Eglises d'Asie

Un groupe de Rohingyas tente de rejoindre la Malaisie par la mer

Publié le 15/12/2018




Près d’un an et demi après la fuite de 700 000 Rohingyas de l’État de Rakhine, et peu après l’échec du rapatriement d’un premier groupe de réfugiés depuis les camps bangladais, la marine birmane a arrêté plusieurs embarcations de Rohingyas tentant de fuir le pays par la mer pour rejoindre la Malaisie. Les musulmans Rohingyas subissent toujours la discrimination de l’État qui continue de les considérer comme des « bengalis », malgré la pression d’organisations telles que la Commission consultative pour l’État de Rakhine, qui demandent l’accès aux soins, à l’éducation et à l’emploi pour les réfugiés.

Tandis que le monde s’inquiète du rapatriement des milliers de Rohingya toujours réfugiés au Bangladesh, plusieurs groupes de Rohingyas oubliés risquent leur vie pour tenter de quitter la Birmanie. Les autorités birmanes ont arrêté au moins quatre embarcations, chacune transportant un grand nombre d’hommes de femmes et d’enfants, quittant l’État de Rakhine pour la Malaisie. Les Rohingyas sont restés coincés plusieurs jours dans ces bateaux en bois, perdus et à cours de fuel et de nourriture. Ils ont été interceptés par la marine birmane et ont dû retourner dans leurs villages ou dans les camps pour les « déplacés internes » (IDP) situés près de Sittwe, la capitale de l’État. Leur tentative de fuite attire l’attention sur la situation des quelque 120 000 réfugiés qui sont toujours dans les camps de Rakhine, dans des conditions « comparables à l’apartheid ». Leur liberté de mouvement et leur accès aux soins et à l’éducation sont très limités depuis l’éclatement des violences en 2012, qui ont entraîné pus de 200 morts.

La fin de la mousson sud-asiatique, mi-octobre, s’ouvre notamment sur une période plus propice à la navigation. Mohammad, membre du comité du camp IDP de Thetkaepyin, à Sittwe, confie que des dizaines de réfugiés de son camp ont rejoint des embarcations qui devaient quitter le pays en novembre. « Ils m’ont expliqué qu’ils vivaient au camp depuis plus de six ans, et que leur situation ne s’améliorait toujours pas, avec les rations de nourriture limitées, le chômage et le manque de liberté de mouvement… Ils étaient prêts à entreprendre un voyage risqué pour tenter de sortir de ces conditions misérables », explique-t-il. Furuk, membre du comité des résidents du camp de Dar Paing, près de Sittwe, ajoute que « les gens veulent rentrer chez eux depuis longtemps, mais il y a bien peu d’occasion ; ils finissent donc par tenter de fuir par la mer, malgré les dangers ».

Chris Lewa, directeur du projet Arakan, une organisation de défense des droits des Rohingyas, confie que les personnes déplacées et les villageois du centre de l’État de Rakhine sont coincés dans leurs camps ou dans leurs villages où ils sont mis à l’écart depuis six ans, sans aucun moyen de subvenir à leurs besoins ni solutions en vue. « Ils deviennent prêts à tout pour partir, surtout ceux qui ont des proches en Malaisie », assure Chris. En tout, près de dix mille Rohingyas ont quitté ainsi le pays dans des embarcations bondées et dangereuses, pour la Malaisie, l’Indonésie ou la Thaïlande. La répression thaïlandaise de la traite des personnes en 2015 a déclenché une crise humanitaire quand les trafiquants ont abandonné leurs cargaisons humaines à terre ou au large.

Ségrégation forcée

Des sources Rohingyas affirment que des trafiquants tentent de persuader les familles de s’embarquer en les attirant avec la perspective d’embauches en Malaisie. Le 18 novembre, la police a blessé quatre hommes Roghingyas du camp IDP d’Ah Nauk Ye, à Pauktaw dans l’État de Rakhine, en poursuivant des trafiquants suspectés d’être liés au premier départ échoué d’un groupe de 106 réfugiés. Deux hommes ont été arrêtés, suspectés d’être propriétaires de l’embarcation. Au moins cinq personnes, accusées d’avoir organisé des transports maritimes, ont été arrêtées, selon une source Rohingya. Mohammad, du camp de Thetkaypyin, affirme qu’il faut payer environ 500 000 kyats (320 dollars) par personne pour pouvoir embarquer. « Vu les conditions déplorables des camps, les trafiquants profitent de la situation pour les persuader d’aller en Malaisie », explique Mohammad. La Commission consultative pour l’État de Rakhine, fondée en 2016 et présidée par Kofi Annan (jusqu’à sa mort en août 2018), a recommandé au gouvernement birman d’accélérer la répression de la discrimination des bouddhistes de Rakhine et des musulmans Rohingyas.

La commission a également demandé d’autoriser aux réfugiés la liberté de mouvement et l’accès aux soins, à l’éducation et à l’emploi. La conseillère d’État Aung San Suu Kyi a déclaré que le gouvernement a appliqué 81 des 88 recommandations de la commission, mais selon les Rohingyas et les analystes politiques, la situation reste difficile. Pour le gouvernement birman, les Rohingyas sont des « Bangalis ». En refusant de reconnaître le terme « Rohingyas », l’État implique que ce sont des immigrants illégaux venus du Bangladesh, malgré le fait qu’un grand nombre d’entre eux vivent en Birmanie depuis des décennies. La dernière tentative de fuite par la mer est survenue peu après l’échec du premier rapatriement de plusieurs milliers de réfugiés depuis le Bangladesh, qui refusent de partir sans garantie d’obtenir la liberté de mouvement et la citoyenneté.

(Avec Ucanews, Mandalay)

Crédit : UN Women / Allison Joyce (CC BY-NC-ND 2.0)