Eglises d'Asie

Plusieurs milliers d’ouvriers du textile reprennent le travail, suscitant les craintes de nouveaux foyers de contagion

Publié le 29/04/2020




Le 26 avril, plus de 1000 usines du secteur du textile ont repris le travail au Bangladesh, sous la pression des industriels craignant un effondrement du secteur. Une décision saluée par ces derniers, mais dénoncée par de nombreux analystes et activistes. « Les propriétaires d’usines se préoccupent davantage de sauver leurs commerces que de protéger les vies des ouvriers », estime Babul Akhter, président de la Bangladesh garment and industriel workers Federation. De nombreux musulmans bangladais ont également critiqué la décision alors que les mosquées demeurent fermées, malgré le début du ramadan. Le Bangladesh a enregistré 5 913 cas confirmés au 27 avril, selon l’Institut national d’épidémiologie.

Des ouvriers sortent d’une usine de Dacca en 2017. Plusieurs centaines d’usines du textile ont été rouvertes ce 26 avril malgré le confinement.

Plusieurs milliers de travailleurs sont de retour dans les usines du secteur du textile au Bangladesh, suscitant les craintes de nouveaux foyers de contagion, alors que le pays observe une hausse du nombre de cas enregistrés. Le 26 avril, plus de mille teintureries et usines ont ainsi été rouvertes dans les principaux centres industriels de Dacca et dans les districts de Gazipur, de Narayanganj et de Chittagong. Elles étaient fermées depuis un mois, alors que le pays a été placé en confinement, dans le cadre d’un accord supposé entre le gouvernement et BGMEA (Bangladesh garment manufacturers and exporters association), la principale organisation commerciale du secteur dans le pays. Les autorités ont envoyé des aides financières à hauteur de plusieurs millions de dollars afin de soutenir le secteur industriel bangladais, dont le textile. Des médias locaux ont affirmé, photos et vidéos à l’appui, que les mesures sanitaires et les distanciations sociales ne sont pas respectées dans les usines concernées. De nombreux analystes et activistes ont également dénoncé la décision de rouvrir les usines. « Les industriels disent que le secteur ne peut pas résister si les usines restent fermées plus longtemps, alors que des acheteurs étrangers risquent de se tourner vers des pays concurrents qui ont déjà levé les mesures de confinement. Les ouvriers n’ont pas le choix. Ils sont obligés de retourner travailler pour sauver leurs emplois, gagner leur vie et soutenir leurs familles », assure Babul Akhter, président de la Bangladesh garment and industriel workers Federation. Il ajoute cependant qu’il est impossible de maintenir les distanciations sociales et les mesures sanitaires recommandées dans les usines, en particulier dans les ateliers de couture, ce qui expose les travailleurs au risque de contagion. « Les propriétaires d’usines se préoccupent davantage de sauver leurs commerces que de protéger les vies des ouvriers. C’est pourtant une question de vie ou de mort pour ces derniers », ajoute-t-il.

Usines ouvertes et mosquées fermées

Le père Albert T. Rozario, curé de la paroisse catholique Saint-Joseph de Savar, dans un secteur industriel de la capitale, dénonce également la réouverture des usines. « C’est une décision frustrante, inappropriée et imprudente. Jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement a tout fait comme il fallait, mais les choses risquent d’empirer alors que des ouvriers reprennent le travail dans tout le pays », ajoute le père Rozario, membre de la commission Justice et Paix de l’archidiocèse de Dacca. La décision de rouvrir les usines est également polémique alors que les mosquées du pays restent fermées, malgré le début du mois du ramadan. « J’ai vu des musulmans en colère sur les réseaux sociaux, demandant pourquoi le gouvernement autorise la réouverture des usines et non des mosquées. Cette polémique risque de se retourner contre le gouvernement », estime le prêtre. M. A. Rahim, vice-président de BGMEA, affirme de son côté que la réouverture des usines est une question de survie pour le secteur.

« La décision du gouvernement va permettre de soulager l’industrie du textile, qui était sous pression depuis le début de la crise sanitaire. Nous avons perdu des commandes, et les livraisons d’avril ont été retenues. Maintenant, nous pourrons relancer l’activité en assurant les livraisons qui ont été retardées », ajoute Rahim, qui estime cependant que le soutien financier du gouvernement ne suffira pas à couvrir les pertes, alors que le secteur du textile est resté bloqué aussi longtemps. Il souligne également que la réouverture n’a été décidée qu’à petite échelle, et que des consignes de sécurité ont été publiées par BGMEA, qui a créé une équipe de contrôle pour vérifier qu’elles sont respectées. Rahim, directeur du groupe DBL, confie que près de 6 000 travailleurs sur les 36 000 que comptent les huit usines du groupe ont repris le travail, et que 10 000 autres devraient reprendre le travail la semaine prochaine. « Nous avons demandé aux autres de ne pas revenir, en leur assurant qu’ils ne sont pas renvoyés et que leurs salaires seront maintenus. Nous avons pris toutes les mesures de précaution nécessaires pour protéger ceux qui reprennent le travail », ajoute-t-il.

Le secteur du textile bangladais, d’une valeur de 30 milliards de dollars US, est la deuxième industrie textile au monde après la Chine, grâce à une main d’œuvre bon marché et à de nombreux investisseurs. Le secteur emploie près de 4 millions d’ouvriers dans le pays, dans plus de 5 000 usines à travers le pays, et représente près de 80 % des recettes d’exportation annuelles du pays. Selon les analystes, les industriels du textile bangladais ont une influence financière et politique considérable, ce qui a permis la réouverture des usines. « Cette décision n‘a pas été faite selon des recommandations scientifiques, mais par cupidité et suite à des manœuvres politiques », affirme Ali Riaz, un chroniqueur politique bangladais basé aux États-Unis. Le Bangladesh enregistre chaque jour plusieurs centaines de nouvelles infections ; des malades ont été découverts dans 60 districts sur les 64 que compte le pays. Le Bangladesh a enregistré, au 27 avril, 5 913 cas confirmés, dont 152 décès, selon l’Institut national d’épidémiologie, de contrôle et de recherche sur les maladies.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews