Eglises d'Asie – Thaïlande
Réouverture de la plage de Maya Bay : pour s’adapter à la pandémie, un tourisme plus local
Publié le 26/01/2022
Au bord de l’eau turquoise, des touristes asiatiques et européens prennent la pose. Ils étaient venus assister, début janvier, à la réouverture très attendue de la baie de Maya, joyau de la mer d’Andaman, après trois ans de fermeture. « On espérait qu’il n’y aurait personne pour le premier jour », confie Maïka, une touriste malgache, « mais c’est une plage mythique, tout le monde a voulu venir, bien sûr ».
Au large de l’île de Koh Phi Phi, avec ses eaux cristallines et ses collines calcaires couvertes de végétation, la baie de Maya – du sanskrit Maya, l’Illusion, c’est-à-dire, dans la tradition hindouiste, la force cosmique à travers laquelle l’univers se manifeste aux êtres humains – est considérée comme l’une des plus belles plages du monde. Elle a d’ailleurs servi de décor au film La Plage, sorti en 2000 avec Leonardo di Caprio et Virginie Ledoyen.
Jusqu’en 2018, la Maya Bay recevait près de 5 000 visiteurs et plus de 200 bateaux chaque jour. Victime de son succès, elle subit de plein fouet l’impact du tourisme de masse : la barrière de corail est fortement endommagée, la faune et la flore dépérissent. Le gouvernement thaïlandais décide alors de fermer Maya pour restaurer son écosystème. Pendant trois ans, les scientifiques du Centre de Conservation des récifs coralliens ont instauré, à proximité de la baie, des « nurseries de corail » : des espaces sous-marins consacrés à la culture de minuscules plants. Les communautés locales se sont mobilisées pour la sauvegarde de leur environnement.
« Dès que les plants étaient assez grands, les plongeurs des environs se portaient volontaires pour aller les replanter à Maya, aux endroits du récif qui avaient été complètement détruits par les bateaux à moteur », explique Niklas Hartman, un moniteur de plongée installé à Koh Phi Phi. Certaines espèces de poissons ont été réintroduites, d’autres sont revenues d’elles-mêmes, comme les requins à pointe noire, une espèce indicatrice de la bonne santé des écosystèmes marins.
« On essaie de mettre en place de nouvelles pratiques »
Les scientifiques affirment qu’ils ont été surpris par la rapidité avec laquelle la nature a repris ses droits. « C’est une excellente nouvelle », estime Anuar Abdullah directeur de l’ONG Ocean Quest Global. « Au bout de trois mois de fermeture, déjà, nous avions constaté des progrès considérables sur le corail et la faune marine. C’est la preuve qu’il n’est pas trop tard, dans beaucoup d’autres endroits du monde. » Devant ces bons résultats, la réouverture, initialement prévue à horizon 2023, est intervenue plus tôt que prévu, malgré des avis divergents. Si les écologistes ont peur que le retour des touristes ne vienne tout gâcher à nouveau, la majorité des locaux estime que « les affaires doivent reprendre ». « Maya attire les visiteurs, on en a besoin pour survivre », affirme un conducteur de bateau au port de Tongsai.
À travers l’exemple de Maya Bay, c’est toute la question du nouveau modèle touristique thaïlandais qui est posée, entre retour nécessaire des touristes pour l’économie et la volonté de conserver les bénéfices environnementaux de la pandémie. À Maya, les autorités ont choisi d’imposer des restrictions : les bateaux n’ont désormais plus accès à la baie, les visiteurs doivent arriver par l’arrière de l’îlot et accèdent à la plage après une courte marche. Chaque touriste n’est autorisé à rester qu’une heure, avec un maximum de 375 touristes par heure. Surtout, la baignade est désormais interdite.
« On essaie de mettre en place de nouvelles pratiques touristiques », explique Yongyuth Pradert, du département des parcs nationaux. « On a installé des gardes qui veillent sur la plage. » Il souligne que la plus grande place occupée par la nature sauvage se fait nécessairement au détriment de certaines pratiques, notamment celles prisées des touristes européens, comme la nage. « Aujourd’hui, il y a des requins, ce serait donc trop dangereux, de toute façon. » Cette « nouvelle normalité » du tourisme, telle que décrite dans une directive gouvernementale, engage à promouvoir des pratiques touristiques plus « calquées sur les modes de vie locaux ».
Repenser le tourisme
En plus des préoccupations environnementales, l’administration thaïlandaise souhaite repenser son tourisme dans le contexte d’un monde désormais sujet aux épidémies et aux quarantaines. Son programme Sandbox (Bac à Sable), dans les îles de Phuket et de Samui, est unique en son genre : sans pouvoir quitter l’île, les touristes y sont autorisés à circuler librement après un premier test négatif. Ils peuvent se rendre à la plage ou au restaurant, alors que la population locale a fait l’objet d’efforts de vaccinations prioritaires. Certains hôtels proposent même des quarantaines « à thème », centrées autour du bien-être, des soins de beauté ou de la pratique de la méditation. La Thaïlande, dont le massage traditionnel a été classé au patrimoine immatériel de l’Unesco, peut en effet capitaliser sur son image de « bien-être », l’un des axes majeurs du développement du secteur.
Il s’agit aussi d’encourager les visiteurs au long cours, pour lesquels une semaine de quarantaine n’est pas un obstacle. L’accent a été mis récemment sur les nomades digitaux, une communauté grandissante avec l’essor du télétravail. L’île de Kho Pha-ngan, au sud-est, s’est fait une spécialité d’attirer cette nouvelle clientèle, avec des maisons à loyers modérés à louer, de bonnes connexions Internet et une offre de restauration diversifiée de grande qualité. Des communautés de jeunes travailleurs de la Toile, (créateurs de sites web, modérateurs de contenus, monteurs vidéo…), attirés par la multitude de centres de yoga et autres pratiques qui mettent l’accent sur le bien-être physique et mental, et par des facilités de paiement en cryptomonnaies dans certains établissements, ont afflué sur l’île ces derniers mois.
Le gouvernement thaïlandais souhaite aussi promouvoir le tourisme domestique, subventionnant à travers divers programmes jusqu’à 50 % des prix des chambres d’hôtels pour les Thaïlandais. Toute une nouvelle catégorie de population venue des provinces s’est mise à voyager pour la première fois. Leur présence, désormais majoritaire dans des endroits auparavant confisqués par le tourisme international, change profondément la physionomie des lieux et l’offre de consommation – moins de bars, par exemple –, amenant même certains éditorialistes de télévision thaïs à évoquer une « décolonisation ». Le gouvernement vient d’annoncer la réduction de la période de quarantaine à deux jours (premier et cinquième jour, le temps d’effectuer des tests PCR) dès le mois de février pour les voyageurs.
(EDA / Carol Isoux)