Eglises d'Asie

Un anniversaire controversé, 30 ans après les accords de paix de Paris sur le Cambodge

Publié le 26/10/2021




Le 23 octobre, le gouvernement Hun Sen a marqué le 30e anniversaire des accords de paix de Paris de 1991 sur le Cambodge, alors que les autorités cherchent à défendre le pays face aux critiques étrangères sur les libertés fondamentales. Lors d’une cérémonie officielle organisée à Phnom Penh, Prak Sokhonn, ministre des Affaires étrangères, a repoussé les accusations en estimant que « la démocratie et les droits de l’homme sont souvent utilisés par des grandes puissances comme des instruments en vue de poursuivre leurs propres objectifs géopolitiques ».

En février 2015 à Siem Ream (Cambodge), lors d’une conférence mondiale UNWTO / Unesco sur le tourisme et la culture.

Le 23 octobre, le Cambodge a marqué les trente ans des accords de paix de Paris de 1991, alors que les autorités cherchent à défendre l’état de la démocratie contre les critiques étrangères sur les libertés fondamentales. À l’occasion de cet anniversaire, la communauté diplomatique a salué l’État cambodgien, en particulier à propos de la réduction de la pauvreté, tout en évitant les questions concernant les droits de l’homme, qui suscitent de vives préoccupations depuis que le parti au pouvoir a remporté tous les sièges disputés lors des élections de 2018. Tina Redshaw, ambassadeur britannique au Cambodge, a félicité le pays pour « ses progrès remarquables », tout en invitant le gouvernement à « se réinvestir dans ses engagements selon les accords et la Constitution cambodgienne, afin d’assurer son propre avenir politique ».

Le Premier ministre Hun Sen a profité de l’occasion pour lancer un nouveau billet de 30 000 riels (6,35 euros), le représentant aux côtés du roi King Norodom Sihanouk, après le retour de ce dernier dans sa terre natale après la signature des accords de Paris de 1991. Hun Sen a rappelé que ce jour-là, il portait un gilet pare-balles et se disait prêt à risquer sa vie pour protéger la monarchie ; mais les accords et l’arrivée de l’Untac (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge), dans le cadre d’une opération de maintien de la paix qui s’est déroulée de fin février 1992 à septembre 1993, ont suscité des réactions mitigées. À l’époque, les relations entre le parti CPP (Parti du peuple cambodgien) et les négociateurs ont été souvent tendues, et Hun Sen a même accusé l’Untac, qui comptait 22 000 membres envoyés par 46 pays, d’avoir apporté le sida dans le pays. Mais c’est l’échec de l’Untac à mettre fin à la guerre qui reste disputé aujourd’hui, et l’an dernier, le gouvernement a retiré les accords de paix de Paris de la liste des jours fériés.

« Depuis l’indépendance en 1953, les meilleures nouvelles ont été la capitulation des Khmers Rouges en 1998 »

En 1991, les accords de Paris ont restauré la monarchie, injecté près de 2 millions de dollars US afin de tenter de redresser l’économie, et posé les fondations en vue des élections historiques de 1993 ; mais ils n’ont pas désarmé les quatre factions en guerre, dont les Khmers Rouges, ni permis de rétablir la paix. En 1994-1995, les combats près de Pailin, dans l’ouest du Cambodge, ont forcé près de 50 000 personnes à fuir leur domicile, et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a déclaré que « le pays était à nouveau en guerre avant-même le départ de derniers négociateurs de paix », en septembre 1993.

« Ce fut une guerre affreuse, pourtant oubliée par le reste du monde », a souligné Michael Hayes, cofondateur et ancien éditeur du Phnom Penh Post, lancé en 1992. « La guerre civile avec les Khmers Rouges a duré encore sept ans. » D’autres attaques ont suivi, faisant près de 10 000 victimes militaires et civiles, avant que la guerre civile, commencée avant 1968, prenne fin en 1998 avec la capitulation des derniers Khmers Rouges et la poursuite pour génocide des leaders survivants. « La meilleure nouvelle au Cambodge, après l’indépendance en 1953, a été l’annonce de la capitulation des Khmers Rouges en 1998 », a poursuivi Michael Hayes. « Les nombreuses critiques de Hun Sen, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, n’aiment pas lui reconnaître ce mérite, mais c’est pourtant vrai, et les accords de paix de Paris de 1991 ont également joué leur rôle à leur façon. »

La fin de la guerre a renforcé la popularité de Hun Sen, en particulier dans les milieux ruraux, ce qui lui a permis de conserver le pouvoir, mais le CPP a été surpris par les résultats des élections de 2013, quand le parti CNRP (Parti du sauvetage national du Cambodge) a failli remporter le vote populaire. Des manifestations violentes ont alors éclaté à la suite d’accusations d’élections truquées, tandis que le gouvernement accusait de son côté les États-Unis et la diaspora cambodgienne, notamment en Amérique et en Australie, de soutenir le CNRP. Depuis, l’Union européenne a retiré des avantages commerciaux et les États-Unis ont imposé des sanctions contre certaines personnalités de l’élite au pouvoir. Aujourd’hui, le Congrès projette de voter la loi Cambodian Democracy Act, qui pourrait susciter d’autres sanctions si elle passe.

Dissolution du parti d’opposition CNRP il y a quatre ans

Lors d’une cérémonie officielle à Phnom Penh, le 23 octobre, le ministre des Affaires étrangères, Prak Sokhonn, a fait de son mieux pour repousser toute accusation occidentale sur les droits de l’homme. Il a souligné que les projets de l’Untac d’établir une démocratie à l’occidentale n’ont pas pris en compte les « caractéristiques spéciales » du pays, vu les traumatismes infligés par trente ans de guerre. « La démocratie est une valeur que nous apprenons et que nous construisons et renforçons peu à peu. Mais malheureusement, la démocratie et les droits de l’homme ont été souvent utilisés par des grandes puissances comme des instruments en vue de poursuivre leurs propres objectifs géopolitiques », a-t-il poursuivi.

Les critiques contre le gouvernement restent rares au Cambodge, mais à l’étranger, les opposants ne se sont pas laissés démonter malgré les nombreuses cérémonies organisées pour commémorer les accords. Ainsi, Gareth Evans, ancien ministre australien des Affaires étrangères, qui a participé aux accords, affirme que « Hun Sen a amassé une grande fortune pour sa famille », alors que presque 30 % des Cambodgiens vivent sous le seuil de pauvreté. « Nous sommes parvenus à maintenir la paix, mais nous avons échoué concernant la démocratie et les droits de l’homme », assure-t-il.

Des groupes d’oppositions en exil ont également profité de l’anniversaire des accords pour rappeler la dissolution du parti d’opposition CNRP il y a quatre ans, par le gouvernement Hun Sen. La dissolution a parmi au CPP de remporter l’ensemble des sièges lors des élections de 2018. Une répression a également été lancée contre certains organes de presse et des ONG. Des opposants, blogueurs et critiques web ont été emprisonnés. Des sociétés étrangères ont quitté le pays, alors que le gouvernement espère soutenir l’économie locale via des vastes projets d’infrastructures dans le cadre des Nouvelles routes de la soie chinoises (Belt and Road Initiative).

« C’est justement le genre d’activités censées être protégées par les accords de Paris »

Depuis, Sam Rainsy, fondateur et coprésident du CNRP, actuellement en exil, a menacé de revenir dans le pays et d’organiser une révolte populaire afin de renverser Hun Sen, entraînant de nouvelles arrestations. Le président du CNRP, Kem Sokha, toujours populaire au Cambodge, est de son côté toujours en détention à domicile. Cette situation a poussé une vingtaine de personnes, dont une majorité d’épouse d’opposants détenus, à manifester devant l’ambassade française avant les anniversaires du 23 octobre. Selon Phil Robertson, vice-directeur d’Human Rights Watch pour l’Asie, les manifestants ont été confrontés à près de 40 policiers, en uniforme et en civil. Des vidéos ont montré les policiers en train de repousser violemment les manifestants. « Des manifestations pacifiques comme celle-là sont justement le genre d’activités censées être protégées par les provisions des accords de paix de Paris sur les droits de l’homme », souligne Phil Robertson, basé à Bangkok. « Mais aujourd’hui, le gouvernement de Hun Sen a pratiquement réduit à néant ces garanties. »

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

UNWTO (CC BY-NC-ND 2.0)