Eglises d'Asie – Bangladesh
Pour les minorités bangladaises, l’extrémisme religieux gagne du terrain dans la majorité musulmane
Publié le 21/10/2021
Les représentants des minorités et les organisations de défense des droits de l’homme au Bangladesh ont réagi aux dernières violences collectives de la majorité musulmane contre la minorité hindoue, signe pour eux de la montée de l’extrémisme religieux dans le pays. La semaine dernière, les réseaux sociaux bangladais ont publié des images de la présence d’un coran dans un temple hindou, dans l’est du Bangladesh, durant le festival hindou de Durga Puja (fêté du 11 au 15 octobre). Un fait qui a provoqué la colère des musulmans et qui a fait descendre plusieurs milliers d’entre eux dans la rue. Les violences ont éclaté le 13 octobre, en plein milieu du plus grand festival hindou du pays, dans le district de Cumilla. Les musulmans se sont offensés de ce qu’ils ont considéré comme une profanation de leur livre saint.
Des foules de musulmans ont réagi en vandalisant des temples hindous dans près d’une douzaine de districts, poussant les autorités à déployer des policiers supplémentaires et de garde-frontières dans près de 22 districts. Le 13 octobre, la police a ouvert le feu sur un groupe d’environ 55 musulmans à Hajiganj, dans le district de Chandpur, faisant quatre morts. Selon la police locale, le 16 octobre à Begumganj, dans le district de Noakhali, deux hindous ont également été tués par un groupe de 200 musulmans qui s’était attaqué à un temple hindou. Selon le Conseil de l’unité hindoue, bouddhiste et chrétienne du Bangladesh (BHBCUC), au moins six hindous ont été tués et 70 sites du festival ont été attaqués, pillés ou incendiés durant les trois derniers jours du festival.
Rencontre de la Première ministre Sheikh Hasina avec les responsables hindous
Par ailleurs, le 17 octobre, une foule de musulmans a mis le feu à 30 maisons hindoues et vandalisé 50 autres maisons au village de Majhipara, dans le district de Rangpur (dans le nord du Bangladesh). Les attaquants ont également saisi 25 vaches et 10 chèvres. Ces violences ont duré près d’une heure, et ont éclaté après qu’un garçon hindou aurait publié un message antimusulman sur un réseau social. Selon Niranjan Roy, un villageois hindou de 38 ans, les attaquants ont brûlé son logement, un abri en tôle, avec tout ce qu’il possédait, et ils ont emporté deux vaches. « Un groupe de musulmans est venu dans notre village en chantant des slogans religieux avant de mener cette attaque. Avec les villageois, nous nous sommes cachés dans les rizières et partout où nous pouvions », explique-t-il.
Alors que de nombreuses inquiétudes ont été exprimées du côté de la majorité hindoue en Inde, la Première ministre bangladaise, Sheikh Hasina, a rencontré des responsables hindous le 14 octobre, en promettant une action décisive et sévère contre les assaillants. Elle a déclaré que son gouvernement s’engage à maintenir le pluralisme religieux et l’harmonie à tout prix dans le pays. Toutefois, pour les responsables des minorités, les violences contre les hindous, qui ont éclaté durant leur principal festival religieux, montrent que les extrémistes religieux cherchent à asseoir leur pouvoir dans le pays, majoritairement musulman. Rana Dasgupta, hindou, juge de la Cour suprême et secrétaire général du BHBCUC, affirme que des forces destructrices existent au Bangladesh, et que le gouvernement n’a pas pu protéger les minorités des extrémistes religieux.
« Le gouvernement ne fait pas ce qu’il faudrait pour maintenir l’harmonie »
« Nous condamnons le gouvernement pour ces attaques. S’il l’avait voulu, il aurait pu utiliser son pouvoir pour les arrêter », poursuit Rana Dasgupta. « Il y a eu des attaques similaires dans le passé, mais aucune justice n’a été accordée aux victimes. Les principaux partis politiques se sont rejeté le blâme les uns sur les autres, préparant le terrain pour les forces extrémistes, qui se sont renforcées et qui ont attisé la montée du fondamentalisme. » Selon les défenseurs des droits dans le pays, les partis politiques restent hésitants à agir contre les groupes musulmans extrémistes, en cas de répercussions du côté des électeurs musulmans. Rana Dasgupta estime que les minorités religieuses n’ont plus confiance en leurs dirigeants. Pour eux, les gouvernements ont échoué à les protéger contre les violences, y compris la Ligue Awami actuellement au pouvoir depuis 2009. « Le gouvernement parle de la sécurité des minorités avant les élections pour remporter leurs votes, mais il n’a pas respecté ses promesses. Les extrémistes en profitent le plus possible. Cela devrait être dénoncé comme un problème national, et pas seulement pour les minorités. »
Le père Liton H. Gomes, secrétaire de la Commission justice et paix de la Conférence épiscopale bangladaise, affirme aussi que la montée de l’extrémisme religieux se poursuit alors que les engagements du gouvernement vers les minorités ne sont jamais concrétisés, avec un manque visible de justice après les attaques précédentes. « Le gouvernement parle d’harmonie, mais il ne fait pas ce qu’il faudrait pour la maintenir. Il faut qu’il réagisse dès maintenant avec des mesures fermes, afin d’éliminer les forces extrémistes, quelles qu’elles soient. » Le père Gomes appelle aussi le gouvernement à organiser des rencontres entre les responsables religieux, politiques et civils, afin de contrer cette tendance.
3 710 attaques enregistrées contre des hindous bangladais entre 2013 et 2021
Outre les inquiétudes exprimées par les minorités, des rapports publiés par plusieurs organisations signalent la montée des violences visant les minorités bangladaises, en particulier les hindous. Selon le groupe ASK (Ain o Salish Kendra), base à Dacca, 3 710 attaques contre les hindous bangladais ont été enregistrées entre 2013 et 2021. Cela comprend les actes de vandalisme et les incendies criminels contre les maisons, les boutiques, les commerces et les temples, ainsi que les expropriations violentes de terres et de propriétés. Cette année, jusqu’au mois de septembre, au moins 102 logements hindous ont été vandalisés ou incendiés, ainsi que six boutiques, selon le groupe ASK. Le directeur de l’organisation parle d’un manque de sincérité des autorités. « Quand ils sont au pouvoir, les partis politiques dénoncent l’opposition pour les violences contre les minorités. Par conséquent, rien n’est jamais fait. » Au cours des quinze dernières années, il estime qu’une action sérieuse n’a été entreprise contre les coupables de violences. « Donc cela ne fait que continuer et augmenter. »
Mawlana Amjad Hossain, un responsable musulman chiite de la ville de Chittagong, dans le sud-est du Bangladesh, appelle également les responsables musulmans à agir pour empêcher leurs communautés de commettre des violences contre les non-musulmans. « Les musulmans coupables de violences contre des membres d’autres religions ne sont ni musulman ni véritablement humains. Les responsables musulmans doivent aider leurs fidèles à respecter les croyants de toutes les confessions », souligne-t-il. Le Bangladesh est habituellement connu comme un pays dont la communauté musulmane est majoritairement modérée, avec une longue tradition de pluralisme et d’harmonie religieuse. Toutefois, depuis 2013, le pays a connu une forte montée du militantisme islamique. Sur plus de 160 millions d’habitants, on compte près de 90 % de musulmans, sunnites et 8 % d’hindous ; le reste de la population adhère à d’autres religions dont le bouddhisme et le christianisme.
(Avec Ucanews)
CRÉDITS
Ucanews