Eglises d'Asie – Bangladesh
Les intempéries et la pauvreté poussent les Bangladais vers la capitale
Publié le 07/02/2019
Malgré les difficultés, Nurjahan, une veuve musulmane de 60 ans du bidonville de Duaripara à Dhaka, ne s’est pas découragée. Elle est connue par ses voisins comme une « kolawali », ou vendeuse de bananes. Chaque jour, elle va chercher des bananes mûres au marché du coin pour les vendre à ses clients au bidonville. « Les commerçants savent que je suis pauvre, donc ils ne me demandent pas d’argent quand je leur achète des bananes », explique-t-elle. Il y a près de quarante ans, elle et son mari ont quitté leur village de Banaripara, dans le district de Barishal, pour venir à Dhaka. « L’érosion de la rivière avait détruit notre maison et les terres cultivables. Nous avons donc décidé de venir dans la capitale pour une vie meilleure. Depuis, nous avons vécu dans les bidonvilles », raconte-t-elle. À Dhaka, son mari est devenu tireur de pousse-pousse tout en vendant des bananes de temps en temps, pour faire vivre sa famille, dont deux filles. Le mari de Nurjahan est mort il y a quatre ans et leurs filles vivent dans les familles de leurs maris. Elle doit donc se débrouiller seule. Bien qu’il existe une sécurité sociale officielle pour les femmes démunies et vulnérables comme Nurjahan, dont des allocations pour les veuves et les personnes âgées, elle-même n’en bénéficie pas. « Je ne sais pas comme les obtenir, personne ne m’a jamais aidé », souffle-t-elle.
En 2016, elle a entendu parler du projet Sail (Support assisting improved living) lancé par la Caritas de Dhaka, destiné à améliorer les conditions de vies des habitants des trois principaux bidonvilles de la capitale. Caritas l’a aidée à s’installer dans un logement plus confortable fait de tôles ondulées, de bambou et de ciment, dont la construction a coûté 40 000 takas (471 dollars). Le projet de la Caritas lui a également permis d’obtenir des examens médicaux gratuits tous les mois, ainsi que des médicaments, de l’eau et des produits d’hygiène. « Parfois, je me dis que je devrais retourner dans mon village avant d’y renoncer. Nous n’avons plus rien là-bas et les proches de la famille de mon mari n’y sont pas favorables. Ce qui veut dire que je devrai rester ici toute ma vie. » Comme Nurjahan, Nipa Begum vient du district de Barishal et vit aujourd’hui dans le bidonville de Duaripara. « J’ai vu notre maison emportée et reconstruite neuf fois de suite à cause de l’érosion de la rivière. Nous avons donc décidé de venir à Dhaka il y a dix ans », explique Nipa, 24 ans et mère d’un fils de trois ans. Après avoir trouvé un emploi au sein d’une usine de textile, elle s’est mariée il y a environ huit ans avec un collègue. « Il y a eu des complications après la naissance de mon fils et je n’ai pas pu retravailler depuis. Mon mari est donc le seul à subvenir aux besoins de la famille », explique-t-elle. Depuis 2017, Nipa bénéficie elle aussi du projet Sail de la Caritas, dont des traitements et des médicaments gratuits tous les mois. Son fils est également accueilli tous les jours au sein d’une crèche gérée par la Caritas.
15 millions d’habitants pour 306 kilomètres carrés
Dhaka, la ville la plus grande du pays et l’une des plus densément peuplées au monde, compte plus de 15 millions d’habitants pour 306 kilomètres carrés. Près de 60 % d’entre eux vivent dans les bidonvilles, selon l’ONG Arban (Association for realization of basic needs) basée à Dhaka, qui s’occupe des habitants des bidonvilles. La plupart d’entre eux sont des réfugiés des conditions climatiques des régions du nord et du sud du Bangladesh. « Les changements climatiques ont provoqué des catastrophes naturelles comme des cyclones, des inondations et l’érosion des rivières qui ont provoqué la fuite de millions d’habitants des régions rurales vers les villes, après avoir perdu leurs foyers. Ils sont motivés par le rêve d’une vie meilleure mais ils finissent par vivre dans une extrême pauvreté », explique le professeur Tasneem Siddiqui, fondateur et président du département des réfugiés et des mouvements migratoires au sein de l’université de Dhaka. Chaque année, 70 % des Bangladais qui arrivent à Dhaka viennent des régions rurales, contre 10 % pour la ville portuaire de Chittagong, dans le sud-est du pays. Malgré l’indépendance du Bangladesh en 1971, le développement et la richesse du pays sont restés concentrés sur quelques villes qui ont attiré beaucoup de monde en quête de réussite, poursuit Tasneem Siddiqui. « À part le changement climatique, la pauvreté est le principal facteur qui pousse les gens à venir en ville. Il y a peu d’opportunités d’emplois dans les zones rurales à part l’agriculture traditionnelle, la pêche et les petits commerces. Si le développement était décentralisé, la situation à Dhaka ne serait pas ainsi. »
Le Bangladesh compte plus de 160 millions d’habitants pour 147 570 kilomètres carrés, ce qui en fait le huitième pays le plus peuplé au monde. Près de 75 % de la population vit dans les régions rurales. Selon la Banque mondiale, il s’agit de l’un des pays les plus pauvres au monde alors que près d’un quart des Bangladais gagne moins de 2 dollars par jour et vit dans une extrême pauvreté. Le Bangladesh est situé sur les plaines inondables du plus grand delta au monde, traversé par plus de 300 fleuves qui se déversent dans la baie du Bengale, exposant particulièrement le pays aux catastrophes naturelles. La plus grande partie du pays est située sur un terrain plat à seulement quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Selon le Centre international de veille des migrations, durant la dernière décennie, une moyenne de 700 000 Bangladais ont été déplacés chaque année à cause des intempéries dans le pays. Les climatologues craignent que d’ici 2050, de vastes régions côtières bangladaises ne subissent l’élévation du niveau de la mer, forçant quelque 20 millions de Bangladais à trouver refuge. « Davantage de changements climatiques implique plus de migrations à Dhaka, une ville qui est pourtant déjà au bord de la crise. La situation risque d’empirer si cela continue », analyse Tasneem Siddiqui.
(Avec Ucanews, Dhaka)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews