Eglises d'Asie

Les divisions religieuses poussent Caritas à l’action au Sri Lanka

Publié le 24/01/2019




Après trente ans de guerre civile (1983-2009), le Sri Lanka se relève peu à peu de plusieurs décennies de violences politiques et religieuses, malgré la persistance des tensions entre les communautés cingalaises, à majorité bouddhistes (75 % de la population), et tamoules, à majorité hindoues. Afin de cheminer vers la réconciliation du pays entre les diverses communautés, dont les minorités musulmanes (9,7 % de la population) et chrétiennes (7,4 %), la Caritas sri-lankaise continue de lancer de nombreux programmes comme dans le diocèse d’Allagollewa.

Sahira, 25 ans, une musulmane de Batticaloa, était angoissée à l’idée de travailler avec des Cingalais et des Tamouls dans le cadre d’un programme de réconciliation destiné à dépasser les tensions religieuses et culturelles suite à la longue guerre civile sri-lankaise. L’ancienne capitale du pays reste hantée par les mémoires du massacre commis par 30 rebelles tamouls contre une mosquée de la région, dans la ville de Kattanbuky, lors des prières du vendredi en 1990. Les rebelles ont tiré sur la foule à l’arme automatique ou à l’aide de grenades, tuant 147 hommes et jeunes garçons, et blessant plusieurs centaines d’autres personnes. Même si Sahira n’était pas née à l’époque, elle a grandi en entendant sa grand-mère et ses voisins raconter des histoires sur le drame. L’année dernière, elle a connu un autre signe de la façon dont les sentiments antimusulmans peuvent déraper rapidement au Sri Lanka. En 2018, une propagande antimusulmane a ainsi provoqué plusieurs semaines d’émeutes à Ampara et Kandy, qui se sont répandues dans tout le pays, faisant deux morts et endommageant 450 mosquées et de nombreux commerces ou maisons appartenant à des musulmans, incendiés par des foules de bouddhistes extrémistes. Ainsi, Sahira voyait ses « camarades » avec un peu d’inquiétude, en s’embarquant dans une session de quatre jours organisée par la branche locale de Caritas, au village d’Allagollewa dans la province du Centre-Nord.

La Caritas sri-lankaise est engagée dans des projets de réconciliation similaires depuis plus de dix ans. La Caritas du diocèse d’Anuradhapura, dont dépend Allagollewa, a ainsi lancé un programme organisé du 27 au 30 décembre afin de soutenir les communautés locales, toujours troublées après trente ans de guerre civile et de violences religieuses. « Le premier jour, nous avions peur de travailler avec des bouddhistes et des chrétiens, mais cela n’a pas duré, et les Cingalais et les Tamouls sont rapidement devenus amis », confie-t-elle. Selon un recensement de 2011, la population compte 70,2 % de bouddhistes (bouddhisme theravada), 12,6 % d’hindous, 9,7 % musulmans (en majorité sunnites) et 7,4 % de chrétiens (en majorité catholiques). La plupart des Tamouls sont hindous. Les Cingalais, en majorité bouddhistes, représentent près de 75 % de la population. « Nous avons visité des temples bouddhistes, des temples hindous, une mosquée et l’église catholique Saint-Anthony d’Allagollewa, afin de comprendre les différentes cultures et traditions religieuses », confie Sahira, qui parle cingalais et tamoul. « Nous sommes restés pendant quatre jours dans des familles bouddhistes et catholiques d’Allagollewa, où nous avons reçu un très bon accueil. » Sahira demande aux dirigeants et aux groupes extrémistes de les laisser « construire des relations amicales avec des gens de toutes les religions » : « je vous en prie, ne troublez pas notre amitié ».

« Les moines étaient stupéfaits »

Elle se souvient qu’elle a trouvé cela très étrange de visiter un temple bouddhiste pour la première fois. « Plusieurs moines étaient stupéfaits de voir des musulmans entrer dans leurs temples, mais ils nous ont aussi accueillis très chaleureusement », explique-t-elle. Le projet a été construit autour d’ateliers permettant de construire des relations de confiance entre les communautés, afin de lever des malentendus et d’échanger sur des questions religieuses et socio-économiques. L’objectif d’une véritable harmonie interreligieuse reste pourtant un défi pour le pays. Les communautés tamoules et cingalaises sont toujours divisées après des décennies d’injustices et de violences politiques. Sellakuryi Razaviya, hindou, assure que le programme lui a donné envie de continuer à travailler pour cette harmonie. « La guerre est finie », rappelle-t-il. « Nous demandons à ceux qui s’opposent à ces rencontres de ne pas essayer de nous diviser davantage, parce que nous avons déjà suffisamment souffert. Nous voulons poser les fondations d’une paix véritable », poursuit Sellakuryi. « Les religions doivent être un moyen de guérison, au lieu de renforcer les méfiances et les doutes. » La guerre civile a commencé en 1983 et a pris fin officiellement le 18 mai 2009, quand le gouvernement a vaincu les Tigres Tamouls (LTTE), qui se battaient pour l’indépendance. Selon l’ONU, rien que durant ses derniers jours, la guerre a tué près de 40 000 civils.

Le père Bennet Mellawa, directeur de la Caritas d’Anuradhapura, confie que son agence « continuera ce processus dans d’autres diocèses ». Le prêtre ajoute qu’il s’est senti encouragé par les nombreux retours positifs, et que l’expérience a permis de nourrir les échanges et les engagements au service de la réconciliation. Un homme bouddhiste a ainsi assuré qu’il avait changé de point de vue vis à vis des musulmans après la fin du programme. Le coordinateur local de la Caritas, Madura Priyad Warnakulasuriya, 47 ans, ajoute que l’Église « peut jouer un grand rôle durant cette période d’après-guerre », au service d’une population blessée. Caritas organise de nombreux programmes afin d’aider les personnes qui restent affectées, suite aux blessures psychologiques ou physiques et aux deuils engendrés par la guerre. Le diocèse d’Anuradhapura compte 1,3 million d’habitants, dont 90 % de bouddhistes. Près de 12 000 catholiques y vivent. « Tout le monde devrait essayer de mieux comprendre les autres communautés, afin de pouvoir vivre en paix, quelles que soient les origines ou les croyances », soutient Sahira.

(Avec Ucanews, Allagollewa)


CRÉDITS

Ucanews