Eglises d'Asie

Rangoun : la jeunesse birmane témoigne après le coup d’État de la Tatmadaw

Publié le 06/02/2021




Quelques jours après le coup d’État qui a bouleversé la transition démocratique birmane, la population tente de résister. Entre les appels à la désobéissance civile et les discours de l’armée, les jeunes birmans sont partagés entre colère et espoir. « Nous avons vu les véhicules militaires dans les rues, et dix ans de démocratie prendre fin en une nuit. Comment une chose pareille peut-elle se produire ? » demande une jeune chrétienne. « Nous avons de l’espoir pour notre avenir », confie pourtant une jeune artiste bouddhiste. « Cela dépend d’Aung San Suu Kyi. Quoi qu’il arrive, nous voulons nous battre pacifiquement et nous continuons de prier. »

Le 4 février, le cardinal Bo, archevêque de Rangoun, s’est adressé au peuple birman après les événements du 1er février.

Le 3 février au soir, dans les rues de Rangoun, on pouvait entendre battre pots et casseroles, symboles de solidarité qui visaient autrefois à chasser démons et mauvais esprits. Mêlée aux chants, cette musique dissonante est devenue l’hymne de la résistance birmane. Le 1er février, l’armée s’est emparée du pouvoir, empêchant la tenue du nouveau Parlement et arrêtant les délégués de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), qui avaient remporté 83 % des sièges. Aung San Suu Kyi et le président U Win Myint sont détenus dans leurs résidences et font l’objet de procès fermés visant leur arrestation définitive. Des membres de la société civile ont été arrêtés, dont des écrivains, réalisateurs et célébrités, ainsi que les premiers manifestants. Le général en chef Min Aung Hlaing est désormais le dirigeant de facto du pays, ayant assuré son contrôle sur le reste de l’armée. Malgré l’assurance, de la part des observateurs internationaux, que les élections se sont déroulées de manière « juste et libre », la faction du général prétexte d’irrégularités dans le processus électoral pour recourir à la clause d’état d’urgence prévue par l’article 417 de la Constitution, ce qui offre à l’armée tout pouvoir pour une durée d’un an afin d’organiser de nouvelles élections.

Ce coup d’État interrompt une décennie de transition démocratique. L’appel à la désobéissance civile émis par les responsables du NLD a été relayé par une grève du corps médical, maintenant rejoint par les employés municipaux de Rangoun et par les syndicats étudiants (dont l’Association des étudiants musulmans et les étudiants de Saint Paul BEHS Botahtaung). Entre autres figures de la société civile, on déplore l’arrestation d’au moins trois moines bouddhistes ayant participé, en 2007, à la révolution de Safran contre la dictature militaire. Les soldats auraient fracassé les portes d’un monastère de Mandalay, entrant dans le sanctuaire en bottes et uniformes.

L’espoir face aux ténèbres

Pour la communauté catholique, il s’agit d’un moment d’épreuve, au cours duquel les différentes religions et les différents groupes qui composent le pays partagent les mêmes difficultés et se serrent les coudes. Une jeune chrétienne birmane confie : « Nous avons vu les véhicules militaires dans les rues, et dix ans de démocratie prendre fin en une nuit. Comment une chose pareille peut-elle se produire ? » « Au réveil la première pensée qui vient, c’est que ‘ce n’est pas un cauchemar, mais bien la réalité et qu’il n’y a pas de solution rapide’. Nous sommes accrochés à nos smartphones à l’affût des informations. Nous sommes traversés par des sentiments contradictoires, entre l’espoir suscité par les nouvelles du mouvement de désobéissance civile, et la colère face aux déclarations des militaires », ajoute-t-elle. « C’est comme fréquenter une brute, calme en temps normal, mais qui devient violent le jour où il ne se sent pas apprécié », poursuit-elle. « Mon frère me dit que ça ira, que Dieu va nous sauver. » Sa sœur surenchérit : « Nous n’avons pas de travail, c’était déjà très difficile de survivre. » Elle devait se rendre à son premier emploi le lundi du coup d’État, ce qui a été annulé à cause des évènements. Un jeune catholique birman fait part à son tour de son expérience : « Nous sommes tellement déçus, l’armée nous a privés de nos libertés. Je suis coincé dans mon dortoir. » « Ils ont pris le pouvoir par la force mais nous répondons par la non-violence », ajoute-t-il. « Nous faisons la grève, nous ne sortons pas. Certains officiers ont démissionné, nous les applaudissons et nous les soutenons. À 20 heures, tout le monde est aux fenêtres pour applaudir ; on frappe sur des casseroles et sur de la vaisselle, on chante… Nous nous souvenons tous des manifestations de 1988, et nous ne voulons pas qu’autant de sang soit versé. Ce sont les seules choses que nous puissions faire, attendre et prier, et exprimer nos émotions comme l’a montré le cardinal. »

Une artiste bouddhiste assure également que « nous avons de l’espoir pour notre avenir ». « Cela dépend d’Aung San Suu Kyi. Quoi qu’il arrive, nous voulons nous battre pour elle, pacifiquement. Nous ne savons pas si nous allons gagner ou perdre, mais nous allons nous battre. Nous allons répliquer même s’ils sont plus forts, et nous continuons de prier », souligne-t-elle. « Ceux qui travaillent dans le monde de la culture sont sans emploi à cause du Covid-19, et nous espérions la réouverture. Mais le 1er février, nous nous sommes retrouvés à nouveau sans revenus et sans espoir. Cela fait maintenant près d’un an sans travail. Le matin du coup, nous étions si tristes, j’aurais voulu fuir ce pays. Mais le matin suivant, j’étais résolue à continuer de lutter. » Un autre jeune Birman, originaire de l’État Shan, explique que « nous nous sentons si mal et nous attendons notre leader, Aung San Suu Kyi, mais nous devons faire quelque chose ». « Pour l’instant, tout ce que nous pouvons faire, c’est faire la grève, rester à la maison et protester aux fenêtres. Nous ne savons pas ce qu’ils veulent et ni ce qu’ils vont faire. Notre avenir est brisé. Nous avons peur des militaires et

nous voulons une vraie démocratie », insiste-t-il. « Il y a tellement de fausses informations sur les réseaux sociaux », déplore-t-il également. « Par exemple, aujourd’hui, j’ai lu que quiconque sortirait dans la rue serait abattu. Ils ont des bases militaires dans l’État Shan. Nous savons exactement qui ils sont. Ils sont si brutaux, ils brûlent des villages, ils violent les femmes et tuent les enfants. Les ethnies se battaient entre elles, mais maintenant il faut se battre pour la démocratie. Je n’ai pas dormi quand l’armée a pris le pouvoir, j’étais tellement déboussolé et choqué, j’étais sans voix. Nous connaissons déjà ce sentiment, ils ont recommencé. Je ne peux pas dormir. Je me réveille et je réalise que c’est la réalité. »

« La paix est possible »

Dès le 25 janvier, le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, s’est exprimé au nom de l’organisation interreligieuse Religions for Peace Myanmar. Alors que l’armée élaborait des plaintes d’irrégularités électorales et suggérait sa reprise du pouvoir, le cardinal lançait un « appel fraternel urgent à la paix et la réconciliation », en demandant aux leaders civils et militaires de « rejeter la poursuite futile de solutions militaires ». Après le coup d’État, il s’est à nouveau adressé au peuple birman, le 4 février : « J’ai regardé avec tristesse ces moments d’obscurité de notre histoire, et avec espoir la résilience de notre peuple dans sa lutte pour la dignité. » « Nous avons versé assez de sang. Que pas une goutte de plus ne soit versée sur cette terre. Même dans ces moments d’épreuve, je crois que la paix est la seule issue, que la paix est possible. Il y a toujours des moyens non-violents d’exprimer notre protestation. » L’archevêque de Rangoun estime ainsi qu’à l’origine des événements qui bouleversent le pays, il y a un manque de dialogue qu’il appelle à rétablir. Alors qu’il rappelle aux officiers leurs promesses démocratiques et qu’il demande la libération des prisonniers politiques, le cardinal Bo adresse ses prières à ces derniers, en particulier à Aung San Suu Kyi, « voix de notre peuple ». Il conclut son message en soulignant que « la paix est possible, la paix est la seule issue ». Le soir, parmi les chants qu’on entend aux fenêtres, l’un d’eux clame « Kabar ma kye bu » (« nous ne nous soumettrons pas même si l’univers s’effondre »).

(EDA / Salaï Thibaut et Jacques Carrot)

Crédit : Agenzia Fides / CC BY 4.0