Eglises d'Asie – Cambodge
Sam Rainsy, chef de file de l’opposition en exil, annonce un retour au Cambodge en novembre
Publié le 23/08/2019
En 2013, Sam Rainsy, chef de file de l’opposition cambodgien, à la tête du parti du CNRP (Cambodian National Rescue Party), s’est rapproché de la victoire aux côtés de Kem Sokha, autre figure majeure de l’opposition, en remportant 55 sièges sur 123 au Parlement. Lors des élections communales de 2017, le CNRP a fait encore mieux en remportant presque 44 % des voix. Aujourd’hui, pourtant, la situation est bien différente. Quelques mois après les élections de 2017, le CNRP a été dissous par la Cour Suprême. Kem Sokha a été placé en résidence surveillée pour trahison, et 147 membres et partisans du CNRP ont été soumis à des interrogatoires cette année, selon Human Rights Watch. Plusieurs dirigeants du CNRP se sont exilés et le gouvernement cambodgien les a menacés de les arrêter s’ils décidaient de revenir dans le pays. « Bien sûr que cela nous inquiète. Personne ne veut être arrêté ou tué », a confié Mu Sochua, vice-présidente du CNRP et ancienne ministre cambodgienne des Femmes et des Anciens combattants. Elle-même et plusieurs autres dirigeants de l’opposition prévoient d’accompagner Rainsy quand il reviendra d’exil. « Cette fois-ci, ce ne sera pas uniquement Sam Rainsy. Nous viendrons ensemble aux côtés de seize membres du Parlement européen. Et nous invitons les gens à se joindre à nous. »
Sam Rainsy a également annoncé qu’il comptait favoriser le retour de deux millions de travailleurs cambodgiens au pays, qui travaillent aujourd’hui en Thaïlande, en Malaisie, en Corée du Sud, au Japon et dans d’autres pays. Leur objectif commun est de restaurer la démocratie au Cambodge, qui est devenu un État à parti unique après des élections très contestées en 2018. « C’est notre devoir de contribuer au développement du Cambodge et de restaurer la démocratie. La seule façon de le faire, c’est de revenir », a déclaré Mu Sochua. Mais ce n’est pas la première fois que Sam Rainsy annonce son retour. Depuis son exil qu’il s’est lui-même imposé fin 2015, il l’a annoncé à plusieurs reprises, assurant qu’il restaurerait la démocratie et qu’il chasserait Hun Sen du pouvoir. Des promesses qu’il n’a pas tenues à ce jour. C’est pourquoi sa dernière déclaration suscite une réaction mitigée sur les réseaux sociaux. Sur sa page Facebook, ses partisans le considèrent comme un héros et placent toute leur confiance en lui. Mais d’autres doutent ouvertement qu’il tiendra sa promesse. Tandis que dans son exil, le chef de file de l’opposition a été condamné à la prison à plusieurs reprises, notamment pour crime de lèse-majesté, incitation à la désobéissance du personnel militaire et diffamation envers Hun Sen. Des condamnations considérées comme des gestes purement politiques. « Je ne peux pas faire confiance à ce qu’il dit ou à ses promesses », confie Noan Sereiboth, un observateur politique lié au groupe de discussion Politikoffee.
Seul opposant à Hun Sen
Mu Sochua a assuré que cette fois-ci cependant, serait différente. « Cette fois, le parti est suffisamment prêt. Et nous ne devrions pas perdre notre temps à parler des promesses passées de Sam Rainsy. Hun Sen doit le laisser revenir. Combien de fois a-t-il été confronté à la police ? Combien de fois a-t-il mené des manifestations et risqué d’être abattu ? » Sam Rainsy est souvent vu comme le seul homme politique cambodgien à être suffisamment populaire pour défier Hun Sen, Premier ministre au pouvoir depuis 1985. Mais vu les violences politiques qui sont liées à l’histoire du Cambodge, le retour de Sam Rainsy pourrait être chaotique. En 1997 en effet, Sam Rainsy et un groupe de partisans ont été la cible d’une attaque à la grenade qui a tué au moins seize personnes. En 2014, une manifestation de travailleurs du textile et de partisans du CNRP a été arrêtée brutalement, causant la mort d’au moins quatre personnes. Avec ces violences en mémoire, Hun Sen doit agir de façon responsable cette fois-ci, ajoute Mu Sochua. « Si nous sommes arrêtés ou tués, il y aura forcément un soulèvement. Ce serait le chaos et il y aurait des morts. Ce serait un retour en arrière. Ce que nous proposons, c’est une alternative à un État à parti unique. Sinon, combien de temps cette situation durera-t-elle ? En fin de compte, les gens finiront par se révolter. » Paul Chambers, expert sur la politique cambodgienne et conférencier à l’université Naresuan de Thaïlande, confie qu’après les déclarations précédentes du leader de l’opposition, il n’est pas encore convaincu par la nouvelle annonce. « Mais je comprends la difficulté de la situation, à cause des violences qui pourraient l’attendre à son retour. Cela me rappelle ce qui est arrivé aux Philippines dans les années 1980, quand Ferdinand Marcos dirigeait le pays. Quand son opposant Benigno Aquino est revenu aux Philippines, il a immédiatement été abattu dès son arrivée à l’aéroport. Une telle éventualité pourrait faire peur à n’importe qui », explique-t-il. Paul Chambers estime que si les dirigeants du CNRP reviennent d’exil, ils ont dû parvenir à une sorte d’accord avec le gouvernement. « S’il y a un accord, tout dépend de Hun Sen. Il contrôle tout : l’armée, la défense et la police. Nous pouvons donc nous demander ce qu’il peut en retirer ? Peut-être que les Etats-Unis ou l’Union Européenne réagiraient en revenant sur leurs sanctions. Peut-être que Hun Sen ne veut pas dépendre uniquement de la Chine, et qu’un début de retour vers la démocratie pourrait améliorer l’image du pays. » Ce qui est sûr, c’est que même s’il est en exil depuis presque quatre ans, Sam Rainsy continue d’être très populaire parmi les Cambodgiens. « Les gens croient en lui parce qu’il est le seul espoir de salut et de véritables réformes pour le pays », estime Noan Sereiboth, un observateur. « Même si certains partisans ont perdu leur confiance en lui, nous ne voyons personne qui peut le remplacer. » Mu Sochua, depuis Tokyo où elle rassemble des soutiens pour préparer le projet de retour d’exil de Sam Rainsy, affirme qu’il n’y a plus d’autre alternative. « Nous sommes toujours inquiets. Mais nous ne pouvons pas continuer de dire que nous ne devrions pas le faire et laisser le Cambodge à la Chine. Nous voulons restaurer la démocratie. »
(Avec Ucanews, Phnom Penh)
Crédit : Heng Reaksmey / public domain