Eglises d'Asie – Birmanie
L’évolution du nationalisme bouddhiste et le nouveau rôle de la jeunesse birmane
Publié le 06/01/2023
Ce mercredi 4 janvier, la Birmanie célébrait le 75e anniversaire de son indépendance après la fin du régime colonial britannique. Ces célébrations surviennent presque deux ans après le coup d’État du 1er février 2021, et après quelques décennies de régime militaire, le pays se retrouve à nouveau en pleine crise politique et face à une guerre civile violente.
L’un des effets les plus marquants de la transformation du pays concerne l’évolution du nationalisme bouddhiste, qui a traversé au moins trois périodes différentes selon le professeur David Moe, de l’université de Yale et originaire de l’État Chin, majoritairement chrétien.
« Avant l’indépendance, le nationalisme bouddhiste était avant tout anticolonial et antioccidental, ce qui fait qu’il a rassemblé différents groupes, des moines bouddhistes aux paysans et aux étudiants », explique l’universitaire birman. « Après 1948 [année de l’indépendance du pays] en revanche, ce genre de nationalisme s’est plutôt opposé aux minorités ethniques et religieuses, en particulier les musulmans et les chrétiens, tandis que l’identité bouddhiste commençait à être de plus en plus identifiée à celle de la majorité Bamar. »
La Birmanie compte environ 135 groupes ethniques différents, dont huit groupes principaux. L’ethnie Bamar, qui est principalement concentrée dans la région centrale du pays, représente environ 68 % de la population totale. Même avant l’indépendance, les groupes ethniques minoritaires, vivant en majorité dans les régions montagneuses le long des frontières birmanes, s’étaient organisés de manière indépendante, créant leurs propres milices armées pour lutter contre le gouvernement central.
« Le nationalisme bouddhiste est en train d’imploser »
Au fil des années, les appartenances ethniques ont joué un rôle de plus en plus important à l’échelle nationale, « à tel point qu’aujourd’hui encore, la carte d’identité de tout Birman indique l’ethnie et la religion du porteur », indique le professeur Moe, dont la recherche porte notamment sur la religion comme source de conflit et de réconciliation.
« Mais depuis le coup d’État [du 1er février 2021], le nationalisme bouddhiste est en train d’imploser ; on n’avait jamais rien vu de tel que les PDF auparavant », précise-t-il. La référence ici concerne les Forces de défense populaires (PDF), la branche armée du Gouvernement d’unité national (NUG) en exil (ce dernier étant composé principalement d’anciens élus de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti fondé par Aung San Suu Kyi). La « Dame », ainsi qu’elle est connue à travers le monde, était à la tête du gouvernement précédant avant d’être arrêtée durant le coup d’État. Elle a été condamnée récemment, à la fin d’un nouveau simulacre de procès, à une peine de 33 ans de prison.
Ainsi, aujourd’hui, « pour la première fois, la majorité Bamar et les minorités ethniques ont un ennemi commun : l’armée », poursuit David Moe, qui souligne l’ironie de la situation alors que c’est le propre père d’Aung San Suu Kyi qui a fondé l’Armée nationale birmane, l’ancêtre de la Tatmadaw (nom officiel de l’armée birmane actuelle). Certains dirigeants des Forces de défense populaires ont même demandé pardon auprès des représentants des minorités, en disant qu’ils avaient enfin fini par comprendre leurs souffrances après des années de discriminations et de violences.
« Cela ouvre la possibilité de la création d’une Birmanie fédérale »
« D’un côté, c’est positif parce que cela ouvre la possibilité de la création d’une Birmanie fédérale au cas où la résistance réussirait à défaire le nationalisme birman », estime le professeur Moe, qui ajoute que ce serait possible « seulement avec une défaite totale de l’armée, qui est soutenue par la Russie et qui protège les groupes bouddhistes les plus extrémistes ». « Au Sri Lanka aussi, par exemple, il y a des groupes radicaux qui sont liés à l’ethnie cingalaise, mais ces groupes-là, contrairement à la Birmanie, ne bénéficient pas du soutien direct des forces armées. »
Ce n’est donc pas une coïncidence si ce mercredi 4 janvier, jour de l’indépendance, la junte birmane a décidé d’honorer le moine Wirathu, parfois surnommé le « Ben Laden bouddhiste » et même décrit comme « le visage de la terreur bouddhiste » par le magazine Time en 2013. Pour l’occasion, la junte militaire a annoncé l’amnistie de plus de 7 000 prisonniers, mais dans le passé, il est déjà arrivé que l’armée arrête et emprisonne à nouveau des prisonniers fraîchement libérés.
Après le coup d’État, une autre particularité est apparue avec la présence de militants très jeunes au sein de la résistance. « En 1947 [contre le régime colonial britannique] et en 1988 [contre la dictature militaire marxiste, au pouvoir après 1962], les mouvements étudiants avaient déjà joué un rôle contre l’armée, mais aujourd’hui, on voit même des jeunes qui sont nés dans les années 2000, et dont le rejet de la religion est un signe distinctif », poursuit l’universitaire.
Il souligne toutefois que les idéaux religieux continuent d’imprégner la vie des jeunes birmans. « La nouvelle génération n’est pas tellement intéressée par le fait d’aller au temple ; ils ne pratiquent plus les rites, mais ils sont revenus à ce que j’appellerais un ‘bouddhisme moral’. C’est-à-dire qu’ils cherchent une façon de rejeter le mal et de changer les choses qui ne vont pas dans la société. Ils n’ont donc pas abandonné les enseignements bouddhistes, même si la religion n’est pas bien vue, en particulier en politique. »
Les jeunes sont passés d’un mouvement non violent à la résistance armée
Le chercheur fait aussi un parallèle avec l’histoire d’Aung San Suu Kyi, qui est revenue dans son pays dans les années 1980 après être partie étudier à l’étranger, afin de s’opposer à la dictature militaire de l’époque avec des principes non violents, inspirés par Mahatma Gandhi et par les préceptes bouddhistes. « Aung San Suu Kyi est toujours vénérée presque comme une déesse et tout le monde la soutient beaucoup ; toutefois son erreur a été de chercher à plaire aux généraux entre 2015 et 2020, en mettant de côté la question ethnique », raconte le professeur Moe. Il reconnaît toutefois ses efforts au fil des années en cherchant à mettre fin aux tensions entre les milices ethniques et l’armée.
« Sean Turnell, le conseiller économique australien d’Aung San Suu Kyi, qui a été récemment libéré de prison, a affirmé récemment que l’ancienne dirigeante approuve les actions de la résistance, y compris les combats », poursuit-il. De même, les jeunes birmans veulent non seulement se défaire du passé et créer une nouvelle Birmanie, mais se retrouvent forcés de se battre. « Au début, eux aussi se sont opposés au coup d’État de manière non violente, en créant un mouvement de résistance civile, mais l’armée les a attaqués, en les forçant de prendre les armes. »
(Avec Asianews)
CRÉDITS
John Zaw / Ucanews