Eglises d'Asie

Traite des personnes : l’Église engagée contre le piège des mariages blancs sino-pakistanais

Publié le 05/06/2019




Les mariages transnationaux entre Chinois et Pakistanaises sont de plus en plus fréquents avec l’afflux croissant d’hommes Chinois dans le pays, venus travailler sur des projets liés au Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un projet de 60 milliards de dollars lancé en 2015. L’Église catholique au Pakistan a lancé l’alerte contre cette tendance inquiétante, liée à des réseaux de crime organisé avec la complicité d’agents matrimoniaux illégaux. Début mai, la Federal Investigation Agency (FIA), l’agence gouvernementale pakistanaise de renseignement et de police judiciaire, a arrêté une quarante de Chinois et une dizaine de Pakistanais accusés de faire partie d’un réseau de prostitution, dans le cadre d’une répression contre la traite des personnes au Pendjab.

Le père Morris Jalal s’est inquiété quand un de ses catéchistes lui a appris qu’une jeune femme de sa paroisse de Lahore, dans la province du Pendjab, s’apprêtait à se marier avec un homme d’affaires chinois, surtout dans le cadre d’histoires récentes liées à la traite des personnes impliquant le Pakistan et la Chine. Le prêtre capucin a immédiatement demandé à la famille de cette jeune femme de venir le voir. « Sa mère, une domestique, assurait que le fiancé de sa fille s’était converti au christianisme », explique le père Jalal. « Ils avaient même accepté 80 000 roupies [530 dollars] de sa part, incluant des frais hospitaliers pour un membre de la famille de 23 ans, qui a eu un accident de moto récemment. » Le prêtre a alors décidé de rencontrer le Chinois en question pour vérifier ses intentions. « Je lui ai demandé de faire le signe de croix, et il ne savait même pas ce que c’était. Plus tard, la fille a avoué qu’elle avait accepté uniquement pour pouvoir aider son père handicapé », indique le prêtre. Refusant qu’une jeune femme innocente risque d’être exploitée, le père Jalal a menacé de signaler la famille à la police en tant que complice de la traite des personnes. En apprenant la nouvelle, plus de 400 paroissiens se sont rassemblés devant le presbytère en janvier. L’un d’entre eux a même commencé à diffuser l’information sur Facebook.

« Le Chinois a lancé un ultimatum à la famille : soit ils renvoyaient l’argent, soit ils lui donnaient la fille. Alors j’ai profité du fait qu’une foule importante de musulmans nous soutenait », ajoute le père Jalal. « Je lui ai parlé de cas d’abus similaires contre des chrétiens dans notre pays, victimes d’étrangers, et il a quitté la ville dans les deux jours qui ont suivi. Après avoir consulté le conseil paroissial, je lui ai remboursé les 80 000 roupies qu’il avait versées. Quelques semaines plus tard, nous avons appris qu’il s’était marié avec une autre fille de Faisalabad », explique-t-il. « Il est évident qu’il voulait juste trouver une femme le plus vite possible. Et dans ce genre de mariage, il ne peut y avoir de véritable amour ni d’engagement. » Aujourd’hui, le père Jalal s’occupe d’une campagne lancée sur les réseaux sociaux, contre les mariages mixtes entre les femmes pakistanaises et les hommes chinois. L’Église catholique au Pakistan a également averti les paroissiens contre les dangers de cette tendance, qui a explosé avec l’afflux croissant d’hommes Chinois, venus au Pakistan pour travailler sur des projets liés au corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un projet de 60 milliards de dollars lancé en 2015. Le CPEC comprend un réseau routier et ferroviaire ainsi qu’un projet énergétique, afin de relier la région autonome ouïghoure du Xinjiang au port stratégique pakistanais de Gwadar.

Répression contre les trafiquants

Début mai, la Federal Investigation Agency (FIA), l’agence gouvernementale pakistanaise de renseignement et de police judiciaire, a arrêté un groupe de personnes suspectées de faire partie d’un réseau de prostitution, dans le cadre d’une répression lancée à travers la province du Pendjab contre la traite des personnes. Parmi les suspects figurent plus de quarante Chinois, ainsi que huit Pakistanais accusés d’être employés pour aider les premiers à négocier des mariages transnationaux. Saleem Iqbal, un militant basé à Lahore qui propose une aide juridique aux chrétiennes pakistanaise cherchant à divorcer de leurs maris chinois, affirme que le gang demande à ses « clients » chinois de verser entre 130 000 et 165 000 dollars pour une épouse pakistanaise. « Le responsable du réseau prétend être un expert embauché pour un projet lié au CPEC dans la région », explique Saleem. « Les agents pakistanais impliqués reçoivent environ 70 000 roupies [461 dollars] pour chaque Pakistanaise qu’ils parviennent à trouver. Des responsables religieux impliqués peuvent recevoir jusqu’à cinq lakhs [3 300 dollars] et les parents peuvent recevoir la même somme », ajoute-t-il. « Les jeunes mariés restent alors dans des appartements loués pour un mois, le temps que l’épouse apprenne un peu de mandarin et qu’elle puisse préparer ses titres de transport. Le réseau s’en prend même à des filles atteintes de handicaps physiques ou psychologiques. Mais il semble que personne ne s’y intéresse si ce sont des filles chrétiennes », précise-t-il. « Nos alertes ont seulement été entendues quand des filles musulmanes ont commencé à déposer des plaintes contre les Chinois. » Fin mai, un tribunal de Lahore a placé plusieurs membres chinois du réseau en détention provisoire, ceux-ci étant accusés de mariages blancs, de prostitution forcée et de trafic d’organes contre des filles pakistanaises en Chine. L’affaire doit être entendue le 10 juin.

Le ministre chinois de la Sécurité publique a envoyé un détachement spécial chargé de coopérer avec les autorités pakistanaises contre les trafiquants. « En cas de crimes commis par une organisation ou un individu chinois dans le cadre des mariages transnationaux, la Chine apporte son soutien au Pakistan pour la répression de ces crimes, selon les lois pakistanaises », a déclaré un porte-parole de l’ambassade chinoise, dans un communiqué publié le 10 mai. Toutefois, le communiqué a également signalé plusieurs fake news, en demandant plus de responsabilité aux médias locaux. L’ambassade chinoise a également refusé d’accorder des visas à 90 femmes pakistanaises qui prévoyaient de venir en Chine avec leurs maris. Durant sa dernière visite dans le pays, le vice-président chinois Wang Qishan a souligné la force des relations bilatérales entre les deux pays, en souhaitant que les deux parties continuent de protéger leurs intérêts mutuels. Par ailleurs, des vidéos de couples sino-pakistanais refont surface sur les réseaux sociaux, dans une tentative de riposte contre les accusations de mariages blancs. Zhao Lijian, chef de mission adjoint à l’ambassade chinoise au Pakistan, a partagé récemment une vidéo montrant une jeune pakistanaise, assise confortablement à côté de son mari chinois, et racontant l’histoire de leur mariage heureux.

Pressions diplomatiques

« Les récits qui affirment que des filles pakistanaises sont victimes de la traite des personnes en Chine, de réseaux de prostitution ou de trafics d’organes, sont des mensonges », a-t-il twitté. « La plupart des mariages entre la Chine et le Pakistan sont valides. Les agents matrimoniaux illégaux doivent être punis, mais par les mariés. » Zhao Lijian a précisé que la Chine enquêtait actuellement sur 142 cas de mariages transnationaux qui ont été enregistrés l’an dernier, afin de déterminer s’ils sont authentiques. La Federal Investigation Agency estime qu’à ce jour, près de 1 500 Chinois se sont mariés avec des Pakistanaises, pour la plupart appartenant à de familles chrétiennes démunies du Pendjab. Jamil Ahmad Khan Mayo, directeur adjoint du bureau de la FIA au Pendjab, affirme que plusieurs d’entre elles sont victimes du trafic d’organes. Le père Jala, quant à lui, décrit les vidéos montrées par l’ambassade chinoise comme des fake, des vidéos de propagande scénarisées. « La plupart de ces femmes semblent être victimes de harcèlement. Certaines ont eu la chance de pouvoir se sauver et de déposer des plaintes auprès de la Haute commission pakistanaise », poursuit le prêtre. « Personnellement, je connais une femme qui a été violée par cinq hommes en arrivant en Chine. Une autre victime de Faisalabad est tombée enceinte et vit aujourd’hui avec des religieuses à Lahore, où elle reçoit un soutien psychologique », ajoute-t-il. « À cause des pressions diplomatiques, beaucoup de familles victimes de ce phénomène ont refusé de parler aux médias ou de partager leurs témoignages. Elles veulent éviter que leurs filles soient stigmatisées par notre société. »

Selon Ijaz Alam Augustine, le ministre pakistanais des Droits de l’homme et des Affaires des minorités, deux pasteurs ont été arrêtés récemment à Faisalabad pour avoir délivré de faux certificats de baptême à des ressortissants chinois. Ces Chinois sont suspectés d’avoir utilisé ces certificats pour convaincre les parents de leurs fiancées de l’authenticité de leur conversion au christianisme, afin de faciliter leurs mariages. « Ces soi-disant pasteurs n’avaient pas de ministère officiel. Les mariages ont été cachés et organisés dans l’urgence, et les conversions ont été menées en un clin d’œil », explique le ministre. « Je condamne la cupidité des parents qui ont vendu leurs filles sans véritable vérification de l’identité de leurs prétendants », ajoute-t-il. « Ce problème a été soulevé au sein de l’Assemblée nationale. Nous sommes en train d’annuler les actes de mariages controversés qui ont été enregistrés. » Hina Jilani, membre de la Commission des Droits de l’Homme du Pakistan, a appelé Islamabad à agir contre les trafiquants. « Le gouvernement est peut-être dans le déni, mais il y a déjà de nombreuses preuves qui attestent de l’existence d’un crime organisé. Nous demandant une enquête transparente libérée de toute influence politique », a demandé Hina Jilani. « La volonté d’être un État ami ne doit pas amener à ignorer les victimes qui font appel à la justice », a-t-elle ajouté, évoquant le manque de communication entre les deux parties sur cette question comme un obstacle majeur qui empêche d’aider les filles pakistanaises coincées en Chine à retourner chez elles.

(Avec Ucanews, Lahore)


CRÉDITS

Photo 1 : Peter Jacob / Ucanews ; Photo 2 : Father Jalal