Eglises d'Asie

Les nouvelles sanctions européennes vues depuis le nord-ouest birman, toujours en proie aux conflits

Publié le 23/02/2022




Le 21 février, l’Union européenne a imposé de nouvelles sanctions contre la junte en ciblant 22 responsables, dont 4 ministres et 4 entités économiques (dont le conglomérat Htoo Group, accusé de faciliter l’achat d’armes, et la Myanmar Oil and Gaz Enterprise, en charge des ressources pétrolières et gazières). L’UE répond ainsi aux demandes du Gouvernement d’unité nationale, sans avoir eu à forcer la main au géant pétrolier Total qui avait déjà annoncé sa sortie du pays en janvier. Cette réponse tardive n’aura que peu d’impact concret alors que la résistance birmane lutte toujours à armes inégales.

Sur la route menant au checkpoint de Mae Sai, avant la frontière vers la ville birmane de Tachilek (État Shan).

Entre fin janvier et début février, au moins 40 civils ont été abattus par des frappes aériennes et des attaques de l’armée birmane dans la région de Sagaing. La région montagneuse échappe pour une large part au contrôle de la junte militaire. Des manifestations pacifiques contre le coup d’État s’y tiennent dans des zones « libérées », les attaques de guérilla des groupes révolutionnaires se poursuivent. Ces groupes, liés de loin au Gouvernement d’unité nationale (NUG), infligent de lourdes pertes aux militaires birmans et aux milices dites Phyu Saw Htee formées par la junte.

Les colonnes de soldats sont harcelées par les groupes de résistants, qui déclarent abattre des dizaines de soldats chaque semaine – sans que les médias puissent vérifier ces chiffres. Cette semaine, le gouverneur de la région nommé par le régime militaire, U Myat Myaw, a été attaqué pour la sixième fois par mines antipersonnel lors d’un déplacement. Les responsables de la junte birmane ont d’ailleurs démis le lieutenant général Than Hlaing, en charge du commandement militaire de la région nord-ouest depuis octobre 2021.

Malgré des milliers de soldats envoyés en renfort depuis la fin de la saison des pluies à l’automne 2021, la résistance refuse toujours à l’armée la capacité d’assurer le contrôle administratif du nord-ouest birman dans les régions Chin, Magway et Sagaing. Dans ces zones, pour la première fois depuis le coup d’État de 1962, la résistance combattante s’est étendue à l’ethnie majoritaire bamar. Les soldats birmans tirent désormais sur leurs frères ethniques, de confession bouddhiste.

« La résistance s’autofinance et s’auto-défend »

Toutefois, les groupes de résistance du nord-ouest et du reste du pays souffrent toujours du manque de soutien de la communauté internationale et du Gouvernement d’unité nationale. Tous les groupes dits de « Forces de défense du peuple » réclament un soutien financier et surtout des armes, alors qu’ils affrontent les soldats de la dictature, principalement avec des mousquets et des fusils de fabrication artisanale. Plus d’un an après le début de la résistance, les photos et vidéos des combats dans la région de Sagaing, postées sur les réseaux sociaux, révèlent des armes improvisées et fragiles à un coup, incapables de lutter contre les canons automatiques et les engins mitrailleurs des hélicoptères de plus en plus mobilisés dans le conflit.

Dans l’État Chin voisin à majorité chrétienne, sur la frontière indienne, le magazine Foreign Policy note que « les groupes armés sont sous-armés et sous-financés ». Les résistants survivent uniquement grâce aux donations. Selon un porte-parole du Burma Human Rights Network, M. Kyaw Win, « dans le Sagaing, les femmes des villages, les mères, les épouses et les filles donnent leurs bijoux aux hommes pour qu’ils puissent trouver des armes et lutter, se protéger. La résistance s’autofinance et s’auto-défend ».

En plus des frappes aériennes et de l’artillerie, les forces de la dictature se distinguent par leur brutalité extrême et leur propension à viser des cibles civiles. Selon un rapport du groupe de recherche indépendant Data for Myanmar, publié en février, les militaires ont brûlé plus de 4 500 maisons civiles dans le pays depuis le 1er février 2021, dont plus de 80 % se situent au nord-ouest du pays.

La communauté internationale condamne mais se révèle impuissante

Dans ce contexte, le gouvernement représentatif dit d’Unité nationale, constitué de parlementaires et de représentants des groupes ethniques, s’efforce d’alerter la communauté internationale et de demander des actions concrètes d’aide et de soutien. Avant l’annonce des nouvelles sanctions européennes, deux membres du NUG (Aung Myo Min, ministre des Droits de l’homme et le Dr Zaw Wai Soe, ministre de la Santé) se sont rendus à Paris en parlant à la presse, aux parlementaires et au gouvernement, afin de demander la reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale comme gouvernement légitime et des sanctions pour priver la junte des ressources financières internationale.

Mais les nouvelles sanctions arrivent tard et ne semblent pas pouvoir faire fléchir les généraux birmans. L’ancienne ambassadrice britannique en Birmanie, Mme Vicky Bowman, faisait remarquer en janvier 2021 que le départ de Total et du partenaire américain Chevron signifie la vente de leurs parts à l’entité birmane MOGE et à l’opérateur thaïlandais PTT, en risquant d’augmenter les revenus du champ pétrolier de Yadanar pour l’armée birmane. Les sanctions portent certes un coup à l’image du régime militaire et devraient décourager tout nouvel investissement responsable dans le pays, mais elles ne pourront pas libérer le peuple birman de l’armée qui le tient en otage.

Le dictateur Min Aung Hlaing semble décidé à poursuivre une politique d’isolement relatif sur la scène internationale. Alors que l’ASEAN a nommé un nouvel envoyé spécial pour la Birmanie, le ministre cambodgien des affaires étrangères Prak Sokhonn, sa demande d’autorisation pour rencontrer les représentants du Gouvernement d’unité national a été refusée par l’armée birmane, trois jours seulement après avoir été envoyée. La junte birmane est devenue depuis 2021 le premier état membre de l’ASEAN à se voir refuser l’accès aux réunions ministérielles, un symbole fort mais qui ne fait pas trembler le général Min Aung Hlaing.

« Beaucoup se cachent derrière l’ASEAN pour échapper à leurs responsabilités »

Le refus des généraux birmans de négocier tranche avec la recherche du dialogue et du compromis que soutiennent l’ASEAN et les Nations unies par la voie de SM Noelenn Heyzer, envoyée spéciale pour la Birmanie. Le journaliste et expert de la Birmanie, Bertil Lintner, déclarait début février 2022 qu’« après plus de 40 ans d’observation de la Birmanie, mon sentiment est que l’armée n’a aucune volonté de négocier. Son seul horizon est d’asphyxier ses adversaires pour les forcer à accepter sa domination ».

Le ministre de la coopération international pour le Gouvernement d’unité nationale, le Dr Sasa, faisait remarquer, lors de l’anniversaire du coup d’État, que « beaucoup des membres de la communauté internationale mettent en avant le rôle de l’ASEAN pour résoudre la crise. En réalité beaucoup se cachent derrière l’ASEAN  [pour échapper à leurs responsabilités] ».

Tandis que ces longues négociations se révèlent stériles, la junte birmane augmente ses achats d’armes à la Russie et accueille de mystérieux vols en provenance d’Iran. Le dernier en date est arrivé le 16 février à Naypyidaw, depuis Mashhad, la capitale religieuse iranienne, et suspecté de transporter des armes selon le site Asia Times. La connexion nouvelle entre le régime chiite-musulman iranien et l’armée du général Min Aung Hlaing, responsable du génocide Rohingya, est aussi surprenante qu’inquiétante.

Les voisins directs de la Birmanie n’ont pas coupé leurs relations avec la junte, les réfugiés birmans rencontrent à l’inverse de sérieuses difficultés aux frontières thaï, chinoise et indienne. Aucun de ces trois pays n’a encore accepté de rencontrer ouvertement les représentants du Gouvernement d’unité nationale, expliquant en partie les difficultés immenses bloquant le soutien de ce dernier aux populations et aux groupes de résistance à l’intérieur du pays.

La nouvelle vague de Covid qui frappe actuellement la Birmanie – sans chiffre fiable pour les nouveaux cas, mais alors que seule 30 % de la population birmane a reçu au moins une dose de vaccin – rappelle à ces puissances les problèmes qui accompagnent le retour des militaires au pouvoir. En l’absence de soutien concret de puissances extérieures, la guerre civile birmane n’est appelée qu’à continuer sans perspective de victoire ni de fin.

Dans une tribune pour le journal The Irrawaddy, le chercheur David I. Steinberg, spécialiste de la Birmanie, compare la situation à une partie d’échecs dans laquelle l’armée birmane a perdu le pays [au sens de sa légitimité], mais où la résistance n’a pas gagné et où les populations souffrent.

(EDA / Salai Ming)


CRÉDITS

Chainwit