Eglises d'Asie

Les conditions de travail ont empiré depuis le coup d’État, alerte une responsable syndicale birmane

Publié le 08/12/2021




Le 7 décembre, Khaing Zar Aung, une responsable syndicale de 37 ans, a participé à une rencontre à Rome avec les autorités italiennes, organisée par l’association Italia Burma Insieme. Originaire de Kyauktan, au sud de Rangoun, et présidente du syndicat IWFM (Fédération des travailleurs de l’industrie du Myanmar), elle affirme que les conditions de travail ont empiré depuis le coup d’État. « Ce n’est pas du travail, mais de l’esclavage. Nous avons perdu tout ce que nous avions obtenu », déplore-t-elle, tout en appelant à maintenir la pression contre la junte.

Une usine de textile à Rangoun, en mars 2018. Khaing Zar Aung, une dirigeante syndicaliste birmane, affirme que les conditions de travail ont empiré depuis le coup d’État.

« Ce n’est pas du travail, mais de l’esclavage », affirme Khaing Zar Aung, 37 ans, à propos des conditions de travail qu’elle a vécu en Birmanie. « Après le coup d’État, tous nos progrès ont été supprimés, nous avons retrouvé les conditions que nous avions en l’an 2000 », ajoute-t-elle. Khaing Zar Aung avait 16 ans quand elle a commencé à travailler pour une usine de textile birmane, afin de soutenir sa famille. Il y a vingt ans, le pays était dirigé par une dictature militaire et les syndicats étaient interdits. Ensuite, les élections de 2010 ont, au moins pour un temps, guidé la Birmanie vers la démocratie et un gouvernement civil.

« À cette époque, je me levais à 6h15 et je devais être à l’usine à 7h30. Je travaillais sans m’arrêter jusqu’à 22 heures, sept jours par semaine. Nous avions parfois un jour de congé par mois, après avoir reçu notre paie », poursuit-elle, en précisant qu’elle gagnait « environ 10 dollars US par mois ». Elle façonnait des vêtements pour plusieurs grandes marques textiles internationales. Après le lycée, elle est allée à l’université où elle a étudié l’économie, mais elle n’a jamais cessé de travailler.

Originaire de Kyauktan, une ville située au sud de Rangoun, elle est aujourd’hui présidente du syndicat IWFM (Fédération des travailleurs de l’industrie du Myanmar) et membre du comité de direction du syndicat CTUM (Confédération des syndicats du Myanmar). Le 7 décembre à 17 heures, elle s’est rendue à Rome pour participer à une rencontre entre les autorités italiennes et des représentants de syndicats, dans le cadre d’un événement organisé par l’association Italia Burma Insieme.

Khaing Zar Aung vit aujourd’hui en Allemagne, où elle s’est installée pour suivre un master en politique du travail et mondialisation. « Mais je ne peux pas étudier, même ici je dois me battre pour mon pays », explique-t-elle. Un mandat d’arrêt a été émis contre elle, et son passeport a été déclaré nul. Ces décisions ont été prises par la junte militaire birmane, qui a pris le pouvoir lors du coup d’État du 1er février en renversant le gouvernement civil dirigé par Aung San Suu Kyi – cette dernière vient d’être condamnée à deux ans de prison pour incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires.

« Ceux qui ont encore un travail gagnent moins de 2 dollars par jour »

Khaing Zar Aung, après avoir terminé sa scolarité, a trouvé du travail dans le ferroviaire, où elle espérait trouver de meilleures conditions. « Je voulais monter en grade, mais ce n’était possible que par la corruption », raconte-t-elle. Amère, elle est partie en Thaïlande où elle a touché un bien meilleur salaire pour le même emploi. « Je travaillais de 8 heures à 17 heures et je touchais entre 150 et 180 dollars US par mois. Comment les salaires peuvent-ils être aussi différents ? Je n’ai fait que traverser le fleuve qui sépare les deux pays. »

C’est en Thaïlande qu’elle a découvert le mouvement syndical. Une amie l’a emmenée assister à une session de formation où les droits du travail étaient abordés. Durant cet événement, qui était organisé par le syndicat FTUB (Fédération des syndicats de Birmanie), elle a découvert comment le régime militaire birman maintenait les gens dans la pauvreté. Elle a été emprisonnée à deux reprises pour avoir aidé des travailleurs migrants birmans à traverser la frontière. Puis en 2012, avec d’autres travailleurs migrants et membres de syndicats, elle a été autorisée à retourner en Birmanie. « Mais seulement comme particuliers, et non en tant qu’organisation », précise-t-elle. Elle a malgré tout fini par créer le syndicat CTUM.

« Notre objectif était d’obtenir un salaire minimum. En 2015, nous avons obtenu un salaire journalier minimum de 3,50 dollars, avec un jour de congé par semaine, ce qui était cinq fois supérieur au salaire de base à l’époque », poursuit-elle. Elle ajoute qu’avec la situation politique en Birmanie, tous les progrès réalisés ont été supprimés. « Ceux qui ont encore un travail gagnent moins de 2 dollars US par jour, sans jours de congé ni protection sociale, même si en théorie, ils cotisent pour cela », dénonce-t-elle.

« Nous pouvons venir à bout de la junte »

« Presque 400 000 personnes qui travaillaient dans le textile ont perdu leur travail, ainsi qu’un million dans le bâtiment, sans compter le tourisme et les autres secteurs. Hier, il y a eu une manifestation pacifique et la junte a tué cinq personnes sans raison. C’est une violation des droits du travail et des droits de l’homme », insiste Khaing Zar Aung. Elle se dit pourtant optimiste face à l’avenir. « D’ici un an, nous pouvons espérer chasser la junte », affirme-t-elle avec conviction.

Actuellement, la dirigeante syndicale essaie d’amener des entreprises internationales à cesser de faire du commerce avec la Birmanie. Elle a demandé à l’Union européenne d’appliquer des sanctions économiques efficaces afin d’interrompre le flux de trésorerie qui alimente les caisses du régime militaire. En Birmanie, souligne-t-elle, « les gens ont cessé de payer les impôts ». « Par conséquent, les entreprises qui veulent continuer de travailler en Birmanie doivent partager leurs profits avec les militaires. Mais de cette façon, ces sociétés ne font que renforcer la dictature et la répression. »

Craint-elle que les sanctions économiques aggravent les conditions des travailleurs ? « Cela ne peut pas être pire que ce que vivent déjà les gens en ce moment en Birmanie », répond-elle. « La seule façon de restaurer la démocratie en Birmanie est de soutenir le Gouvernement d’unité nationale [un mouvement en exil, composé de parlementaires déchus, de chefs de file de la contestation contre le coup d’État et de représentants des minorités ethniques du pays], de travailler avec le mouvement de désobéissance civile qui continue de lutter en Birmanie, et d’intensifier les pressions internationales contre l’armée. Ainsi, de pair avec la résistance populaire, nous pouvons venir à bout de la junte. »

(Avec Asianews)