Eglises d'Asie

Rangoun : le mouvement de résistance birman passe à l’offensive face à la stratégie de division de la junte

Publié le 14/09/2021




Le 7 septembre 2021, le président du gouvernement d’unité nationale en exil, Duwa Lashi La, a annoncé l’état d’urgence et déclaré officiellement la guerre au régime du général Min Aung Hlaing. D’une voix calme et affirmée, l’appel est venu de la radio clandestine au petit matin, appelant les fonctionnaires et militaires à déserter, et la population à se soulever face au coup d’État du 1er février. De son côté, le cardinal Bo, archevêque de Rangoun, s’est prononcé en faveur de la « patience », le 8 septembre lors du Congrès eucharistique international à Budapest.

Un camp d’entraînement de l’armée Karen.

Alors que le 7 septembre, Duwa Lashi La, président du gouvernement d’unité nationale en exil, a appelé la population à se soulever contre le régime militaire, la guerre du peuple birman contre son armée a pourtant déjà commencé. Alors que la presse n’offre plus que des informations parcellaires entre les arrestations de journalistes et l’impossibilité de se déplacer, les réseaux sociaux annoncent des attaques et arrestations quotidiennes. Selon l’Association des anciens prisonniers politiques (AAPP), 1 058 personnes ont été tuées par l’armée à ce jour, et plus de 6 000 ont été emprisonnées, dont une centaine de membres des familles des résistants ; parmi eux, 6 enfants sont ainsi tenus en otage. Au petit matin ou dans la nuit, les habitants de Rangoun et Mandalay s’habituent au son des explosions et échanges de tirs. Les églises et monastères ne peuvent même pas accueillir les prières des fidèles, fermés pour cause de Covid-19.

L’armée birmane poursuit aveuglément les arrestations contre les plus de 400 000 fonctionnaires ayant rejoint le mouvement de désobéissance civile. Même les médecins et infirmières sont visés, malgré une vague de Covid-19 particulièrement meurtrière, ayant touché le pays entre juillet et août – plus de 150 soignants ont été arrêtés et une dizaine tués, selon In Security Insight. Sans données officielles sur le nombre de contaminations ou de morts, l’ampleur de la catastrophe sanitaire se traduisait dans les files d’attente qui se formaient devant les unités de production d’oxygène et l’entrée des crématoriums de Rangoun. Fin juillet, la radio et la presse d’état ont annoncé la construction simultanée de 10 nouveaux crématoriums avec une capacité de 3 000 cadavres pas jour, traduction morbide de l’incapacité des généraux birmans à protéger la population.

La pandémie a quelque peu ralenti la résistance

La pandémie a quelque peu ralenti la résistance, qui continue d’accueillir de nouvelles recrues et de mener des attaques contre des stations de police, les administrateurs du régime, les renforts militaires et les informateurs de l’armée. Dans les États chrétiens Chins, Kachins, Karen et Kayah, les groupes de combattants civils alliés aux rébellions ethniques s’opposent directement avec les militaires. Sans armes capables de répondre à l’équipement russe, chinois et israélien des militaires, la résistance privilégie les attaques à la mine sur les convois de troupe. Chaque semaine, des camions entiers sont retournés au passage d’une mine. L’armée répond systématiquement par des attaques à l’aveugle sur les villages alentour. Début septembre, des bombardements ont détruit des maisons et des villages entiers dans les État Chin, Kayah et dans la région à dominante ethnique bamar Sagaing.

La révolution birmane de 2021 est en train de se distinguer des échecs passés de 1988 où la lutte armée ne s’était principalement traduite que dans les régions ethniques. Les forces de défense du peuple (PDF) sont aujourd’hui actives dans les régions bamar et bouddhistes. Alors que ces groupuscules forment des alliances, ils réunissent des unités dans les régions de l’Irrawaddy, Magway, Bago, Tanintharyi Yangon et Mandalay. La guérilla urbaine organise des attaques surprises, comme le 9 septembre contre un convoi d’officiers attaqué à l’explosif dans le cœur de Rangoun. « En moyenne 15 attaques sont recensées par jour » depuis le mois de mars, selon le porte-parole de l’armée birmane, le brigadier général Zaw Min Tun. L’armée birmane ne démontre aucun signe de clémence particulière envers la majorité bamar, des villages entiers ayant été brûlés dans les régions de Sagaing et Magway. Alors que des églises continuent d’être prises pour cibles dans l’Etat Chin, un monastère a également été pillé autour de Mindat.

L’armée cherche à diviser les communautés religieuses

Les ordres religieux ne sont pas épargnés et l’armée attise les tensions interreligieuses et au sein même des ordres bouddhistes. Dans l’État Chin, le 26 juillet, le père Lucius Hre Kung a ainsi été arrêté par le groupe de défense Chinland Defense Force. Il a été accusé de communiquer des informations sensibles à l’armée. Le prêtre, actif dans la fourniture d’aide humanitaire aux réfugiés, s’est retrouvé au milieu du conflit. Selon le témoignage de résidents, « l’armée a distribué aux pasteurs et prêtres 18 000 MMK [10 dollars USD]. Les pasteurs et prêtres acceptant la somme ont été largement critiqués par la population », témoignant d’une stratégie de division par l’armée.

L’armée birmane affectionne particulièrement la stratégie du « diviser pour mieux régner », qu’elle pratique avec succès à l’encontre des groupes ethniques du pays depuis l’indépendance, pour éviter tout encerclement. Dans l’État Rakhine, alors que le groupe insurgé de l’Arakan Army profite d’un cessez-le-feu avec l’armée birmane, pour affirmer son contrôle sur le territoire nouvellement conquis et créer ses propres institutions judiciaires ou de police, l’armée s’oppose à toute intégration des communautés musulmanes. L’Arakan Army a déclaré ouvrir ses formations policières et administratives aux responsables musulmans dans un signe concret d’ouverture envers la communauté Rohingyas restante. L’armée – pourtant responsable de la répression des Rohingyas – a immédiatement appelé les communautés musulmanes à refuser l’appel, cherchant à instiller la division.

Détermination et soutien populaire

Depuis l’indépendance, l’armée pratique avec succès la stratégie du « diviser pour mieux régner » à l’encontre des groupes ethniques.

Face à cette stratégie de division, la révolution birmane est désormais entrée dans une phase offensive. Si directement après l’appel à la résistance du président Duwa Lashi La, les citadins se sont rués comme lors du coup d’État vers les supermarchés pour stocker de la nourriture, l’état d’esprit a changé. Après la peur et la surprise du 1er février, le peuple birman affiche aujourd’hui une certaine détermination. Le soutien populaire à la résistance se traduit matériellement par des collectes de fonds très impressionnantes, organisées en ligne par le gouvernement en exil. Lors de la première édition, les tickets de la loterie des résistants ont été épuisés en quelques heures, et les sommes récupérées se comptent en centaines de milliers de dollars. Le gouvernement d’unité nationale a révélé un budget de 700 millions de dollars selon le Nikkei Asia, un chiffre certes largement inférieur aux 20 milliards du dernier budget voté par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) en 2020, mais révélateur du soutien populaire.

La population refuse également de payer ses taxes au régime militaire. Selon le groupe des Economistes Indépendants du Myanmar, le taux de recouvrement des factures d’électricité serait de 2 à 3 % dans les villes de Rangoun et Mandalay. Le régime militaire ne peut plus compter que sur les entreprises d’état et les multinationales étrangères telles que Total pour financer la répression (le gouvernement français n’a toujours pas engagé plus d’actions pour contraindre l’entreprise à cesser ses versements). Unie dans le rejet de la dictature militaire la population l’est aussi dans la tristesse face à la brutalité des militaires. Les 10 et 11 août ont été partagées les photos d’une vingtaine de combattants de la région de Sagaing tués et leurs cadavres empilés. Les clichés révèlent des armes bricolées avec du bois et des matériaux de construction, contraste tragique avec les avions de chasse de l’armée birmane. Deux adolescents de 14 et 15 ans, dans la région chrétienne du Kayah sont devenus des martyrs de la révolution, photographiés ligotés par les soldats brandissant le signe des trois doigts levés de la résistance avant d’être abattus.

Le cardinal Charles Maung Bo appelle à la patience

Les réactions internationales après la déclaration de guerre du gouvernement d’unité nationale ont été timides. L’ambassade britannique en Birmanie a appelé au « dialogue », et le Japon a déclaré son soutien au processus de l’ASEAN soutenu par l’Union européenne. L’association régionale, censée négocier avec la junte militaire, a pourtant mis plus de trois mois à choisir un envoyé spécial et s’est fait tourner en ridicule après l’annonce médiatique d’un cessez-le-feu accordé par la junte, aussitôt démenti par l’armée birmane début septembre. L’annonce britannique a appelé la réponse du peuple birman, citant le premier ministre Churchill « vous ne pouvez raisonner avec un tigre quand votre tête est dans sa gueule », une description juste de ce que l’inaction risque d’entraîner en Birmanie. Le cardinal birman Charles Maung Bo, de son côté, s’est prononcé en faveur de la « patience », le 8 septembre lors du Congrès eucharistique international à Budapest. Dans son discours, l’archevêque de Rangoun a rappelé la souffrance de l’Église birmane, en se gardant d’appeler au dialogue. Le cardinal Charles Maung Bo était pourtant, avant le 1er février, l’une des rares personnalités birmanes à anticiper la crise, justement par « manque de dialogue » entre Aung San Suu Kyi et le commandant en chef Min Aung Hlaing.

(EDA / Salai Ming, Rangoun)

Crédit : EDA / Mil.ru (CC BY 4.0)