Eglises d'Asie

Malgré l’opposition militaire, le NLD fait pression pour changer la Constitution

Publié le 13/03/2019




De nombreuses manifestations populaires ont été organisées dans plusieurs villes birmanes, depuis début 2019, et notamment à Rangoun, Mandalay, Pathein et Magway. Les manifestants cherchent à soutenir la tentative du NLD (Ligue nationale pour la démocratie), le parti au pouvoir de la conseillère d’État Aung San Suu Kyi, d’amender la Constitution de 2008. Les critiques dénoncent le pouvoir démesuré que le texte accorde aux militaires, qui détiennent un droit de veto sur tout changement constitutionnel, un quart des sièges parlementaires et plusieurs ministères clés.

Encouragés par les soutiens et les manifestations populaires qui ont eu lieu dans de nombreuses villes birmanes en février, et notamment à Rangoun, Mandalay, Pathein et Magway, des groupes de militants du parti NLD au pouvoir (Ligue nationale pour la démocratie) continuent de faire pression pour changer la Constitution. Les manifestations ont eu lieu peu après l’autorisation par le Parlement birman, fin janvier, d’une commission de 45 membres chargée de planifier le changement de la Constitution. Depuis, la commission s’est attelée à la préparation d’amendements du texte actuel, rédigé il y a dix ans par la junte militaire pour assurer le maintien au pouvoir de l’armée. Les critiques, qui soulignent que la Constitution donne en effet trop de pouvoir aux généraux, ont salué le travail de la commission comme un pas en avant sans précédent. « Cela prendra du temps, mais nous sommes déterminés à continuer de faire pression pour que cela se fasse, même après les élections générales de 2020 », affirme Mahn Johnny, un membre catholique du NLD. Mahn, ancien ministre en chef de la Région d’Ayeyarwady, dans le delta de l’Irrawaddy au sud du pays, milite pour la paix et la démocratie depuis 2008, quand l’ancien régime militaire a fait voter une nouvelle version de la Constitution lors d’un référendum controversé. Celui-ci a eu lieu seulement quelques jours après le passage du cyclone Nargis, qui a dévasté le delta de l’Irrawaddy en provoquant plus de 138 000 morts. Il s’agit de l’une des pires catastrophes naturelles qu’a connu le pays. « Ce n’est pas normal que le régime ait maintenu le référendum à l’époque, alors que des milliers de victimes avaient perdu la vie », dénonce Mahn, 78 ans. Quand les bulletins ont été dépouillés, les résultats ont été en faveur de la Constitution avec 93,82 % des voix. Certains ont eu du mal à croire ce vaste soutien envers le nouveau texte, en faisant part de leurs doutes sur la tenue libre et non faussée du référendum. Mahn, un député régional de la circonscription de Kyonepyaw dans le delta, soutien que cela a renforcé le rôle de la Tatmadaw (nom officiel des forces armées birmanes) dans la politique du pays, malgré la façade de la démocratie.

Le pouvoir démesuré de l’armée

Le parti NLD a traversé des périodes troublées depuis sa fondation en 1988, dans le cadre du mouvement pro démocratie du pays. La junte l’a déclaré illégal en mai 2010 en demandant sa dissolution. Il a été rétabli en décembre 2011 en remportant 43 sièges sur 45 lors des élections législatives partielles de 2012, sous la direction d’Aung San Suu Kyi. Trois ans plus tard, le NLD remportait la victoire lors des élections générales au sein des deux chambres de l’assemblée. Un succès qui a également installé Aung San Suu Kyi, lauréate du Prix Nobel de la paix en 1991, au poste de conseillère d’État. Ces quatre dernières années, celle-ci a tenté de trouver une façon de coexister avec le régime militaire, mais pour Mahn Johnny, ses ailes sont coupées et le NLD paralysé, à cause d’une Constitution déséquilibrée. Les militants pro démocratie dénoncent en particulier une disposition constitutionnelle qui accorde aux élus militaires un droit de veto contre les propositions de changement de la Constitution, en particulier contre des amendements qui risqueraient de réduire leur influence politique. La Constitution de 2008 stipule également qu’un quart des sièges parlementaires doit être réservé aux militaires, et accorde à l’armée le contrôle de ministères puissants comme l’Intérieur, la Défense et la Sécurité des Frontières.

Utiliser la pression populaire

La Constitution empêche également la conseillère d’État de devenir présidente parce qu’elle s’est mariée avec un étranger. Elle a donc dû se contenter du double rôle de conseillère d’État et ministre des Affaires Étrangères. Kyaw Nyein, un juriste de Rangoun, estime qu’il sera difficile de changer la Constitution, vu l’opposition supposée à la fois des élus militaires et des élus du Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP), le parti de l’ex-junte. « Cela prendra du temps, parce que toutes les clauses devront être examinées et débattues », explique-t-il, alors qu’il s’attend à ce que l’opposition rejette les principaux obstacles. Mahn Johnny confie de son côté que la dernière tentative du NLD, en mai 2014, de recueillir les signatures pour le changement de la Constitution, a rassemblé plus de trois millions de personnes – soit 5 % de la population. Mahn estime par ailleurs que les manifestations populaires de ces dernières semaines, qui ont éclaté de plusieurs villes du pays, sont bon signe. « Ces rassemblements montrent le soutien du public. Le NLD doit utiliser le pouvoir du peuple pour faire pression pour le changement », demande Khin Zaw Win, directeur de l’Institut Tampadipa, basé à Rangoun. Pour lui, le succès repose sur une triple approche : les manifestations populaires, la commission parlementaire, et la poursuite du dialogue entre Aung San Suu Kyi et le commandant en chef de l’armée, le général Min Aung Hlaing. Celui-ci a confié au quotidien japonais Asahi Shimbun, durant une rare interview, qu’il reconnaissait qu’un changement était nécessaire, mais qu’« aucun amendement ne devait déformer le cœur de la Constitution ». De leur côté, les ONG demandent que le pouvoir de l’armée soit contrôlé le plus vite possible, car celle-ci est responsable de violations des droits de l’homme et elle a fait l’objet d’accusation de génocide, notamment dans le cadre de la crise des musulmans Rohingyas.

(Avec Ucanews, Rangoun)

Crédit : European Parliament / CC BY-NC-ND 2.0