs, des institutions étatiques telles que le système de la Justice sont bâtis à l’avantage de la majorité dominante, au détriment des minorités religieuses, raciales ou ethniques. Le Code pénal favorise ceux qui disposent de ressources financières et de capital social. Au Pakistan, l’appartenance à un ou plusieurs groupes marginalisés – les pauvres, les femmes, les malades mentaux, les minorités religieuses, raciales et ethniques — expose statistiquement les populations à davantage de préjugés de la part de la police, ainsi qu’à un plus grand risque d’arrestations et de condamnations arbitraires, y compris des risques de condamnation à perpétuité et à la peine capitale. Les femmes sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale que les hommes, les jeunes femmes en particulier étant les plus exposées au risque de dépression majeure et autres troubles mentaux graves. Les minorités raciales et ethniques ont également un accès limité aux rares traitements disponibles, et sont plus susceptibles de recevoir des soins de mauvaise qualité ou d’être discriminées au cours du traitement.
Les groupes de défense des droits humains ont souligné que ce jugement historique constituait une étape importante pour le Pakistan, afin de mieux protéger les groupes et communautés marginalisés et en particulier les malades mentaux. Ces derniers souffrent non seulement des symptômes de leur maladie, mais font également l’objet d’une forte stigmatisation et discrimination au sein de la société pakistanaise. La Cour suprême a aussi formulé plusieurs recommandations à destination des gouvernements fédéral et provinciaux, telles que la création d’unités médico-légales spécialisées en santé mentale dans les établissements d’enseignement et de formation et la constitution de commissions médicales pour évaluer la santé mentale des prisonniers condamnés ou en procès. Insistant sur l’importance d’utiliser un langage adapté pour lutter contre la stigmatisation, le tribunal a également ordonné que les termes de « fou » et « insensé » ne soient plus utilisés dans les textes législatifs tels que le Code pénal pakistanais, le Code de procédure pénale et les règles pénitentiaires du Pakistan, et qu’ils soient remplacés par des termes appropriés tels que « maladie mentale » ou « trouble mental ». « Nous espérons que les directives données par la Cour suprême seront mises en œuvre dès que possible, ont ajouté les ONG, et que les acteurs qui en ont besoin pourront trouver tout le soutien nécessaire, dès maintenant et à l’avenir. »
(Avec Ucanews, Islamabad)
CRÉDITS
Justice Project Pakistan