Eglises d'Asie

Les premiers pas du nouveau gouvernement Srettha Thavisin après des mois de tourmente politique

Publié le 30/09/2023




Le gouvernement Srettha Thavisin, élu le 22 août, débute son mandat dans une atmosphère économique favorable, mais le camp pro-démocratie se sent trahi. Srettha a pu accéder à ce poste après plusieurs mois d’un face-à-face tendu entre conservateurs et réformistes. Lors des législatives de mai, c’est le parti Move Forward, considéré comme le « parti de la jeunesse », qui l’avait emporté, mais les élites n’ont pas pardonné à Pita Limjaroenrat, jeune chef du parti, ses attaques contre l’armée et ses positions sur la réforme du crime de lèse-majesté.

Srettha Thavisin, le 22 août dernier au siège du parti Pheu Thai à Bangkok, lors d’une interview après son élection par l’Assemblée nationale thaïlandaise.

Cinq milliards d’euros : c’est le montant des investissements promis par les compagnies Tesla, Google et Microsoft pour de nouveaux centres de production en Thaïlande, a annoncé au cours d’une conférence de presse, le lundi 25 septembre, le nouveau Premier ministre, Srettha Thavisin. Élu le 22 août dernier par le Parlement et les sénateurs, cet ancien magnat de l’immobilier, âgé de 61 ans, membre du parti Pheu Thai, a été choisi pour sa personnalité consensuelle et sa maîtrise des questions économiques.

Pourtant, à l’issue des élections législatives du mois de mai, Srettha n’était pas pressenti pour devenir Premier ministre. Ce n’est qu’à l’issue de plusieurs mois d’un face-à-face très tendu entre le clan conservateur et les réformistes qu’il a pu accéder à ce poste.

Le 14 mai dernier les Thaïlandais ont en effet voté majoritairement pour un autre parti, le Move Forward (Aller de l’avant), qui était considéré jusqu’alors comme « le parti de la jeunesse » à cause de la moyenne d’âge de ses candidats, trente-neuf ans, très inférieure à celle des autres partis. « Grâce à un programme politique très détaillé, fondé sur des éléments concrets, des études scientifiques, le Move Forward a su sortir des cercles étudiants et convaincre la majorité des Thaïlandais », estime Pim Virakul, une jeune militante. Les discours rationnels et argumentés de ses dirigeants s’écartent des traditionnelles oppositions claniques entre « Rouges » (classes populaires du Nord-Est) et « Jaunes » (conservateurs urbains) qui animent en général les joutes politiques thaïlandaises.

Une nouvelle génération de Thaïlandais revendique plus de liberté d’expression

En mai, c’est Pita Limjaroenrat, un jeune économiste brillant, diplômé de l’université américaine de Harvard, qui emmène le Move Forward à la victoire. Lors de la campagne, les candidats du parti osent évoquer des sujets tabous comme la corruption de l’administration. « Imaginez tout ce qu’on pourrait faire avec cet argent », lançait Thanatorn Juangroonruangkit, une figure célèbre du parti, lors d’un meeting en banlieue de Bangkok au mois d’avril. « Avoir des transports publics, des services de santé qui fonctionnent… C’est le moment de s’autoriser à rêver. » Surtout, ils évoquent la baisse du budget de l’armée destinée à financer la réforme du système éducatif et une possible réforme de la loi sur le crime de lèse-majesté, un point important pour la nouvelle génération de Thaïlandais qui revendique plus de liberté d’expression.

Le résultat des élections législatives prend tout le monde par surprise : le 14 mai au soir, la Commission électorale annonce que le Move Forward a remporté 151 des 500 sièges de l’Assemblée nationale, dont tous les sièges de Bangkok, ce qui en fait le premier parti du pays. C’est un triomphe pour le parti de la jeunesse. « Les Thaïlandais ont clairement exprimé leur rejet des militaires et des partis qui leur sont affiliés », estime Pravit Rojnapruek, un éditorialiste. Fort de cette victoire, Pita Limjaronerat se tient prêt à devenir Premier ministre. Les dirigeants du principal parti allié, le Pheu Thai – un parti soutenu par le vote des campagnes du Nord, dominé par la figure de l’ancien Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra –, annoncent être prêts à seconder les élus du Move Forward dans un gouvernement de coalition pro-réformes.

Srettha Thavisin, le 22 août dernier au siège du parti Pheu Thai à Bangkok, lors d’une interview après son élection par l’Assemblée nationale thaïlandaise.

« Ça revient à dire aux Thaïlandais : on se moque de votre vote »

C’était sans compter l’opposition des élites royalistes et pro-militaires, qui ne pardonnent pas à Pita ses attaques contre l’armée et ses positions sur la réforme du crime de lèse-majesté, vue comme une brèche vers une possible abolition de la monarchie. Une pluie de procédures judiciaires s’abat sur lui. La Cour constitutionnelle lui reproche notamment le fait qu’il ait détenu des parts dans une entreprise de presse au moment de l’ouverture de la campagne des législatives. Il a beau argumenter que l’entreprise de presse en question n’est plus active depuis 2014, rien n’y fait, sa candidature est affaiblie.

En fait le combat est perdu d’avance, car selon une clause de la Constitution mise en place par le gouvernement militaire, 250 sénateurs nommés par les généraux participent eux aussi au vote pour le choix du Premier ministre. Malgré la majorité dont il dispose à l’Assemblée, Pita ne parvient à rallier que 13 sénateurs et échoue à obtenir assez de voix pour être élu. Il faut proposer un autre candidat, le nom de Srettha Thavisin, du parti Pheu Thai, commence alors à circuler.

C’est alors que le Pheu Thai effectue un virage radical. Ses dirigeants annoncent abandonner leur allié, le Move Forward, et forment une nouvelle alliance avec les partis pro-militaires, pourtant leurs ennemis politiques jurés. Certains électeurs, notamment ceux des campagnes, crient à la trahison, d’autres y voient un réalisme inévitable. « C’est sûr qu’ils auraient eu du mal à gouverner avec les jeunes, les sénateurs n’auraient jamais approuvé », considère Anuwat Thongchai, cultivateur de maïs dans la région de Mae Sot et fervent supporter du Pheu Thai. « Mais ça revient à dire aux Thaïlandais : on se moque totalement de votre vote. » Le parti Move Forward, pourtant investi d’un large mandat populaire, se retrouve donc éjecté de la coalition gouvernementale et rejeté dans les rangs de l’opposition.

Retour de Thaksin Shinawatra après 15 ans d’exil

Le jour même de l’élection de Srettha, Thaksin Shinawatra, ancien Premier ministre renversé par un coup d’État en 2006 puis condamné pour fraude à huit ans de prison, fait son grand retour après quinze ans d’exil. Dès son arrivée, il est emmené par la police, mais il ne passe que quelques heures dans la salle d’attente de la prison avant d’être emmené vers un hôpital privé où sa famille possède une suite. Son rapport médical précise qu’il souffre « d’insomnie et d’hypertension ». « Lorsque Thaksin est revenu, il est devenu clair pour tout le monde que la trahison du Pheu Thai était le prix à payer pour le retour de Thaksin et la garantie qu’il ne passerait pas une nuit en prison », estime Pravit Rojnaprek.

Malgré l’indignation, les députés du Move Forward restent aujourd’hui très discrets. Interdit d’exercer ses fonctions de député par la Cour constitutionnelle, Pita, très combatif pendant toute la campagne, a démissionné le 15 septembre de la direction du parti. Aucun appel à descendre dans la rue n’a été formulé auprès de leur large base de soutien étudiante. « Ils sont jeunes, ils ont le temps, ils savent que la prochaine fois sera la bonne », espère Pi Toy, une électrice déçue. À partir de 2024, les sénateurs thaïlandais n’auront plus le droit de participer au choix du Premier ministre. Les jeunes politiciens du Move Forward jouent donc la carte du long terme en attendant les prochaines élections. À moins que d’ici là, le clan conservateur ne trouve un autre moyen de se maintenir au pouvoir, en contradiction du vote populaire.

(EDA / Claire Lapierre)