Eglises d'Asie

Sœur Ann Rose Nu Tawng, une religieuse devenue symbole de paix contre la répression birmane

Publié le 24/02/2022




Plus d’un an après le coup d’État, sœur Ann Rose Nu Tawng, poursuit son engagement auprès des patients d’une clinique catholique de Myitkyina, dans l’État Kachin. La religieuse, dont les images la représentant à genoux et les bras en croix devant les forces de l’ordre ont fait le tour du monde, est devenue un symbole de paix et de résistance pacifique contre la junte. Sœur Ann Rose, au service du diocèse de Myitkyina depuis 2010, accompagne également les malades dans les villages et les camps IDP (personnes déplacées internes) alentours.

Sœur Ann Rose Nu Tawng dans la clinique catholique où elle travaille, à Myitkyina, capitale de l’État Kachin.

Sœur Ann Rose Nu Tawng, célèbre pour les photos la représentant à genoux et les bras en croix devant la police birmane, reste traumatisée par le régime actuel de terreur mené par l’armée, entre les attaques contre les églises, les raids dans les villages, les maisons rasées, les civils innocents tués et le déplacement de plusieurs milliers d’habitants. « Je pleure pour les Birmans qui subissent la brutalité des militaires, et je demande à Dieu pourquoi des civils innocents continuent d’être tués », confie sœur Nu Tawng en évoquant les personnes déplacées et menacées par la faim et le manque d’abris temporaires.

« À chaque repas, je me souviens d’eux et de tous ceux qui sont dans le besoin, et je me demande comment ils parviennent à survivre au quotidien et s’ils ont de quoi manger et se loger correctement », poursuit la religieuse, qui fait partie de la congrégation des Sœurs de Saint François-Xavier.

Le pays d’Asie du Sud-Est traverse toujours une grave crise politique et économique depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, qui a renversé le gouvernement civil élu et déclenché des manifestations pacifiques à l’échelle nationale ainsi qu’une résistance armée. Le 28 février 2021, dans une image qui a été partagée par les médias du monde entier, sœur Nu Tawng a été vue à genoux devant des policiers dans l’État Kachin, en les suppliant de ne pas tirer sur des jeunes manifestants cherchant à se réfugier dans la clinique où elle travaillait.

« Si je ne l’avais pas fait, beaucoup d’autres auraient pu être tués »

« Je suis choquée et surprise quand j’y songe et que je vois ces photos, alors que Dieu m’a donné le courage de m’opposer aux forces de l’ordre. Dieu m’a utilisée pour protéger ces jeunes manifestants », explique-t-elle. Le soir même, alors qu’elle se démenait pour emmener un patient en urgence à l’hôpital, elle ne s’était pas rendu compte que la photo était devenue virale sur les réseaux sociaux, et qu’elle faisait la une de nombreux journaux internationaux. « Mes supérieures et mes collègues craignaient pour ma vie, et ma mère était tellement inquiète qu’elle m’a demandé de ne plus recommencer », confie-t-elle.

La religieuse, âgée de 46 ans, a pourtant répété cet acte début mars 2021, quand des tensions ont à nouveau éclaté entre les forces de l’ordre et des manifestants pro-démocratie à Myitkyina, capitale de l’État Kachin – qui ont entraîné deux morts et sept blessés. Sœur Ann Rose raconte que les policiers l’ont alors ordonné de partir en lui demandant « Est-ce que vous voulez mourir ? » « Si je ne l’avais pas fait, beaucoup de militants auraient pu être tués par les forces de l’ordre, qui les poursuivaient en tirant sur la foule », insiste-t-elle.

À l’âge de dix ans, sœur Ann Rose Nu Tawng avait déjà vécu un traumatisme avec d’autres villageois catholiques dans l’État Shan, quand ils ont été forcés de fuir alors que les militaires menaçaient de brûler leur village. « Cette mémoire de mon enfance me hante encore, quand nous étions forcés de fuir et de nous cacher dès que les troupes venaient dans le village. J’ai peur dès que je vois des soldats en uniforme », confie-t-elle. Venant d’une famille catholique nombreuse, avec un père catéchiste et une mère enseignante à la retraite, elle ne veut pas que les futures générations birmanes soient elles aussi traumatisées par les violences militaires. « J’ai peur que les enfants soient aussi marqués que je l’ai été dans mon enfance. »

Au service du diocèse de Myitkyina depuis 2010

Ses initiatives ont inspiré le monde entier durant la répression de l’armée birmane, jusqu’à attirer l’attention du pape François qui a prié en mars 2021 en disant « Moi aussi, je me mets à genoux sur les rues de Birmanie en disant ‘cessez les violences’ ». « Moi aussi, je veux étendre les bras et dire ‘faites place au dialogue’. » La religieuse a pourtant dû payer le prix de son opposition publique à la junte.

La clinique où elle travaille a été assaillie à quatre reprises par les forces de l’ordre qui ont exigé les dossiers des patients et contrôlé son téléphone en la prenant même en photo. « Les autorités locales m’ont contactée en m’avertissant d’éviter de tels actes », explique-t-elle, en ajoutant qu’elle est toujours accompagnée par quelqu’un quand elle sort. Toutefois, elle assure qu’elle poursuit sa mission auprès des patients, des futures mères et des nouveau-nés dans la clinique, tout en intervenant dans les villages alentour et les camps IDP (Personnes déplacées internes) pour contrôler leur santé.

Sœur Nu Tawng, qui sert le diocèse de Myitkyina depuis 2010, ne s’est pas non plus arrêtée quand elle a été infectée par le Covid-19, alors que le pays a subi une troisième vague de coronavirus en août dernier, pour pouvoir être auprès des patients. « C’est mon engagement personnel, nous devons toujours faire quelque chose pour les autres tant que nous sommes en vie, puisque l’avenir est incertain est que nous pouvons mourir demain », précise-t-elle. Malgré les épreuves et les difficultés, elle n’a pas perdu espoir de changer son pays en appelant à l’unité et à la solidarité entre tous les habitants, quelle que soit leur religion et ethnie. « J’espère que nous atteindrons notre objectif de construire une démocratie fédérale, à condition que tous, y compris les responsables religieux, fassent un effort. Nous avons besoin de plus de prières et d’une foi plus profonde en Dieu. »

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Ucanews