Eglises d'Asie

Les entrepreneurs chrétiens pakistanais face aux discriminations

Publié le 17/10/2019




L’an dernier, la Communauté d’affaires du Pakistan (PBC), un groupe de pédagogues et de responsables d’ONG, a lancé une formation pour soutenir les futurs entrepreneurs au sein de la minorité chrétienne pakistanaise, confrontée au manque de moyens, aux discriminations et à la peur de l’échec. Christy Munir, professeur émérite au Forman Christian College, une université de Lahore, confie ainsi que 70 % des chrétiens de Lahore ont des emplois précaires comme ouvriers ou agents d’entretien. Les entrepreneurs qui se lancent malgré tout sont parfois forcés de cacher leur identité pour réussir, comme Salman Peter, fondateur d’une société de construction de Lahore.

Christopher Javaid s’est lancé pour la première fois dans la restauration, en novembre 2018 à Lahore, avant de devoir fermer les portes au bout d’un mois. Son restaurant servait des petits-déjeuners et du barbecue le soir. Christopher préparait lui-même le poulet. La plupart de ses recettes venaient de son grand-père, qui a été chef de cuisine pendant plus de dix ans à Lahore Gymkhana, l’un des plus anciens clubs de golf du pays. Au début, l’affaire était florissante, avec plus de cent clients dès le jour d’ouverture, mais la situation s’est rapidement détériorée. « Mon nom chrétien chassait les clients, majoritairement musulmans », confie Christopher, 31 ans. « Nous étions traités comme si nous étions des réfugiés clandestins. Le propriétaire d’une boutique de thé voisine refusait de me fournir du thé ; il n’a accepté que quand nous avons apporté nos propres tasses et bouilloires… » Il a finalement décidé d’arrêter après avoir entendu les commentaires d’une femme âgée. « Il était six heures du matin. Un garçon avait commandé des naans quand elle lui a reproché de faire des achats dans une boutique Isai [chrétienne] », explique Christopher. Aujourd’hui, ce père de deux enfants est endetté. En tout, il avait emprunté 50 000 roupies (soit 322 euros) afin de financer son activité, notamment la location de deux pièces et l’achat d’un four tandour (sorte de four en terre cuite en forme de jarre). Il a fini par revendre l’ensemble pour seulement 40 000 roupies, et il a demandé de l’aide auprès d’une œuvre caritative chrétienne de Lahore, qui propose de petits prêts commerciaux avec des mensualités adaptées. « Il n’y a aucun profit possible dans la restauration pour les minorités religieuses », regrette-t-il. « Les chrétiens ne peuvent pas abattre les poulets parce qu’ils ne récitent pas le ‘kalimah’ [déclaration de foi musulmane]. Beaucoup ont subi des ‘fatwas’ [avis juridique selon la loi islamique] parce qu’ils ne suivaient pas les méthodes halal. »

70 % des chrétiens de Lahore ont des emplois précaires

Pour l’Église locale, le traitement discriminatoire que subissent les chrétiens pakistanais est courant, notamment concernant les opportunités d’emplois ou l’accès à l’éducation, malgré leurs contributions importantes au service du pays. Le gouvernement et l’armée offrent souvent des emplois précaires aux chrétiens – comme des emplois de nettoyage –, une situation qui désole la communauté chrétienne. La semaine dernière, les photographies d’une affiche ségrégationniste dans un immeuble de Karachi sont devenues virales sur les réseaux sociaux. « Vendre ou louer un appartement à des non musulmans dans cet immeuble est interdit », disait l’affiche. En 2014, dans une décision historique de la Cour Suprême, un système de quotas a été mis en place pour les minorités religieuses du pays. La Cour Suprême avait décidé de réserver 5 % des emplois de fonctionnaires aux non musulmans, explique Ijaz Alam Augustine, ministre des Droits de l’homme et des Affaires des minorités de la province du Pendjab. Ce dernier travaille avec les Chambres de commerce du pays pour créer des programmes de formation pour des personnes comme Christopher Javaid. Ce projet fait partie du programme d’émancipation des minorités (Minorities’ empowerment package) introduit par le gouvernement. Pourtant, Munib Akram, le directeur adjoint de la Chambre de commerce et d’industrie de Lahore, a affirmé qu’il n’était pas certain qu’il y ait un seul non musulman parmi ses 25 000 membres. Il a également refusé de commenter la situation que subissent les entrepreneurs chrétiens dans le pays. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, ceux-ci sont forcés de cacher leur identité pour poursuivre leur activité.

Les entrepreneurs chrétiens forcés de cacher leur identité

Parmi eux, on compte Salman Peter, qui s’est montré prudent en 2014, en fondant Wali Enterprises, une société de construction basée à Lahore. « Je l’ai appelée d’après mon grand-père. Le titre me donnait aussi une couverture musulmane », explique Salman, qui évite de donner son nom de famille quand il négocie des contrats avec des musulmans. En 2017, il a dû cacher sa foi quand il s’est lancé dans la construction d’un bâtiment de trois étages pour Jamia Ashrafia, une institution éducative musulmane. « Ils me connaissaient seulement sous le nom de Salman. C’est plus facile de travailler avec les clients chiites, qui m’accueillent chez eux. Mais nous préférons travailler avec les diocèses pour éviter toute discrimination », poursuit-il. Christy Munir, professeur émérite au Forman Christian College, une université de Lahore, affirme que 70 % des chrétiens de Lahore ont des emplois précaires comme ouvriers ou agents d’entretien. « Les ressources limitées et la peur de l’échec freinent l’esprit d’entreprenariat au sein de nos communautés », ajoute-t-il. L’an dernier, la Communauté d’affaires du Pakistan (PBC), un groupe de pédagogues et de dirigeants d’ONG, a organisé une formation de six jours pour les entrepreneurs chrétiens du pays. De son côté, le Forman Christian College soutient déjà l’éducation de 900 étudiants non musulmans. L’université cherche ainsi à améliorer le niveau économique de la minorité religieuse, en transformant leurs idées en opportunités, confie Munir, qui fait partie de la PBC. « Le but est de renforcer le réseau des futurs entrepreneurs, pour développer les jeunes talents au sein de la communauté chrétienne pakistanaise. »

(Avec Ucanews, Lahore)


CRÉDITS

Rock Ronald Rozario / Ucanews