Eglises d'Asie

Travail domestique : la Caritas bangladaise face aux esclaves invisibles de Dacca

Publié le 20/09/2019




En 2015, le gouvernement bangladais adoptait une politique de protection des travailleurs domestiques, après de multiples pressions de la part des organisations humanitaires. En 2016, un rapport de l’Organisation internationale du travail soulignait que le pays comptait 2,1 millions de travailleurs domestiques, dont 273 543 enfants, souvent confrontés à des situations abusives en l’absence de véritable protection juridique. Aujourd’hui, selon la Caritas bangladaise qui a lancé un projet de protection pour les travailleurs domestiques en 2013, la situation s’est améliorée, mais elle appelle le gouvernement à promulguer une loi à part entière afin de mieux assurer la protection des travailleurs.

Fahima Begum, 30 ans, semble bien plus âgée avec son visage pâle et fatigué, et les cernes sombres sous ses yeux. Cette situation n’est pas seulement due au fait qu’elle a donné naissance à sept enfants – deux filles et cinq fils – depuis qu’elle s’est mariée à l’âge de 14 ans, mais aussi parce qu’elle travaille dix à douze heures par jour depuis des années, comme domestique. Une allée étroite et sale mène à son abri de tôle, dans le bidonville de Nakhal Para, à Dacca. « Après avoir préparé la nourriture pour mes enfants, je pars travailler avant midi ; et après avoir fini mon travail dans trois maisons différentes, je rentre vers minuit. Je travaille tous les jours », explique Fahima, une musulmane. Les tâches qu’elle doit accomplir pour ses employeurs actuels comprennent le nettoyage, la vaisselle et la lessive. En tout, elle gagne 4 500 takas (56 dollars) par mois. « Les revenus sont faibles, et c’est parfois difficile d’arriver à survivre. Après avoir payé le loyer, la nourriture et les autres dépenses habituelles, nous n’avons plus rien. Je ne peux pas me permettre d’envoyer mes enfants à l’école. Nous sommes devenus totalement démunis, et nous sommes obligés d’emprunter de l’argent à chaque fois que l’un d’entre nous tombe malade. » Munni Akter, sa fille aînée de 17 ans, a été mariée il y a deux ans.

Aujourd’hui, elle a une fille et travaille, elle aussi, comme employée domestique. Le fils aîné de Fahima travaille comme agent de sécurité dans un centre commercial, et ses autres enfants ramassent des légumes abîmés dans un marché local pour les revendre aux habitants des bidonvilles. Fahima est née et a grandi dans le bidonville, mais ses parents avaient quitté le district de Noakhali, dans le sud-est du pays, il y a plusieurs décennies, en espérant trouver une vie meilleure à Dacca. Son père travaillait dans une scierie et gagnait peu d’argent, donc Fahima et ses cinq frères et sœurs ne sont jamais allés à l’école. Fahima a commencé à travailler comme balayeuse au marché de Kawran Bazar, le plus grand de Dacca. Puis elle s’est mise à travailler comme domestique dans six maisons différentes. Comme son mari est drogué et au chômage, c’est elle qui doit trouver de quoi nourrir sa famille. Bien que ses employeurs actuels soient respectueux, elle a déjà rencontré des personnes abusives dans son travail. « J’ai connu des formes de torture mentale et physique, et des retenues de salaire. Beaucoup d’employeurs considèrent les employés domestiques comme des êtres inférieurs, alors ils les exploitent et les malmènent autant qu’ils le peuvent. »

2,1 millions d’employés domestiques au Bangladesh

Un rapport de l’Organisation internationale du travail, paru en 2016, indiquait qu’il y avait plus de 2,1 millions d’employés domestiques au Bangladesh, dont 273 543 enfants. La plupart sont employés dans les grands centres urbanisés comme Dacca, avec pratiquement aucun cadre juridique qui puisse les protéger des différentes formes d’exploitation et de la privation de leurs droits. Dans une série de photo récente intitulée Les esclaves invisibles de Dacca, le photographe italien Marco Giannattasio a évoqué la triste situation des jeunes employés domestiques de la capitale bangladaise. Après des années de pression de la part des organisations humanitaires, le gouvernement a fini par voter une « politique de protection et de bien-être des travailleurs domestiques » en 2015, une première étape pour reconnaître et assurer leurs droits au Bangladesh. Cette mesure reconnaît les employés domestiques comme des travailleurs réguliers. Elle protège leurs droits comme le paiement de leur salaire le 7e jour du mois, ainsi qu’un mois de préavis, des jours de congé et une sécurité sociale, et détaille les contrats de salaire, les paiements horaires des travailleurs à temps partiel et les paiements mensuels des travailleurs à temps plein. Toutefois, la politique en question n’est pas applicable parce qu’elle n’a pas enocre été promulguée comme une loi. En l’absence de véritable protection juridique, les travailleurs domestiques continuent de subir les abus physiques et psychologiques. L’exploitation entraîne souvent des blessures graves voire des meurtres, selon Habibur Rahman, responsable de l’organisation Bangladesh Domestic workers’ rights Network, basée à Dacca. « Selon nos archives, rien qu’à Dacca, entre 2001 et 2013, 567 travailleurs domestiques sont morts dans des circonstances mystérieuses, vraisemblablement des meurtres. Beaucoup de cas d’abus ou de décès ne sont pas rapportés, parce qu’il n’y a personne pour les défendre », explique Habibur Rahman. « Parfois, certains se suicident à cause d’un cadre de travail abusif qui s’accompagne de violences sexuelles. Souvent, les coupables concluent un accord avec la famille de la victime, qui reçoit de l’argent. Les travailleurs domestiques sont parfois enfermés dans les maisons. C’est de l’esclavage moderne. »

La Caritas de Dacca travaille au soutien des employés domestiques depuis 2013, quand elle a lancé son projet d’Approche durable pour la justice et l’équité (Sustainable approach for fairness and equity – SAFE). « Nous essayons d’accompagner les travailleurs domestiques pour qu’ils puissent mieux connaître leurs droits, et se défendre face aux abus. Nous organisons aussi des campagnes de sensibilisation », confie Arifa Naznin, en charge du projet. Près de 1 400 travailleurs domestiques ont déjà bénéficié des services de Caritas, ajoute-t-elle. « Les travailleurs subissent encore des abus, mais la situation s’améliore. Une fois que la politique de protection du gouvernement sera une loi, ce sera un outil efficace pour protéger leurs droits. » Le gouvernement est enthousiaste concernant les droits des employés domestiques, assure Shahin Akter, secrétaire adjoint du ministère du Travail et de l’Emploi. « Nous vérifions si la politique de protection est suivie, et nous intervenons dès que nous recevons des plaintes. Il y a des efforts qui sont entrepris pour défendre les droits des travailleurs domestiques. La mentalité des gens est en train de changer, et les cas d’abus diminuent jour après jour », poursuit-il. « Le processus de promulgation de la politique de protection en tant que loi en est à son premier stade, mais nous espérons que cela se fera un jour afin de mieux protéger les employés domestiques. »

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews