Eglises d'Asie – Birmanie
Pas de trêve pour l’armée birmane : entre saisie de drogue historique et nouvelles sanctions
Publié le 22/05/2020
Alors que le gouvernement birman prépare un plan de relance économique, le « retour à la normale » occupe peu à peu une place centrale dans les débats. De leur côté, l’armée birmane et ses généraux poursuivent leur propre agenda. Ainsi, le début du mois de mai a été marqué par des violences dans l’État d’Arakan (Rakhine), où l’armée a poursuivi ses offensives. L’armée a également offert son aide à certains groupes rebelles. Le commandant en chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, a annoncé des dons de matériel médical à deux groupes armés, la United Wa State Army et la National Democratic Alliance Army. Ces deux groupes ont négocié leur autonomie depuis 1989, gardant des milliers d’hommes en armes et poursuivant leurs trafics, notamment de drogue. Ces aides offertes à seulement deux groupes sur la quinzaine que compte la Birmanie interrogent quant à leur motivation.
Les groupes signataires de l’accord de cessez-le-feu national, quant à eux, n’ont pas bénéficié de la générosité de l’armée. Un poste de contrôle médical dédié à la prévention du Covid-19 tenu par la Karen National Union a même été démantelé par une opération militaire, suscitant l’indignation de ce groupe fort de plusieurs milliers d’hommes et signataire du cessez-le-feu national. Le 9 mai, l’armée a finalement accepté de déclarer un cessez-le-feu à la suite de multiples pressions nationales et internationales. La déclaration exclut toutefois l’État d’Arakan et le sud de l’État Chin. Dans cette dernière région, les généraux sont toujours engagés dans une offensive violente contre l’Armée de l’Arakan. Selon l’analyste U Aung Zaw, ce cessez-le-feu d’une durée de quatre mois prépare « plus de bains de sang et une extension du conflit », les forces armées pouvant dorénavant se concentrer sur l’Armée de l’Arakan. À ce jour, ce sont surtout les populations locales qui payent le prix fort. Dans le canton de Paletwa, entre l’Inde et le Bangladesh, des pénuries alimentaires sont déjà constatées.
Le 20 mai, la presse birmane a annoncé que 200 maisons ont été brûlées dans le canton de Mrauk-U après des échanges de tirs entre rebelles et militaires. Selon les témoignages des villageois, les soldats gouvernementaux seraient les responsables de cette destruction. L’armée birmane utilise depuis longtemps la stratégie des « quatre coupes », qui se
traduit régulièrement par l’incendie de villages et l’instillation de la peur généralisée. Toujours au bilan des victimes civiles, une vidéo tournée à bord d’un navire militaire, montrant des soldats torturant des prisonniers civils suspectés d’être des soutiens de l’Armée de l’Arakan, a été largement diffusée sur les réseaux sociaux. Étonnamment, le porte-parole de l’armée birmane, le brigadier général Zaw Min Tun, a reconnu la responsabilité des soldats impliqués et annoncé des sanctions pour les coupables. Cette volonté de justice de la part de l’armée laisse dubitatifs les observateurs familiers de l’impunité des forces armées, notamment concernant le dossier Rohingyas. Cette justice soudaine pourrait toutefois s’expliquer par le renouvellement de la pression internationale sur la Birmanie.
L’Union européenne et le Royaume-Uni annoncent de nouvelles sanctions
La Birmanie est sous le coup de mesures provisoires décidées par la Cour internationale de justice (CIJ) dans le cadre d’une enquête sur des accusations de génocide dans l’État d’Arakan. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est réuni le 14 mai pour discuter de l’évolution de la situation dans l’État d’Arakan. L’Union européenne et le Royaume-Uni s’inquiètent notamment du refus d’accès à la santé par l’armée birmane aux populations locales dans le cadre du conflit en cours. Le maintien des sanctions envers une liste de quatorze officiers de l’armée birmane a également été annoncé par l’Union européenne et le Royaume-Uni. Ces derniers voient leurs avoirs financiers gelés dans les territoires concernés et subissent des restrictions de voyage. En février, l’Allemagne a également annoncé la suspension de son aide au développement, tant qu’aucun effort n’aura été réalisé pour le rapatriement des réfugiés Rohingyas au Bangladesh.
L’Union européenne vient également de rajouter la Birmanie à sa liste noire des pays posant un « risque financier systémique » au bloc européen, principalement pour cause de « blanchiment d’argent » et de « financement terroriste ».
« La plus importante saisie de drogue de l’histoire en Asie »
Ces décisions interviennent peu après la publication, le 15 mai, d’un rapport du Bureau des Nations Unies pour la drogue et le crime. Ce rapport documente la production toujours croissante de méthamphétamine depuis la Birmanie, et la place centrale qu’occupe désormais la région du Triangle d’Or dans l’ensemble des trafics de stupéfiants en Asie. La Birmanie est devenue le premier producteur mondial de méthamphétamine. Selon The Diplomat, une saisie récente organisée par l’armée birmane vient tout juste d’être qualifiée de la prise « la plus importante de l’histoire en Asie ». Des tonnes de précurseurs chimiques ont été découvertes, venant principalement de Chine – 500 kg de méthamphétamine pure et 290 kg d’héroïne. Des quantités importantes de kétamine et d’autres substances telles que la fentanyl ont également été découvertes, révélant la production de nouvelles drogues synthétiques toujours plus dévastatrices. La fentanyl est un opioïde 50 fois plus puissant que l’héroïne.
Les dessous de cette saisie historique sont encore plus inquiétants. La drogue trouvée l’a été dans les bâtiments modernes d’une milice, un groupe soumis à l’armée birmane elle-même. L’armée birmane aurait choisi de démanteler cette dernière après des soupçons sur la potentielle coopération économique avec l’Armée de l’Arakan. La montée en puissance rapide et l’armement moderne du groupe insurgé font suspecter un financement par la drogue, le long de nouvelles routes traversant la Birmanie vers l’Inde et le Bangladesh. Mais ce qui pose particulièrement question dans cette saisie, c’est l’implication suspecte de l’armée birmane dans la production et les trafics de drogue à travers ses milices. La dernière saisie de mai 2020 met à jour la proximité entre les généraux et les trafics. La milice concernée a fait l’erreur d’essayer de doubler l’armée, d’où son démantèlement. Des dizaines d’autres milices existent en Birmanie, et il y a peu de doutes sur la nature de leur financement. Un membre de la milice, interviewé par The Irrawaddy, questionne ainsi les intérêts de l’armée, en se demandant « pourquoi l’armée n’a-t-elle agi que maintenant, malgré des années de production de drogue dans la zone ? ». Selon un rapport du Jane’s Terrorism & Insurgency Monitor (le rapport, publié le 21 avril, a depuis disparu du site internet), le commandement militaire birman aurait « presque certainement » profité des trafics.
Un gouvernement civil impuissant, des sanctions étrangères peu adaptées
La dissipation médiatique autour de l’épidémie de Covid-19 n’a pas changé les priorités de l’armée birmane. Le contraste entre les actions violentes qui se poursuivent par les militaires et l’impuissance du gouvernement civil apparaît toujours clairement. Face à la crise sanitaire et économique du virus, l’armée ne s’est pas associée aux autorités nationales et aux populations impactées. Les généraux agissent en toute impunité. Pendant que des villages brûlent dans l’État d’Arakan et que des centaines d’ouvriers meurent d’overdose en Thaïlande et au Bangladesh, Aung San Suu Kyi organise un concours de masques en tissus sur sa page Facebook. L’annonce de nouvelles sanctions européennes est notable pour son effet symbolique mais ne suffit pas pour peser contre l’institution militaire. Des sanctions plus lourdes, telles que la suspension de l’aide au développement annoncée par l’Allemagne – ou des sanctions de l’industrie textile un temps envisagées par l’Union Européenne – peuvent avoir un impact. Malheureusement, ce dernier se fera sentir avant tout sur les populations les plus vulnérables, bien avant de toucher les généraux. Ces derniers s’inquiètent pour leurs enfants élevés en Russie, dont trois ont récemment été testés positifs au Covid-19. De leur côté, les familles arakanaises, shan, karen, rohingyas et les jeunes couturières migrantes auront bien du mal à en appeler à la compréhension des hommes du commandant en chef Min Aung Hlaing.
(EDA / Salai Ming)
Crédit : recoverling (CC BY 2.0)