Eglises d'Asie – Birmanie
Les moines bouddhistes divisés sur le mouvement de résistance, les minorités religieuses de plus en plus visibles
Publié le 16/03/2021
Mais où sont les moines ? Depuis le début du mouvement de résistance civile à la junte militaire, beaucoup s’interrogent. De nombreux moines bouddhistes sont pourtant présents chaque jour dans les cortèges de manifestants, mais contrairement à la « révolution safran » de 2007, baptisée ainsi précisément en référence à la couleur de la robe des religieux, ils ne sont pas à la tête du mouvement de contestation. « Le contexte est très différent », estime le Pr Ashley South, chercheur à l’université de Chiang Mai et spécialiste de la Birmanie. « En 2007, les moines avaient initié le mouvement parce que sous dictature militaire, personne d’autre qu’eux ne pouvait le faire. En plus, l’élément déclencheur de la révolte était d’ordre économique, les réformes engagées par les militaires menaçaient les ressources des gens ordinaires, ceux précisément qui nourrissent les moines. » Comme dans toute l’Asie du Sud Est, les moines bouddhistes et la société civile sont intimement liés (la majorité des hommes bouddhistes sont moines à un moment de leur existence). Les bonzes birmans font régulièrement partie des mouvements de rue de tous les bords politiques – du nationalisme conservateur le plus xénophobe, comme le célèbre moine Wirathu qui avait mené des manifestations antimusulmans en 2017, au libéralisme affiché par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi. Pourtant, le code de vie monastique auxquels ils sont soumis, le Vinaya, leur interdit théoriquement de prendre part à des manifestations politiques ou même de voter : « Le mouvement de 2007 était une exception », poursuit le Pr South. « Il y a maintenant un côté un peu cliché, presque carte postale, à vouloir absolument que les moines mènent les mouvements sociaux en Birmanie. Mais la plupart sont repartis méditer. »
Offensive de charme de la junte auprès des religieux
Si le Sangha, le clergé bouddhiste, est donc loin d’être monolithique sur le plan politique et qu’il est traversé des mêmes clivages générationnels et sociaux que la société civile, il est néanmoins indéniable que certains moines, y compris des chefs de monastères, soutiennent les militaires. Quelques jours avant le coup d’État, des moines ont manifesté à Rangoun et à Naypyidaw, pour dénoncer des fraudes supposées aux élections de novembre dernier, faisant ainsi écho au discours officiel de l’armée. Dans les semaines qui ont précédé le coup, le général Min Aung Hlaing a multiplié les visites et dons à des monastères importants, et le 8 février, dans son premier discours à la nation, il a annoncé comme l’une des toutes premières mesures du gouvernement militaire la « réouverture des pagodes sur tout le territoire national à l’usage du public ». Des pagodes emblématiques comme la Shwedagon à Rangoun ou Mahamuni à Mandalay étaient fermées depuis plusieurs mois pour cause de Covid-19. On note aussi que le général en chef, très rapidement après le coup d’État, a rendu visite au cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, en offrant du matériel médical : l’offensive de charme de la junte militaire a donc aussi concerné les catholiques. Cette visite n’a d’ailleurs pas empêché le cardinal d’appeler à la libération de tous les prisonniers politiques et de dénoncer « la brutalité de la dictature militaire ».
« Certains moines, et notamment ceux qui bénéficiaient le plus de l’association Bouddhisme-État-Armée, ont pu se sentir menacés sous le gouvernement d’Aung San Suu Kyi » estime Khin Mar Kyi, chercheuse à l’université d’Oxford et ancienne militante du mouvement anti-junte de 1988. « Jusqu’à une période récente, être Birman équivalait strictement à être bouddhiste », ajoute-t-elle. « À l’école, on nous enseignait même que Bouddha était birman, et que la ville de Varanasi [ou Bénarès, en Inde, où fut fondé le bouddhisme] se situait en Birmanie » assure Khin Mar Kyi. Mais la visibilité grandissante accordée aux minorités, la libéralisation des mœurs et une jeunesse moins tournée vers les questions religieuses ont fait penser à certains moines qu’un gouvernement mené par la NLD était incapable de protéger l’identité birmane et sa spécificité bouddhiste. Des projets de réformes visant à diminuer le budget du ministère des Affaires religieuses, notamment le financement des universités monastiques, ont achevé de les convaincre.
Une diversité religieuse jusque-là peu représentée
Le relatif effacement des moines a laissé place à l’implication d’autres communautés religieuses, au premier rang desquelles les religieuses et prêtres chrétiens. Les images de sœur Ann Rose Nu Tawng, cette religieuse Kachin agenouillée devant la police à Mitkyna le 9 mars dernier, les suppliant de ne « pas tirer sur les enfants », offrant sa vie en échange, ont fait le tour du monde. Dès les premiers jours suivant le coup d’État, Mgr Marco Tin Win, l’évêque de Mandalay, est sorti dans les rues de la ville à la rencontre des manifestants avec le salut emblématique à trois doigts levés. « L’importance des religieux chrétiens dans les manifestations est à l’image des évolutions de la société du Myanmar, avec une revendication de visibilité des minorités », estime Khin Mar Kyi. Même les communautés musulmanes, régulièrement pointées du doigt ces dernières années dans la presse et l’opinion birmane, sont très actives dans le mouvement anti-junte. Des cérémonies funéraires, dirigées par des imams à Rangoun, de jeunes Musulmans tombés sous les balles de la police, ont donné à voir des images inhabituelles de bouddhistes et musulmans enlacés. Les moines bouddhistes ne sont donc pas absents du mouvement anti-junte, mais celui-ci, très rassembleur, donne à voir une diversité religieuse jusque-là peu représentée en Birmanie.
(EDA / Carol Isoux)
CRÉDITS
Congrégation des Sœurs du Bon Pasteur