Eglises d'Asie

Travail forcé et pêche en mer : la Thaïlande déclassée par le rapport 2021 sur la traite des personnes

Publié le 08/07/2021




La Thaïlande a été déclassée par le rapport TIP 2021 sur la traite des personnes (Trafficking in Persons), publié tous les ans par le bureau du département d’État américain, chargé de surveiller et lutter contre la traite des personnes. Selon le rapport, le pays a été rétrogradé à cause de son incapacité à lutter contre le travail forcé des travailleurs migrants. Malgré les efforts entrepris, les auteurs du rapport soulignent les accusations persistantes évoquant des conditions de travail forcé dans de nombreux secteurs de l’économie thaïlandaise, dont le secteur de la pêche.

Ae, un homme discret d’une cinquantaine d’années, a passé presque toute sa vie dans les rues de Bangkok, depuis qu’il s’est enfui de chez lui étant enfant. « Mes parents ne s’occupaient pas de moi. Ils ne voulaient pas de moi », raconte Ae, un Thaïlandais qui se fait appeler par son surnom parce qu’il ne connaît pas son nom légal. Au fil des années, il a survécu en mendiant et en fouillant les poubelles. Par ailleurs, bien que ne sachant ni lire ni écrire, il vendait des journaux aux passants. Mais un jour, il y a quelques années, la chance a semblé lui sourire de nouveau, du moins en apparence. Un homme est venu le voir en lui offrant du travail sur un bateau de pêche. « Il disait que je pouvais gagner beaucoup d’argent », se souvient-il. Le sans-abri, qui n’avait toujours eu que quelques pièces en poche, a sauté sur l’occasion. Mais il explique que ce nouveau travail ne lui a apporté que davantage de souffrances. Au lieu d’un salaire décent, il ne gagnait rien et travaillait dur toute la journée sur le bateau, durant des sorties au large qui pouvaient durer plusieurs mois. Le travail était éprouvant, mais il ne pouvait pas refuser : « Ils auraient pu me pousser par-dessus bord, et personne n’aurait rien su. » Il a finalement pu s’enfuir. Un jour, une fois le bateau rentré au port, il a débarqué discrètement et s’est caché sous une maison sur pilotis.

Ae est loin d’être le seul à être tombé au piège des filières irrégulières et informelles du secteur de la pêche en Thaïlande – un marché de 7 milliards de dollars US, accusé depuis longtemps de trafic humain et de conditions de travail inhumaines. L’industrie emploie environ 800 000 personnes dans le pays, dont une majorité de migrants venus de Birmanie, du Cambodge et du Laos. Au fil des années, de nombreux rapports ont dénoncé ces pratiques. Une fois les ouvriers pris au piège de ces réseaux de trafiquants, ils se retrouvent à bord et au large, à la merci des responsables. Beaucoup de victimes affirment avoir vu des collègues assassinés à bord pour avoir refusé d’obéir. « J’ai vu un meurtre de mes propres yeux », explique Tun Thet Soe, une victime qui, comme Ae, a pu s’échapper, et qui a témoigné auprès de l’ONG Environmental Justice Foundation, basée au Royaume-Uni. « Ils ont commis de nombreux abus, dont des violences et des meurtres commis au large », raconte cet immigré birman. « Ils torturaient et assassinaient les pêcheurs, puis ils les jetaient à la mer. »

« Les migrants sans papier sont les plus vulnérables »

En 2009, une enquête de l’UNIAP (le programme interagences des Nations Unies sur le trafic des êtres humains) a constaté que les deux tiers des victimes, interrogées après avoir travaillé sur des bateaux de pêche thaïlandais, ont été témoins du meurtre d’un de leurs collèges. Toutefois, ce n’est pas seulement la menace de violences ou de meurtres qui pèse lourdement sur les pêcheurs, mais aussi une routine incessante et un travail éreintant. « Les conditions de travail sur les bateaux de pêche sont connues pour être éprouvantes. Dans de nombreux rapports, des ouvriers parlent de journées de 18 à 20 heures de travail, avec une nourriture insuffisante et un manque d’accès aux soins. Entre 14 et 18 % des migrants affirment avoir été victimes de ces trafics », explique le Borgen Project, un groupe basé aux États-Unis qui travaille sur les abus des droits du travail à travers le monde. « Les menaces et les violences sont courantes, ainsi que des longues périodes de travail sans être autorisé à quitter le bateau, parfois durant plusieurs années. Ces conditions affectent des migrants de toutes origines, mais les migrants sans papier sont les plus vulnérables. »

Ae, qui a longtemps vécu à Bangkok comme sans-abri, s’est retrouvé pris au piège des trafiquants imposant des situations de travail forcé sur les bateaux de pêche thaïlandais.

Beaucoup de travailleurs migrants démunis sont attirés sur les navires de pêche par de fausses promesses. D’autres se retrouvent coincés par des situations de servitude pour dettes, ce qui affecte plusieurs centaines de milliers de travailleurs précaires rien qu’en Thaïlande, selon l’organisation australienne Walk Free, qui lutte contre l’esclavage moderne à l’échelle mondiale. La servitude pour dette, une forme moderne de servage, est un stratagème qui force les ouvriers à payer des sommes élevées afin de décrocher un travail. Ils se retrouvent endettés et forcés de travailler gratuitement pour rembourser l’argent. Le secteur de la pêche thaïlandaise, qui a subi de nombreuses pressions internationales sur ces abus et pratiques, a fait quelques efforts dans ce domaine. En 2015, l’Union européenne a adressé un « carton jaune » à la Thaïlande en guise d’avertissement. Elle a menacé d’imposer une interdiction commerciale sur les produits de pêche issus du pays d’Asie du Sud-Est, à moins que l’industrie ne cesse les violations des droits de l’homme comme le travail forcé.

« Beaucoup de ces migrants sont comme des fantômes en Thaïlande »

En 2019, l’Union européenne a reconnu les progrès du pays dans ces domaines. Toutefois, tout ne va pas pour le mieux. Malgré la mise en place de règles strictes, l’application des lois reste laxiste et la corruption est généralisée. Selon les militants pour les droits de l’homme, des entrepreneurs peu scrupuleux peuvent continuer d’exploiter leurs ouvriers en toute impunité. Cela concerne particulièrement les travailleurs migrants venus de pays comme la Birmanie et le Cambodge, d’autant plus que beaucoup d’entre eux travaillent illégalement en Thaïlande. Ils sont donc peu susceptibles de solliciter ou recevoir de l’aide des autorités thaïlandaises. « Beaucoup de ces migrants sans papiers sont comme des fantômes en Thaïlande », explique un militant thaïlandais qui préfère rester anonyme. « Ils sont venus dans le pays illégalement, donc ils risquent d’être traités comme des criminels s’ils osent élever la voix », ajoute-t-il.

Malgré les progrès, la Thaïlande a été rétrogradée par le rapport TIP 2021 sur le trafic des personnes (Trafficking in Persons – un rapport annuel publié par le bureau du département d’État américain, chargé de surveiller et lutter contre la traite des personnes). Le département d’État américain estime que l’an dernier, malgré les efforts entrepris, les autorités thaïlandaises « ont lancé beaucoup moins d’enquêtes sur les trafics, poursuivi moins de suspects et condamné moins de trafiquants comparé à 2019 ». Les auteurs du rapport soulignent les accusations persistantes affirmant que des travailleurs migrants se sont retrouvés coincés dans des conditions de travail forcé, par force ou par ruse, dans de nombreux secteurs de l’économie thaïlandaise. De son côté, le gouvernement du général Prayut Chan-o-cha, le Premier ministre thaïlandais, continue de minimiser l’étendue du problème.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Ucanews