Eglises d'Asie – Pakistan
Plusieurs mois après les émeutes antichrétiennes de Jaranwala, les chrétiens dans la crainte et l’incertitude
Publié le 02/12/2023
Récemment, le Premier ministre du Pakistan par intérim, Anwaarul Haq Kakar, n’a pas apprécié une question posée à propos des émeutes d’août dernier contre les chrétiens et les églises de la ville de Jaranwala, dans l’est du Pakistan. Cette réaction illustre bien le traitement politique généralement réservé aux chrétiens dans l’État islamique.
M. Kakar participait à une session d’échanges avec des étudiants de la Lahore University of Management Sciences, le 30 octobre dernier, quand un étudiant l’a interrogé sur la passivité du gouvernement et le manque de mesures prises face aux violences répétées contre les minorités religieuses dans le pays. « Vous étiez là, vous leur avez rendu visite et vous avez dû leur donner de l’argent, mais est-ce une solution à long terme ? Combien d’autres temples devront brûler au Pakistan ? Combien d’églises chrétiennes seront détruites avant que le gouvernement agisse ? » a demandé l’étudiant.
La réponse du Premier ministre a été assez sommaire et arrogante. « Je suis content que vos minorités vous tiennent autant à cœur. C’est une bonne chose. Le gouvernement a vraiment l’air sans espoir pour vous, mais vous n’êtes pas sans espoir pour nous », s’est-il contenté de répondre.
Les hindous et les chrétiens environ 5 % sur 230 millions d’habitants
Sur Internet, une vague de mèmes est apparue montrant des étudiants en train de bombarder de questions Anwaarul Haq Kakar sur la pire crise économique du pays depuis des décennies et sur les élections retardées. Les chrétiens pakistanais ont aussi utilisé les réseaux sociaux afin de soutenir l’étudiant qui avait osé parler pour les minorités religieuses – les hindous et les chrétiens qui représentent ensemble environ 5 % sur près de 230 millions d’habitants.
Les quelque 2,6 millions de chrétiens pakistanais partagent les mêmes questions étant donné qu’ils font face aux discriminations et aux violences depuis la formation du pays en 1947, à partir des régions majoritairement musulmanes de l’Inde britannique. Bien que les dirigeants fondateurs du pays aient promis l’égalité et la liberté pour toutes les religions, les lois islamiques ont commencé à transformer le Pakistan. En 1971, le Pakistan a été déclaré comme nation islamique, alors que les dirigeants de l’époque cherchaient surtout à apaiser les groupes musulmans et non à protéger les droits des minorités religieuses.
Parmi les violences de ces dernières décennies, on compte des enlèvements, des viols contre les femmes chrétiennes, des attaques suicides contre les églises. Les chrétiens ont également été accusés à tort et arrêtés pour blasphème. Il y a aussi eu des cas de lynchages collectifs et des émeutes contre les quartiers chrétiens, basés sur des accusations de blasphème.
Plusieurs mois après, l’enquête au point mort
La question posée à M. Kakar faisait référence à l’attaque du 16 août 2023 au quartier chrétien de Jaranwala. En quelques heures, alors que deux chrétiens avaient été accusés de blasphème via les haut-parleurs d’une mosquée locale, au moins 22 églises ont été pillées et 91 habitations chrétiennes ont été incendiées, selon un rapport du gouvernement de la province du Pendjab.
Plusieurs jours après, la police a arrêté près de 140 personnes, dont plusieurs membres du groupe politique extrémiste TLP (Tehreek-i-Labbaik Pakistan). Mais plusieurs mois après ces violences, l’enquête semble au point mort. Le public ignore combien de personnes ont été accusés ou si la police a déposé des plaintes contre eux dans le cadre d’un tribunal. Par ailleurs, la police n’a pas rendu publics ses rapports de l’enquête.
Ceci montre une tendance générale dans la façon dont les enquêtes sont menées sur les émeutes antichrétiennes, depuis les attaques du 11 septembre 2001 à New York. Depuis que les Américains ont leur « guerre contre le terrorisme » sous George W. Bush, les chrétiens pakistanais ont fait face à des attaques répétées de la part des militants Talibans et d’Al Qaeda, qui se sont introduits au Pakistan depuis l’Afghanistan voisin.
Les habitants chrétiens de Jaranwala craignent davantage la police que les émeutiers
Par ailleurs, on a enregistré davantage de chrétiens harcelés, attaqués et tués en toute impunité depuis 2011 qu’auparavant, selon les archives. Au moins 183 chrétiens ont été tués dans des attaques terroristes et autres violences contre l’Église et les chrétiens depuis 2011 (contre moins de 150 victimes chrétiennes au cours des six décennies précédentes).
Au fil des années, le système administratif pakistanais s’est affaibli. Les partis politiques et les gouvernements successifs ont échoué à prendre des mesures adaptées pour mettre fin aux violences, craignant les réactions des groupes musulmans extrémistes et les retombées politiques. D’un autre côté, le système administratif fait tout ce qu’il peut pour plaire aux extrémistes. Le système est plus qu’enthousiaste quand il s’agit d’enquêter sur des accusations de blasphème, contrairement aux cas de violences et de destructions.
Jaranwala en est un exemple. Un sentiment de crainte et d’incertitude persistait encore dans le quartier chrétien le mois dernier. Les habitants sont encore hantés par les nombreuses arrestations illégales dans le cadre des enquêtes sur les accusations de blasphème, et la plupart des gens semblent encore plus terrifiés par la police que par les émeutiers.
« La question du changement des lois sur le blasphème est extrêmement sensible »
Ainsi, les autorités refusent ouvertement d’enquêter sur les crimes contre les minorités religieuses. Voici un exemple. Le 2 novembre, un groupe de représentants des minorités a demandé la permission de l’administration de Lahore avant d’organiser un rassemblement public pour la « protection des droits des minorités ». L’administration a imposé deux conditions – renoncer à la requête d’une enquête impartiale sur la tragédie de Jaranwala et cesser de demander que les rapports d’enquête sur les attaques antichrétiennes soient rendus publics.
Les autres demandes des manifestants étaient destinées à prévenir des attaques futures en demandant d’amender les lois sur le blasphème et de permettre aux membres non-musulmans du Parlement de devenir présidents ou Premiers ministres du pays, dans l’espoir de créer un changement culturel soutenant la tolérance et l’empathie. Mais aucune de ces demandes ne peut être acceptée, selon Riaz Ahmed Saeed, professeur assistant du Département Pensée et Culture islamique de l’Université nationale de langues modernes d’Islamabad.
« Bien que les responsables religieux [musulmans] condamnent généralement les mauvais traitements contre les minorités religieuses, ils s’opposent à l’idée d’un non musulman devenant chef d’État dans la République islamique. De même, la question du changement des lois sur le blasphème est extrêmement sensible et difficile sur les plans juridiques et sociaux, avec des implications pour toute la société », a-t-il confié.
L’histoire des minorités religieuses au Pakistan est triste, et les chrétiens continueront d’être confrontés aux discriminations, aux violences et aux persécutions. Le gouvernement doit montrer un engagement fort envers les principes de justice, d’égalité et de liberté religieuse pour tous les citoyens. Le fait de collaborer avec les organisations de la société civile, avec les groupes d’Église et la communauté internationale peut contribuer à améliorer la protection des minorités religieuses au Pakistan. La minorité chrétienne mérite mieux au Pakistan.
(Avec Ucanews / Kamran Chaudhry)
Kamran Chaudhry, un journaliste pakistanais basé à Lahore, traite depuis plus de quinze ans des questions religieuses, de la justice sociale et des droits de l’homme au Pakistan.
CRÉDITS
A. R. ; Kamran Chaudhry / Ucanews