Eglises d'Asie

L’héritage de la visite du pape à Dhaka, un an après

Publié le 05/12/2018




Même si la société bangladaise a entendu les appels du pape François pour la justice et l’ouverture, l’héritage de sa visite dans le pays, du 30 novembre au 2 décembre 2017, semble s’affaiblir selon Mgr D’Cruze, président de la commission épiscopale bangladaise pour l’unité des chrétiens et le dialogue interreligieux. Le 1er décembre 2017, des milliers de catholiques bangladais (photo) avaient accueilli le Saint-Père au Suhrawardy Udayn Park de Dhaka, la capitale. Sa venue avait permis de mettre en lumière une minuscule minorité de seulement 600 000 chrétiens.

La visite du pape François au Bangladesh, fin 2017, a produit un effet positif sur toute la société bangladaise, et son appel à garder un « cœur ouvert » a encouragé les gens à se démener pour dépasser leurs différences et écarter les menaces extrémistes, selon Mgr Bejoy N. D’Cruze, évêque de Sylhet dans le nord-est du pays. Bien que la visite du pape ait touché les vies d’un grand nombre de Bangladais, beaucoup reste à faire pour concrétiser pleinement son appel à une culture de l’amour et de la justice, affirment les représentants des communautés chrétiennes, musulmanes et hindoues dans le pays. « Le Bangladesh offre une grande diversité religieuse, et la population désire ardemment l’harmonie religieuse. Durant plusieurs décennies, l’Église a défendu activement le dialogue entre les différentes religions présentes dans le pays », soutient Mgr D’Cruze, président de la commission épiscopale bangladaise pour l’unité des chrétiens et le dialogue interreligieux. « Le message du pape, un message d’amour et de paix, a suscité un nouvel élan dans nos efforts pour faire vivre ensemble des gens de toutes croyances et origines », poursuit-il. Le pape François s’est rendu à Dhaka du 30 novembre au 2 décembre 2017. Il s’agissait du troisième pape à rendre visite au Bangladesh, après Paul VI en 1970 et Jean-Paul II en 1986. « Avant-même son arrivée, il était déjà très populaire auprès de toute la population », assure Mgr D’Cruze. « C’est en grande partie dû à sa défense acharnée des pauvres et des opprimés, et son appel à la fin d’une culture d’injustice et de corruption. Les Bangladais ne l’ont pas uniquement accueilli en tant que haut responsable religieux, mais aussi pour son action à l’échelle mondiale pour la paix et auprès des sans-voix. » Malgré la résurgence du radicalisme islamique dans la région, le pape a choisi le pays pour sa longue tradition de pluralisme et d’harmonie religieuse, estime l’évêque de Sylhet.

Seulement 600 000 chrétiens bangladais

Sa visite a permis de soutenir les contributions des chrétiens à la société bangladaise, alors qu’ils représentent moins d’un demi-pourcent des 160 millions d’habitants du pays, confie Nirmol Rozario, président de l’Association chrétienne bangladaise, la plus grande association chrétienne interconfessionnelle du pays. « Les chrétiens sont une minuscule minorité, mais ils ont fait d’importantes contributions dans plusieurs secteurs, y compris l’éducation, la santé et le développement social. Mais ils peuvent faire plus dans les domaines de la justice, des droits de l’homme et de défense de la paix », souligne Nirmol Rozario. « La visite du pape a contribué à ce qu’ils soient reconnus et mieux respectés dans le pays », ajoute-t-il. L’islam est majoritaire au Bangladesh, avec environ 90 % de fidèles, suivis de 8 % d’hindous, puis des minorités bouddhistes et chrétiennes. On compte environ 600 000 chrétiens, pour la plupart catholiques, répartis dans huit diocèses. Près de la moitié des chrétiens sont originaires de minorités ethniques. Malgré le faste et l’excitation qui ont entouré cette visite historique du pape il y a un an, beaucoup de catholiques n’ont pas encore mis en pratique ce que le pape leur a enseigné, selon Mgr D’Cruze. « Le pape s’est également élevé contre le matérialisme et les abus de pouvoir, mais certains fidèles, y compris parmi les responsables religieux, semblent déjà l’avoir oublié », poursuit-il. « La plupart ont écouté son message, mais les autres continuent de mettre leurs devoirs de côté pour leur propre confort. Nous devons travailler dur pour défendre la paix et la justice, non seulement pour les minorités mais pour tout le monde. »

Appel à concrétiser les messages du pape

Selon le Dr Benedict Alo D’Rozario, ancien directeur général de Caritas Bangladesh, « son message a souligné l’urgence d’une croissance inclusive, à la fois pour l’Église et pour l’État. Il a appelé à une plus grande participation des laïcs, des femmes et des jeunes, et il a appelé à venir en aide aux pauvres. Il nous a demandé de dénoncer le matérialisme et d’être saints », ajoute-t-il. Benedict D’Rozario ajoute que l’action pastorale de l’Église intègre les messages du pape, mais que leur application restait pour l’instant au stade de « projet ». « À ce jour, il n’y a pas eu beaucoup de signes visibles des appels du pape. Il a par exemple appelé à prendre la défense des droits des minorités et de la justice pour tous, afin de contribuer à contrer une culture du silence. Mais nous avons encore beaucoup à faire. » Govinda Chandra Pramanik, hindou et avocat à la Cour Suprême bangladaise, confie que la visite du pape a suscité des espoirs de changements sociopolitiques, mais qu’elle n’a pas produit beaucoup de fruits. « Il a appelé à la tolérance et à la stabilité, qui peuvent être atteintes par plus de compromis et par le dialogue. Malheureusement, l’intolérance et l’extrémisme continuent de grandir. Beaucoup n’ont pas su recevoir et assimiler les messages du pape », regrette Chandra.

Durant la visite de trois jours, le pape François a honoré les millions de martyrs de la guerre de 1971 pour l’indépendance avec le Pakistan. Il a rencontré le président Abdul Hamid le 30 novembre, il a présidé une messe publique à Dhaka le 1er décembre, et il a ordonné seize prêtres. Il a également rencontré les évêques catholiques du pays, et participé à une rencontre interreligieuse ayant accueilli des milliers de fidèles de plusieurs confessions religieuses. Le point central de cette rencontre fut une prière aux côtés d’une délégation représentant les réfugiés musulmans Rohingyas ayant fui le pays. Avant de quitter le Bangladesh, il a également rendu visite à un foyer catholique pour sans-abri, et participé à une rencontre interreligieuse en présence de 10 000 étudiants à l’université Notre-Dame de Dhaka.

(Avec Ucanews, Dhaka)


CRÉDITS

Joe Torres et tephan Uttom / Ucanews