Eglises d'Asie

Un mouvement poétique Rohingya appelle à protéger l’héritage culturel des réfugiés de Cox’s Bazar

Publié le 30/07/2020




En juin 2019, Mayyu Ali, un musulman Rohingya de 28 ans, réfugié au camp Balukhali, publiait son premier recueil de poèmes. Son livre, Exodus : between genocide and me, a été publié aux éditions Black Raven. Le même mois, le jeune auteur, qui vit à Cox’s Bazar, dans le sud-est du Bangladesh, a contribué à la parution d’une anthologie poétique comprenant des chants et des poèmes issus de la tradition orale Rohingya, présentés en anglais. « La poésie est devenue pour moi comme un acte révolutionnaire. C’est toute ma vie. Cela me donne de l’espoir, même face aux pires violences », assure l’auteur, qui appelle le Bangladesh et la communauté internationale à aider la communauté marginalisée à contribuer à préserver leur littérature et leur culture.

Un jeune réfugié Rohingya consulte le recueil de poème publié par Mayyu Ali, un auteur du camp de Balukhali, à Cox’s Bazar.

Mayyu Ali, un musulman Rohingya de 28 ans, vit avec ses parents au camp de réfugiés de Balukhali, à Cox’s Bazar, dans le sud-est du Bangladesh. Ce jeune poète, en décrivant le sort d’une des minorités les plus persécutées de la planète, a soutenu le renouveau culturel de sa communauté. Entre 2009 et 2012, il a publié 16 poèmes dans deux magazines mensuels birmans populaires, The Best English et The Light of English. Né et élevé à Maungdaw, dans l’État de Rakhine (Arakan), il a étudié l’anglais à l’université de Sittwe, capitale de l’État de Rakhine, avant les violences de juin 2012 qui ont interrompu ses études, le forçant à travailler auprès d’une ONG à Maungdaw. Sa famille a fui la Birmanie après les violences militaires du 25 août 2017. « Ma maison et mon village ont été incendiés par les forces armées birmanes, et mes parents et moi avons pu nous enfuir au Bangladesh » raconte-t-il. Mayyu Ali a commencé à composer des poèmes en birman dès l’âge de 13 ans, et ses premiers vers parlaient d’amitié, de nature et de romance. Il a grandi en écoutant les hymnes et berceuses traditionnels chantés par son grand-père et par sa mère. Cette tradition orale a survécu et s’est transmise entre les générations, malgré la disparition de la forme écrite de la langue Rohingya face aux persécutions et aux discriminations.

Essor d’un mouvement culturel Rohingya

Alors qu’il devenait adulte, sa poésie s’est transformée. « J’ai découvert les discriminations subies par les miens, et la façon dont nous sommes marginalisés socialement et politiquement. Cela m’a amené à écrire afin d’exprimer et représenter aux yeux de tous ce que mon peuple a vécu », confie-t-il. Mayyu Ali a alors centré ses poèmes sur la vie et les souffrances de sa communauté. « Composer des poèmes et créer de l’art, c’est devenu pour moi un acte révolutionnaire. Ma poésie est toute ma vie. Cela me donne de l’espoir, même face aux pires violences. » En plus des deux mensuels qui ont publié ses poèmes, il a également publié d’autres poèmes dans d’autres magazines dont Modern Poetry Translation, World Literature Today et Combat Genocide Anthology. En juin 2019, son premier recueil de poèmes, Exodus : between genocide and me, a été publié par les éditions Black Raven. Le même mois, il a contribué à la parution de Je suis un Rohingya, une anthologie de poésies publiée par Arc Publication. Ce recueil comprend des chants et des poèmes issus de la tradition orale Rohingya, présentés sous forme poétique en anglais. Ces écrits évoquent des thèmes culturels variés et défient la suprématie birmane et bouddhiste, ainsi que les tentatives d’effacer l’histoire des Rohingya en tant que groupe ethnique en Birmanie. Ils montrent aussi les relations étroites qui relient les Rohingya à la nation birmane. Ce mouvement poétique a également attiré l’attention en Birmanie. Les 25 et 26 janvier 2020, près de 40 poètes à travers le pays ont participé à Poetry for Humanity, un événement culturel organisé à Rangoun, où cinq poètes Rohingya des camps bangladais ont lu leurs compositions via Skype. Un événement montrant une rare solidarité envers la minorité ethnique, au moment même où la Cour internationale de Justice a demandé à la Birmanie, le 23 janvier de prendre des mesures immédiates pour prévenir un génocide contre les Rohingya – en réponse à une série de mesures d’urgence requises par la Gambie.

« Ils ne repartiront que si on leur garantit leurs droits »

Une peinture réalisée par Jaanu, jeune artiste Rohingya, dans un des camps de réfugiés de Cox’s Bazar.

En mars 2019, Mayyu Ali a décidé de développer le mouvement artistique et poétique Rohingya dans les camps de Cox’s Bazar, en découvrant que beaucoup de jeunes étaient prêts à écrire, et que certains d’entre eux publiaient déjà des extraits sur Facebook. Après un atelier rassemblant 22 auteurs du camp de Balukhali, il est devenu cofondateur et éditeur d’une page Facebook et d’un site Internet consacrés à la littérature et aux arts Rohingya, en anglais et en langue birmane.  Près de 148 auteurs et artistes publient régulièrement leurs œuvres sur le site, intitulé The Art Garden Rohingya. En février 2020, plus de 540 poèmes avaient déjà été publiés, nombre d’entre eux rendant hommage à Arakan, leur terre d’origine, tandis que d’autres décrivent leur exil forcé. Rezwuan Khan, âgé de 23 ans, fait partie des contributeurs. Il vit au camp de Kutupalong, le plus grand de la région de Cox’s Bazar, avec ses parents qui ont fui au Bangladesh en 2017. Il a composé 50 poèmes, dont plusieurs sont parus sur la page Facebook et le site Internet. « J’écris rarement sur mes propres souffrances, mais plutôt sur le sort collectif vécu par notre communauté », explique-t-il. Malgré la paix et la sécurité relatives dans les camps, la plupart d’entre eux subissent cette vie de réfugiés avec frustration, sans espoir de retourner prochainement dans leur région d’origine.

« Les Rohingya sont dans une situation désespérée. Beaucoup sont prêts à retourner en Birmanie, mais ils savent que leurs maisons et leurs biens ont été pillés, détruits et incendiés. Il n’y a plus rien. Ils ne repartiront que si on leur garantit leurs droits fondamentaux, y compris l’accès à la citoyenneté », ajoute Rezwuan Khan. Plus d’un million de réfugiés Rohingya vivent dans une trentaine de camps autour de Cox’s Bazar, dont la majorité ont fui la Birmanie après les violences de 2017. En 2018, le Bangladesh et la Birmanie ont signé un accord en vue de rapatrier les Rohingya. Pourtant, aucun d’entre eux n’est revenu en Birmanie en plus de deux ans. Depuis, deux tentatives de rapatriement ont échoué, les concernés refusant de partir sans véritables garanties concernant leur sécurité et la protection de leurs droits. La communauté internationale a mis en garde le pays à plusieurs reprises sur les conditions actuelles en Birmanie, peu favorables au retour des réfugiés. D’autant plus que les combats continuent entre les rebelles de l’Armée d’Arakan et l’armée birmane dans l’État d’Arakan, sans compter la pandémie qui a suspendu les projets de rapatriement. Bien que la plupart des Rohingya appellent à faire pression sur la Birmanie pour garantir leur retour dans des conditions dignes, Mayyu Ali, quant à lui, a demandé au Bangladesh et à la communauté internationale de les aider à préserver leur culture et leur littérature. « Nous souhaitons qu’ils contribuent aux recherches afin d’aider à préserver notre culture, en organisant des concours, des ateliers et d’autres activités culturelles. Des médias locaux pourraient publier nos écrits et nous encourager », assure-t-il.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

New Ali et Mayuu Ali