Eglises d'Asie

Mgr Olivier Schmitthaeusler, vicaire apostolique de Phnom Penh : « Je sens un grand mouvement de prière »

Publié le 17/04/2020




Après déjà un mois de confinement, le Cambodge commence à préparer l’après-Covid-19. Le 16 avril, la circulation intérieure est revenue à la normale, et le gouvernement a annoncé 122 nouveaux cas de contamination, dont 98 guérisons. Pourtant, après plusieurs semaines d’isolement, les rassemblements religieux sont toujours interdits dans le pays, et l’Église catholique cambodgienne s’adapte tout en témoignant de la ferveur renouvelée de beaucoup de fidèles face à la crise sanitaire. Témoignage de Mgr Schmitthaeusler depuis la paroisse Notre-Dame du Sourire, au milieu des rizières cambodgiennes.

Christ est ressuscité, alléluia ! chantions-nous en ce dimanche de Pâques… Bonne et Heureuse Année ! nous souhaitions-nous aussi ces derniers jours (13-15 avril), alors que le Cambodge entrait dans l’année du Rat, la 2 564e de l’ère bouddhique. Moments de joie pour nous chrétiens après quarante jours de carême et la longue Passion de notre Seigneur. Moments de fête aussi pour les familles, qui se retrouvent après plusieurs mois de séparation pour célébrer la Nouvelle année. Mais cette année, j’ai chanté « Lumière du Christ » dans la nuit noire, sur le parvis vide de l’église, avec pour seule réponse le chant des crapauds et des grenouilles dans les rizières, fraîchement inondées par les premières pluies de la saison. J’ai souhaité mes vœux de bonne année, seul devant une grotte de Lourdes en face d’une caméra.

Depuis le 17 mars, les rassemblements et activités religieuses sont interdits par le ministère de la Santé, et les écoles ont toutes été fermées jusqu’à nouvel ordre par le ministère de l’Éducation de la Jeunesse et des Sports. Les frontières aériennes et terrestres se sont fermées peu à peu aux personnes en laissant passer les marchandises, et plusieurs dizaines de milliers de travailleurs cambodgiens sont rentrés précipitamment de Thaïlande. Au début de la Semaine sainte, nous avons appris que les fêtes de Nouvel an étaient annulées, et les ouvriers en particulier, comme les employés de l’administration ou du secteur privé, ont été sommés d’aller travailler normalement. Le soir du Jeudi saint, les routes de province à province ont été fermées afin d’éviter des retours massifs dans les villages pour le Nouvel an et d’éviter d’éventuelles contagions communautaires.

Préparation de l’après-Covid

Le matin du 16 avril, la circulation intérieure est revenue à la normale, et le gouvernement a annoncé 122 cas de contamination et 98 guérisons (dont 1 Chinois, 1 Belge, 2 Indonésiens, 4 Anglais, 37 Français, 12 Malaisiens et 41 Cambodgiens). On compte encore 24 autres cas testés positifs au Covid-19 qui reçoivent des traitements dans différents hôpitaux. Cette semaine, la loi sur l’état d’urgence doit être votée définitivement par le Sénat, permettant au gouvernement d’avoir un outil pour diriger le pays si la situation sanitaire venait à s’aggraver. L’Église catholique au Cambodge, dans ce contexte, a essayé de s’organiser. Une lettre commune des trois ordinaires de l’Église catholique au Cambodge a été publiée le 22 mars, afin de rappeler que tout rassemblement dans nos communautés (messes, prières communes, réunions et séminaires) est suspendu, y compris la messe chrismale, de même que les messes dans les communautés religieuses présidées par un prêtre venant de l’extérieur. Toutes nos écoles sont également fermées selon les directives du ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports.

Quelques conseils élémentaires ont aussi été recommandés auprès de nos communautés chrétiennes, à commencer par les règles d’hygiène (se laver les mains plusieurs fois par jour, se tenir à distance en saluant de manière traditionnelle). Il leur a également été recommandé d’éviter les lieux de rassemblement (marchés, cafés, cérémonies de mariages, funérailles…) et de rester chez soi en cas de toux et de fièvre, en portant un masque de protection. Le Vicariat apostolique de Phnom Penh a également été très proactif. Dès le 12 mars, j’ai donné des directives afin d’éviter les vas et viens au centre pastoral, concernant les personnes venant de pays contaminés – les frontières n’ayant été fermées qu’à partir du 17 mars. Le 19 mars, j’ai également nommé une équipe spéciale Covid-19, composée notamment de représentants des secteurs pastoraux et des offices diocésains. Le dimanche 22 mars, nous avons commencé à célébrer une messe et un chapelet quotidien en direct sur Facebook et Youtube. Notre service des communications sociales est sur le pied de guerre en permanence pour permettre à ceux qui peuvent profiter des services internet de rester en communion, puisque l’Eucharistie ne peuvent plus rassembler physiquement que trois ou quatre fidèles.

Appel à la solidarité

Avec l’annonce de la préparation de la loi sur l’état d’urgence, j’ai demandé à chaque prêtre de s’installer dans une communauté du Vicariat, du dimanche des Rameaux au Nouvel an cambodgien, afin d’y célébrer, certes sans fidèles – mais cette présence est précieuse pour les communautés, qui sont souvent petites et nouvelles dans les villages. Moi-même, je me suis installé dans la paroisse Notre-Dame du Sourire, à 90 kilomètres de Phnom Penh. J’ai été curé pendant dix ans dans cette paroisse, qui rassemble la plus grande communauté cambodgienne du Vicariat ainsi qu’une grande partie des programmes d’éducation et de développement. J’y célèbre chaque jour avec un petit groupe de chrétiens qui viennent à tour de rôle. Le Triduum Pascal a été retransmis avec les moyens du bord, depuis ma cathédrale mobile au milieu des rizières, mais relayée en direct depuis Phnom Penh de manière professionnelle par notre service de communication. Nos écoles catholiques ont mis en place des cours en ligne, en suivant nos élèves depuis les écoles primaires jusqu’au lycée. La semaine prochaine, l’Institut Saint-Paul va également démarrer un programme complet d’enseignement à distance pour nos étudiants. Une formation en ligne a aussi été mise en place pour les institutrices des écoles maternelles.

Enfin, j’ai appelé notre Alliance pour la charité et le développement (qui rassemble nos ONG catholiques), les congrégations religieuses qui travaillent dans différents domaines de la société, les offices du Vicariat (particulièrement du domaine de la santé et de l’éducation catholique) et les entreprises sociales du Vicariat à se préparer à l’après Covid-19. Nous avons déjà participé à des actions ponctuelles de formation à l’hygiène et à la distanciation sociale, et nous organisons des distributions de nourriture, de savons et de masques pour les plus démunis. Il est certain que l’après Covid-19 laissera des séquelles durables pour les plus vulnérables : travail perdu, dettes qui s’envolent… En priant pour qu’à travers nos services sociaux et nos ONG, nous pourrons être mieux au service de notre prochain au nom de Jésus Christ ressuscité.

« Dieu nous écoute et il nous exaucera »

Ces jours prochains, nous aurons certainement davantage d’éléments pour orienter nos actions selon les directives gouvernementales, mais nous restons à l’écoute et éveillés, car il est plus que jamais d’actualité de faire nôtre ce dicton : « Il vaut mieux prévenir que guérir ». Le Vendredi saint, je posais cette question : « Jésus n’est-il pas encore victime de violences et de haines dans notre monde d’aujourd’hui, car ‘tout ce que vous avez fait aux plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait’ ? » (Mt 25) Dans notre monde et nos sociétés, avec nos modes de vies, nos guerres, nos spéculations et notre destruction des ressources naturelles, des stratégies de développement sont mises en place au détriment du bien commun et de l’épanouissement de la personne. Dieu est remplacé par l’argent, les églises sont vidées, les centres commerciaux géants se remplissent et les cultures s’uniformisent, de Tokyo à Paris et de Phnom Penh à Sydney. Les plus aisés disposent de crédits illimités, tandis qu’ils sont si limités pour nos petits du Village de la Paix. Les enfants sur-connectés ne connaissent plus la joie des jeux avec leurs amis ou sous les arbres, tandis que leurs frères qu’ils ne connaissent pas, car non connectés, sont si faibles que la moindre maladie peut les emporter. N’est-ce pas toutes ces humiliations et ces flagellations modernes que Jésus endure dans notre monde ? Mais il y a toutes ces femmes, tous ces hommes comme Simon de Cyrène, qui sont là pour tenter d’apaiser les plaies de Jésus et qui le contemplent avec amour. Ils prient, ils servent les pauvres et les malades et s’occupent des affamés, des migrants et des étrangers.

Je voudrais confier à votre prière nos 70 catéchumènes, qui auraient dû recevoir le sacrement du baptême durant la nuit de Pâques. Qu’ils restent forts dans leur foi nouvelle. Je prie pour que le dimanche de Pentecôte, le 31 mai, nous puissions nous réunir à nouveau et les baptiser dans la joie de l’Esprit. Je vous confie aussi notre quarantaine de prêtres du Vicariat de Phnom Penh. Tant de prêtres, ici au Cambodge, mais aussi à travers le monde, célèbrent seul. Mais finalement, Jésus n’est-il pas mort presque seul, et surtout ressuscité complètement seul ?  Les messes offertes chaque jour portent beaucoup de fruits. Priez aussi pour nos séminaristes, pour nos communautés religieuses, nos instituts laïcs missionnaires et nos vierges consacrées. Je vous confie aussi nos baptisés, nos familles catholiques et tous ceux qui cherchent Dieu. Chacun essaye de prier et de se joindre comme il le peut à nos prières. J’ai vu des photos très touchantes de leurs enfants adorant une petite croix, d’autres montrant les familles devant leur iPod, d’autre encore de personnes seules, avec le livre que nous avons préparé, essayant de prier de tout leur cœur. D’autres photos montrent aussi les fidèles venant se promener autour de l’église, tant les célébrations communes leur manquent. Ces jours-ci, tant d’heures de prière sont offertes, tant de chapelets et de chemins de croix sont priés avec ferveur. Je sens un grand mouvement de prière à travers le Vicariat, plus que jamais. Dieu nous écoute et il nous exaucera, car rien n’est impossible à Dieu.

Prière à Notre-Dame du Mékong

Hier, jeudi 16 Avril, nous fêtions les douze ans de la découverte de la statue de la Vierge de Lourdes par un pécheur musulman dans le Mékong. Elle est devenue un lieu de pèlerinage national et international. Ce matin, il n’y avait que le père David Journault, prêtre Fidei Donum du diocèse de Laval, pour y célébrer, alors qu’en général, il y a plus de 3 000 pèlerins pour venir prier et chanter les merveilles de Dieu avec la Vierge Marie. Durant ce long silence de Samedi saint que nous vivons, nous savons que la présence vivifiante du Seigneur nous fortifie et nous prépare à vivre une résurrection avec le monde entier. Le mercredi 25 mars, à Areyksat, j’ai invoqué la protection de la Vierge Marie pour notre pays, pour notre Église et pour nos familles en ces temps difficiles. Faisons nôtre cette prière (d’après la prière du pape François à Notre-Dame de Fatima, en mai 2017) :

« Bienheureuse Notre Dame du Mékong, avec une reconnaissance renouvelée pour ta présence maternelle, nous unissons notre voix à celles de toutes les générations qui te disent bienheureuse. Nous célébrons en toi les grandes œuvres de Dieu, qui jamais ne se lasse de se pencher avec miséricorde sur l’humanité, affligée par le mal et blessée par le péché, pour la guérir et pour la sauver.

Accueille avec ta bienveillance de Mère l’acte de consécration qu’aujourd’hui nous faisons avec confiance, devant ta statue qui nous est si chère. Nous sommes certains que chacun de nous est précieux à tes yeux et que rien de ce qui habite nos cœurs ne t’est étranger. Nous nous laissons toucher par ton regard très doux et nous recevons la caresse consolante de ton sourire. Garde notre vie entre tes bras ; bénis et renforce tout désir de bien ; ravive et nourris la foi ; soutiens et éclaire l’espérance ; suscite et anime la charité ; guide-nous tous sur le chemin de la sainteté.

Enseigne-nous ton amour de prédilection pour les petits et les pauvres, pour les exclus et les souffrants, pour les pécheurs et ceux qui sont égarés dans leur cœur. Garde-nous de la maladie et accueille notre monde qui lutte contre le Covid-19. Prie pour tous ceux qui sont à l’heure de la mort. Garde le royaume du Cambodge dans la paix et la fraternité. Garde ferme notre foi, notre espérance et notre amour : rassemble-nous tous sous ta protection et remets-nous tous à ton Fils bien-aimé, Notre Seigneur Jésus Christ. Amen. »

17 Avril 1975- 17 Avril 2020

 Cette année, nous fêtons les 45 ans de l’ordination épiscopale du premier évêque cambodgien : Mgr Joseph Chhmar Salas, ordonné en catimini par Mgr Yves Ramousse, le 14 avril 1975, sous les tirs de rocket dans l’église Notre-Dame de Phnom Penh. Le 17 avril 1975, les Khmers Rouges entraient à Phnom Penh et évacuaient la ville. Mgr Chhmar Salas est parti dans les équipes mobiles dans le Nord-Est du pays (Tangkauk) où il mort en 1977. Il est le proto-martyr de notre liste de 14 martyrs, dont la cause en béatification est en cours depuis le 15 mai 2015.

Cette année, nous fêtons aussi le 30e anniversaire de la Résurrection de l’Église au Cambodge (14 avril 1990), jour où le père Émile Destombes, MEP, a pu célébrer la fête de Pâques dans une salle de cinéma (Chenla) à Phnom Penh. La panne d’électricité n’a laissé jaillir que la flamme du cierge pascal dans la salle plongée dans le noir.

Jésus est Vivant ! C’est ce que nous avons célébré trente ans après, dans notre monde envahi par les ténèbres de la mort, de la peur et de la solitude. Jésus est vivant ! Le dernier mot de Mgr Salas à Mgr Ramousse, le 17 avril 1975 avant de partir sur les routes poussiéreuses du Cambodge fut : « Parlez de nous au monde ». Cette chronique Covid-19, 45 ans après, s’en fait l’écho.

(Mgr Olivier Schmitthaeusler, vicaire apostolique de Phnom Penh)

Voir aussi l’interview de Mgr Schmitthaeusler sur Vatican News : Le nouvel élan de la jeune Église cambodgienne durant le confinement


CRÉDITS

Vicariat apostolique de Phnom Penh