Eglises d'Asie

Riziculture : les fermiers bangladais endettés malgré une récolte abondante

Publié le 06/06/2019




Au Bangladesh, quatrième producteur de riz au monde après l’Inde, la Chine et l’Indonésie, le riz joue un rôle central dans l’économie, occupant presque 75 % des terres cultivées sur 8,57 milliards d’hectares de terres arables. La production augmente d’année en année, et a atteint 36,2 millions de tonnes en 2017-2018. Le riz emploie 48 % des foyers soit environ 13 millions de familles rurales, dans un pays où 80 % de la population vit dans des zones rurales. Pourtant, les fermiers et ouvriers agricoles subissent une crise majeure provoquée par la chute des prix du riz paddy (brut), à cause d’une récolte particulièrement abondante par rapport à la demande et du dysfonctionnement de la politique alimentaire du pays.

Le riz est l’alimentation principale de Jalil Mia, comme pour la plupart des Bangladais, mais pour lui, c’est aussi l’unique source de revenus de sa famille. Tous les ans, il fait pousser du riz au cours de trois saisons – Aman (décembre-janvier), Boro (mars-mai) et Aush (juillet-août) – comme des millions de fermiers des régions rurales, dans un pays majoritairement agricole. Jalil, 45 ans, paysan sans terre, musulman et père de trois enfants, vit dans le district de Naogaon, dans le nord du Bangladesh, principal foyer de production du riz du pays. Cette année, il a planté du riz boro sur 1,65 acres (6 677 m²) de terres, louées pour 50 000 takas (523 euros), une somme empruntée auprès d’une ONG locale sous condition de rembourser la dette après les récoltes. Une météo favorable, une bonne irrigation et l’apport d’engrais ont contribué à une récolte abondante. Après avoir laissé la part du propriétaire du terrain, il a rapporté chez lui 1 800 kg de riz. Mais Jalil Mia a dû accepter le prix du riz sur le marché, qui a plongé après la récolte abondante de riz boro. Le gouvernement a fixé le prix à 1 040 takas (10 euros) pour 40 kg de riz, mais la chute des prix a forcé beaucoup de fermiers comme Jalil à vendre entre 500 et 650 takas, à cause de l’offre abondante. Dans beaucoup de régions, le prix de 40 kg de riz est tombé en dessous du salaire journalier d’un ouvrier agricole.

Le 12 mai, un agriculteur frustré du district de Tangail a mis le feu à son champ afin de protester contre le niveau des prix et contre le manque d’ouvriers, un incident qui a provoqué l’indignation du public et des médias locaux. « Aucun fermier de la région n’a pu suivre les prix fixes du gouvernement, ce qui aurait au moins pu les sauver contre des pertes, à défaut de profits. Je risque de perdre entre 20 000 et 25 000 takas durant cette saison », explique Jalil. Début juin, alors que le festival de l’Aïd-El-Fitr (rupture du jeûne du ramadan) approchait pour la majorité musulmane bangladaise, Jalil se demandait comment il allait pouvoir rembourser son emprunt ou participer au festival. « J’espérais de bons profits, et je voulais acheter de nouveaux vêtements pour ma femme et mes enfants. Je me demande si c’est encore possible. Cette fois-ci, l’Aid nous trouve tristes et désespérés. » Mohon Tirkey, un catholique de 26 ans de la tribu Mahali, dans le district de Chapai Nwabganj dans le nord du pays, partage un sort similaire. Il a planté du riz sur ses trois acres (12 000 m²) de terres, et il a récolté 10 tonnes de riz, après avoir emprunté 150 000 takas (1 570 euros) auprès d’une ONG locale. « Je suis frustré par le prix du riz. L’argent de la vente ne sera pas suffisant pour rembourser mon emprunt, et je vais peut-être devoir vendre une parcelle de terrain. Sans le soutien du gouvernement, ce sera difficile de survivre. »

4e producteur de riz au monde

Le Bangladesh est le quatrième producteur de riz au monde après l’Inde, la Chine et l’Indonésie. Le riz joue un rôle central dans l’économie du pays. Presque 75 % des terres cultivées et plus de 80 % des surfaces irriguées, sur les 8,57 milliards d’hectares de terres arables que compte le pays, sont consacrés au riz, selon l’Institut bangladais de recherche sur le riz. Le riz emploie 48 % des foyers soit environ 13 millions de familles rurales, dans un pays où 80 % de la population vit dans des zones rurales. En 2016-2017, le Bangladesh a produit 33,8 millions de tonnes de riz, et 36,2 millions de tonnes en 2017-2018, selon le Département d’extension agricole, qui estime que cette année, la production devrait encore augmenter d’1,3 millions de tonnes. Le pays pourtant perdu des milliers d’hectares de terres arables à cause de l’immobilier, de l’urbanisation et de l’industrialisation qui ont accompagné une explosion démographique – de 75 millions d’habitants en 1971 à plus de 160 millions d’habitants aujourd’hui. Selon les observateurs, la chute des prix du riz est issue d’une mauvaise politique alimentaire et de la corruption. « Le marché est contrôlé par des courtiers et des industriels privés, qui imposent les prix et spolient les fermiers », affirme un membre du département de l’agriculture au sein du gouvernement bangladais, dans le district de Chapai Nawabganj. Même si la récolte est abondante, les importations de riz continuent, ajoute le fonctionnaire, qui souhaite rester anonyme. « Nous devons suivre le modèle d’autres pays producteurs de riz, où les fermiers sont soutenus par le gouvernement sous la forme de programmes d’approvisionnement alimentaire. Au lieu d’importer, nous devons aider et encourager les fermiers », insiste-t-il.

Prix bas et coûts de production élevés

Avec les années, les paysans ont augmenté la production de riz, mais ils ne parviennent pas à faire de profits, explique Rajib Hasan, professeur d’économie à l’université de sciences et technologie Hajee Mohammad Danesh, dans le district de Dinajpur. « La production de riz a augmenté, mais tous les coûts également, et beaucoup d’ouvriers agricoles ont changé de métier. De plus, comme les fermiers ne peuvent pas cultiver sans argent, ils doivent faire des emprunts et sont forcés de vendre leur récolte très tôt afin de pouvoir rembourser », ajoute Rajib Hasan. Des connaissances adaptées sont nécessaires pour parvenir à réduire les coûts, explique Sukleash George Costa, directeur de la Caritas de Rajshahi, dans le nord du pays. « Nous avons découvert que si les fermiers utilisent seulement la moitié des engrais et des pesticides qu’ils emploient, la production sera bonne et les coûts réduits », assure Sukleash Costa, ancien coordinateur national de la recherche agricole pour le programme de développement de la Caritas bangladaise. La misère des fermiers peut aussi être attribuée à des négociants peu scrupuleux, à des industriels privés et au gouvernement, ajoute-t-il. « En fait le prix du riz paddy [brut] est très bas comparé au prix du riz. Avec la crise, les fermiers vendent le riz paddy à prix bas et les industriels font des profits énormes, en en cédant une partie aux autorités pour acheter leur silence », explique Sukleash Costa.

La politique agricole actuelle confirme ses affirmations. Dans le cadre de son programme d’approvisionnement alimentaire, le ministre de l’alimentation achètera 150 000 tonnes directement auprès des fermiers, sur 19,6 millions de tonnes de riz boro récoltées cette année. Dans le cadre du même programme, le gouvernement achètera 1,15 million de tonnes de riz auprès des industriels privés. Ces derniers sont donc toujours gagnants, en achetant du riz paddy à bas prix et en vendant du riz au gouvernement à bon prix. Anima Rani Nath, secrétaire associé au ministre de l’alimentation, affirme que le gouvernement essaie vraiment de régler le problème. « Nous sommes heureux des bonnes récoltes, mais nous sommes aussi inquiets devant la crise qui touche les fermiers. Nous leur achetons du riz à bon prix et nous découragerons les importations de riz afin d’encourager les fermiers. Nous avons un plan à long terme pour éviter que ce genre de crise ne survienne à nouveau », assure-t-elle. « De plus, nous prendrons des mesures adaptées s’il y a des accusations d’irrégularités. » Jalil Mia, de son côté, reste abattu par la crise. « Nous nourrissons le pays mais personne ne s’intéresse à notre sort. »

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews