Eglises d'Asie

Les élèves rohingyas réfugiés de Cox’s Bazar privés d’éducation

Publié le 17/04/2019




En mars, une directive du ministère bangladais de l’Éducation incitait les directeurs d’établissements de la région de Cox’s Bazar, dans le sud-est du pays, à cesser d’accueillir les enfants rohingyas réfugiés dans les camps alentour, ceux-ci n’ayant pas la nationalité bangladaise. La décision du gouvernement bangladais a provoqué l’indignation de nombreuses organisations engagées dans la région, dont Human Rights Watch, qui a publié un communiqué le 1er avril en faisant part de ses inquiétudes, rappelant que le pays est État signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR).

Abdul Noor, 16 ans, était heureux de rejoindre le lycée Leda de Teknaf, dans le sud-est du Bangladesh, dans la région de Cox’s Bazar, désormais célèbre dans le monde entier pour ses centaines de milliers de réfugiés rohingyas. « Aucun de mes frères n’a pu dépasser l’école primaire », explique Abdul Noor, le plus jeune d’une fratrie de cinq fils d’un couple rohingya, qui a fui la ville de Maungdaw, dans l’État birman d’Arakan, en 1992, lors des persécutions des militaires et des bouddhistes extrémistes. « Mais moi-même, j’ai pu aller au collège, ce qui m’autorise à rêver d’une vie meilleure », ajoute l’adolescent, qui est né et qui a grandi dans les camps de réfugiés du district. Cependant, il a vu les conditions des réfugiés empirer alors que les réfugiés rohingyas continuaient d’affluer dans la région. Ainsi, en mars, son rêve de poursuivre des études supérieures s’est brisé quand les autorités locales ont adressé une directive aux écoles du district, leur interdisant d’accueillir les enfants qui n’ont pas la citoyenneté bangladaise. « Durant les cours, il y a environ un mois, le directeur du lycée a convoqué six lycéens rohingyas, dont moi, afin de nous signaler que nous ne pouvions plus venir au lycée », raconte-t-il. « Il a dit que le gouvernement avait demandé aux écoles de ne pas accepter les enfants rohingyas. Je n’ai pas eu le choix. »

De son côté, Jamal Uddin, le directeur du lycée Leda, confie son impuissance. « Fin février, nous avons reçu une lettre stipulant que les enfants rohingyas devaient se rendre dans ‘leurs propres écoles’ dans les camps, et non dans les écoles bangladaises », explique-t-il. « Nous avons identifié soixante élèves dans ce cas dans plusieurs classes, et nous leur avons demandé de ne pas revenir à l’école », ajoute Jamal Uddin, lui-même musulman. « Nous avons suivi les instructions du gouvernement. Ce qui fait que nous n’accepterons plus d’élèves rohingyas jusqu’à nouvel ordre. » Anandamoy Bhowmick, membre local du ministère de l’Éducation, nie tout ordre officiel de renvoyer les élèves rohingyas, mais il reconnaît une mesure cherchant à les « dissuader » de poursuivre une éducation secondaire « puisqu’ils ne sont pas citoyens bangladais ». « Cela dit, nous savons que certains fonctionnaires locaux ont aidé des parents rohingyas à fabriquer de faux documents officiels pour pouvoir envoyer leurs enfants dans les écoles locales », affirme-t-il.

Apatrides et privés d’éducation

Les parents d’Abdul Noor, qui n’ont pas pu rejoindre les réfugiés officiels des camps de Kutupalong et de Nayapara, coadministrés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et par le gouvernement local, se sont installés au camp de Leda comme des réfugiés sans papiers. En 1992, l’UNHCR a accordé le statut de réfugié officiel à environ 30 000 Rohingyas refusant de retourner en Birmanie par peur des persécutions, un statut leur donnant droit à des aides quotidiennes. Des milliers d’autres réfugiés se sont installés dans des camps informels dans des conditions misérables, à proximité des camps officiels. Ils font partie des plus de 200 000 musulmans rohingyas qui sont venus au Bangladesh au cours des dernières décennies, pour échapper aux violences et aux discriminations. Ils ont été rejoints ensuite par près de 740 000 Rohingyas en 2016 et 2017, suite à de nouvelles répressions des militaires birmans. Au sein des camps officiels, une éducation primaire informelle est disponible, mais la situation est plus compliquée pour les camps non enregistrés comme celui de Leda. La plupart des parents envoient donc leurs enfants dans les madrasas (écoles coraniques) locales. Les plus chanceux, comme Adbul Noor, ont pu rejoindre les écoles gérées par des ONG, souvent contre la volonté des autorités locales, où ils ont pu recevoir une meilleure éducation. En raison de leur statut d’apatrides, les Rohingyas sont confrontés aux discriminations des Birmans comme des Bangladais depuis des décennies. Les musulmans rohingyas sont originaires du royaume d’Arakan, où ils ont vécu plusieurs siècles avant que ce territoire indépendant ne soit annexé par la Birmanie, suite à une invasion des Birmans en 1784. Les Britanniques ont colonisé le pays en 1824, et l’ancien royaume forme l’actuel État d’Arakan (Rakhine), qui occupe une bonne partie de la côte occidentale birmane, le long du golfe du Bengale. Depuis les années 1970, les gouvernements militaires qui se sont succédés en Birmanie ont considéré les Rohingyas comme des immigrés bengalis illégaux. Ils sont officiellement devenus apatrides en 1982, quand l’armée birmane a voté une loi sur la citoyenneté les excluant d’une liste de 135 groupes ethniques présents dans le pays.

« Le gouvernement va à l’encontre de ses propres engagements »

Ils se sont alors vus retirer de nombreux droits élémentaires comme l’accès aux soins, à l’éducation ou à l’emploi. Dans les décennies qui ont suivi, nombre d’entre eux ont fui peu à peu au Bangladesh, où ils n’ont pas été accueillis à bras ouverts. Avant l’arrivée massive des réfugiés en 2017, les autorités de Dacca et l’opinion publique bangladaise étaient plutôt contre la présence des réfugiés. Ils étaient vus comme une menace et comme un poids financier pour la population bangladaise, déjà pauvre et surpeuplée. À l’exception des réfugiés officiels, le gouvernement bangladais a donc dissuadé les organisations humanitaires d’intervenir auprès des camps non officiels qui se sont dressés. Le nouvel intérêt de la communauté internationale, suscité brutalement suite à la crise de 2017, a cependant renversé cette tendance, Dacca jouant le rôle de sauveur contre la brutalité militaire birmane. Depuis au moins deux ans, le pays prépare également un plan de relogement (volontaire) des réfugiés vers l’île de Hatiya, au large de la côte. Pourtant, les critiques, qui affirment que l’île en question est inhabitée et sujette aux inondations, y voient une tentative d’empêcher les réfugiés de « se mêler aux citoyens bangladais ».

La décision récente d’écarter les élèves rohingyas a entraîné l’indignation des militants humanitaires. Le 1er avril, l’organisation Human Rights Watch a publié un communiqué condamnant la décision. Pour Bill Van Esveld, chercheur sur les droits de l’enfant, c’est une décision « malheureuse, tragique et contraire à la loi ». Le Bangladesh est État signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), qui garantissent le droit des enfants à une éducation primaire gratuite, à une éducation secondaire disponible et accessible, et à une éducation supérieure selon les capacités individuelles, quelle que soit leur origine ou leur statut. Jyoti F. Gomes, secrétaire général de l’enseignement catholique bangladais, a fait part de ses inquiétudes. « Sur le plan humanitaire, il est affligeant et inhumain de priver les enfants rohingyas d’éducation. Le Bangladesh est signataire des objectifs de développement durable de l’ONU, cette décision du gouvernement va donc à l’encontre de ses engagements », poursuit Jyoti Gomes. De plus, ajoute-t-il, empêcher les enfants réfugiés d’aller à l’école les rend encore plus vulnérables en les exposant à la criminalité, ce qui ne pourrait qu’empirer la situation pour la société et pour le gouvernement.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews