Eglises d'Asie

Pauvreté : les activistes mettent évidence la réalité derrière les chiffres officiels du gouvernement malaisien

Publié le 08/07/2020




Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté dans le pays est passé de 16,7 % en 2008 à 2,7 % en 2015. Mais pour Philp Alston, qui a été Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, ces affirmations se basent sur les chiffres officiels du gouvernement malaisiens, qui a annoncé un taux de pauvreté de seulement 0,4 % l’an dernier. Pour cet universitaire et activiste australien, ces chiffres officiels masquent une réalité bien différente, masquée par intérêt politique. « Plusieurs millions d’étrangers sont affectés par la pauvreté, dont les migrants, les réfugiés, les apatrides et les citoyens non enregistrés. Ils sont systématiquement écartés des chiffres officiels et ignorés par les décideurs politiques », affirme-t-il.

Des ouvriers sur un chantier de construction à Kuala Lumpur. Les travailleurs migrants représentent une part importante de la population active malaisienne.

Selon le gouvernement malaisien, le taux de pauvreté était de seulement 0,4 % dans le pays l’an dernier, sur une population de 33 millions d’habitants – soit le taux le plus bas au monde. Mais pour Philip Alston, un universitaire australien spécialiste du droit international et activiste engagé pour les droits de l’homme, ce chiffre officiel cache une extrême pauvreté toujours bien présente, volontairement masquée par intérêt politique. Philip Alston, qui a été Rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, conteste une « statistique trompeuse » qui ne sert qu’à « détourner l’attention ». Actuellement, le seuil de pauvreté officiel en Malaisie est de 980 ringgits (203,35 euros) par foyer et par mois. Toutefois, cela suppose de ne dépenser, pour une famille de quatre personnes, que 8 ringgits (1,66 euro) par personne et par jour. Par comparaison, un seul menu Bic Mac dans un McDonald malaisien coûte deux fois ce prix-là. Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté dans le pays est passé de 16,7 % en 2008 à 2,7 % en 2015. De nombreuses voix affirment pourtant que ces affirmations prometteuses de la Banque mondiale sont basées sur les chiffres officiels du gouvernement malaisien. Selon une déclaration de Philip Alston, publiée le 6 juillet, le chiffre abusif annoncé par le gouvernement « cache un véritable décalage entre les statistiques officielles et la réalité ». « Prétendre ainsi que personne, dans le pays, ne vit dans la pauvreté, ne change rien au fait que plusieurs millions de personnes sont pauvres en Malaisie », a-t-il ajouté. « Vouloir sauver la face est une chose, mais déformer les faits en est une autre. »

800 000 nouveaux demandeurs d’emploi

Plusieurs millions de Malaisiens sont en effet dans une situation qui serait considérée comme de l’extrême pauvreté selon les normes des nations les plus développées, mais le gouvernement fédéral malaisien vante régulièrement ses progrès vers l’éradication de la pauvreté dans le pays. Selon les experts, la nouvelle récession provoquée par la pandémie risque d’empirer la situation. Ainsi, en avril, le taux de chômage officiel dans le pays est monté en flèche pour atteindre 5 %, avec environ 800 000 nouveaux demandeurs d’emploi. De plus, outre les citoyens malaisiens, on compte officiellement deux millions de travailleurs migrants en Malaisie, qui représentent une part considérable de la population active dans le pays, et qui subissent souvent des faibles salaires et des fins de mois plus que difficiles. « Plusieurs millions d’étrangers travaillant en Malaisie sont affectés par la pauvreté, dont les migrants, les réfugiés, les apatrides et les citoyens Malaisiens non enregistrés. Ils sont systématiquement écartés des chiffres officiels, ignorés par les décideurs politiques et souvent exclus des services publics », souligne Philip Alston, qui ajoute que les travailleurs migrants « ont fortement contribué au succès économique du pays ». « Pourtant, ils sont toujours dans une zone grise qui facilite parfois des abus scandaleux et des conditions précaires », poursuit-il.

De même, les populations indigènes sont souvent confrontées à la pauvreté et aux discriminations, affirme Philip Alston. Selon le Centre pour les droits de l’homme et la justice mondiale (CHRGJ), une ONG basée à New-York, ces communautés ont des taux de pauvreté « bien supérieurs au reste de la population ». L’organisation alerte également sur la situation des femmes dans un pays majoritairement musulman et conservateur. « Le taux de participation des femmes à la main-d’œuvre en Malaisie est exceptionnellement bas, et celles-ci sont souvent forcées d’occuper des emplois précaires et moins bien payés », ajoute le Centre, qui évoque également la discrimination des personnes handicapées. De son côté, Philip Alston appelle le gouvernement malaisien à agir et légiférer afin de réduire la vraie pauvreté plutôt que de se cacher derrière des statistiques mensongères. « Le gouvernement doit reformer en profondeur un système de protection social inégal et fragile, afin de répondre aux besoins des personnes vivant dans la pauvreté et d’assurer une véritable protection sociale pour tous », insiste-t-il. « Le Covid-19 a montré que n’importe qui pouvait perdre son travail sans aucune erreur de leur part. Cela met en évidence l’urgence de programmes de soutien adaptés. »

(Avec Ucanews, Kuala Lumpur)

Crédit : Olga OzikPixabay