Eglises d'Asie

Une chaîne humaine à Lahore pour défendre l’unité interreligieuse

Publié le 28/05/2019




Le 8 mai à Lahore, un attentat suicide s’attaquait au sanctuaire de Data Darbar, un sanctuaire soufi datant du XIe siècle, l’un des plus grands en Asie du Sud, et contenant le mausolée du prédicateur soufi Sayed Ali Ben Osman Al-Hajvery, plus connu sous le nom de Data Ganj Bakhsh. L’attentat a fait douze victimes, suscitant la solidarité de nombreux groupes interreligieux. Ainsi, le groupe étudiant catholique YDF (Youth Development Foundation), a organisé deux chaînes humaines, le 11 mai puis le 18 mai, afin de manifester leur solidarité et protéger les fidèles.

Suite à l’attentat suicide du 8 mai à Lahore, qui a causé douze victimes dans un important sanctuaire soufi de la capitale du Pendjab, le militant sikh Gurjeet Singh et ses amis ont participé à une chaîne humaine autour des mosquées locales, en un signe visible et symbolique contre l’extrémisme religieux. « Nous voulons montrer notre solidarité envers nos frères et sœurs musulmans. Cela permet aussi de renforcer l’harmonie interreligieuse dans notre société », confie le Pakistanais de 26 ans. Celui-ci ajoute que le groupe prévoit de reproduire l’événement en juin, au sanctuaire soufi de Data Darbar à Lahore (l’un des plus grands en Asie du Sud, datant du XIe siècle), victime de l’explosion du 8 mai. Le militant sikh, qui a lancé un service d’ambulances gratuit l’an dernier auprès d’un hôpital public, s’est joint à d’autres militants interreligieux, le 18 mai autour de la mosquée de Jamia Masjid Minhaj-ul-Quran de Lahore, afin de protéger les quelque cinquante fidèles à l’intérieur de l’édifice. Durant vingt minutes après le coucher du soleil, ils ont entouré la mosquée alors que celle-ci célébrait « l’iftar », le rituel de rupture du jeûne (le mois du ramadan se déroule cette année du 5 mai au 4 juin).

Il s’agissait de la seconde chaîne humaine ainsi organisée par le mouvement étudiant catholique YDF (Youth Development Foundation), depuis l’attaque contre le sanctuaire soufi de Data Darbar, qui contient le mausolée du prédicateur soufi Sayed Ali Ben Osman Al-Hajvery, plus connu sous le nom de Data Ganj Bakhsh. La fondation YDF avait formé une première chaîne humaine le 11 mai, à l’entrée de la mosquée de Masjid Wazir Khan, une mosquée du XVIIe siècle située à l’intérieur de la vieille ville fortifiée de Lahore. « Quand les fidèles se rassemblent pour les principales fêtes chrétiennes, la fondation intervient aussi dans les églises », explique Shahid Rehmat, directeur général du groupe. « Mais nous voulions montrer un esprit de compassion, qui peut combattre la haine, le terrorisme et l’extrémisme religieux ». Depuis les attentats du 8 mai, de nombreux groupes interreligieux ont visité le sanctuaire soufi, afin de montrer leur soutien. Une pancarte en bois a été placée là, avec des couronnes de fleurs, afin de montrer aux familles endeuillées et à la communauté soufie qu’elles ne sont pas seules. Un groupe de vétérans militaires dirigé par un brigadier catholique a également assuré la sécurité de plusieurs églises suite aux attentats au Sri Lanka. Les attentats contre Data Darbar ont suscité les inquiétudes à Lahore. En juillet 2010, environ cinq semaines avant le début du ramadan, deux kamikazes s’étaient déjà attaqués au sanctuaire de Data Darbar, causant au moins cinquante morts et deux cents blessés.

La menace wahhabite

Selon les médias locaux, plus de trente sanctuaires soufis à travers le pays ont été attaqués au cours de la dernière décennie. Selon le Centre islamique pour la recherche, la coopération et l’apprentissage, entre 2005 et 2017 au Pakistan, 29 attaques contre des sanctuaires soufis ont entraîné plus de deux cents morts et six cents blessés. La plus grande menace vient des wahhabites, selon le révérend Amjad Niamat, président de la Commission sur l’œcuménisme et l’harmonie interreligieuse de l’Église presbytérienne du Pakistan. Le wahhabisme, branche ultraconservatrice de l’islam, est basé en Arabie Soudite, qui finance les madrasas wahhabites pakistanaise. Selon Amjad Niamat, pourtant, cette branche est rejetée par la plupart des musulmans sunnites et chiites à travers le monde, ceux-ci y voyant une mauvaise interprétation du Coran. « Les terroristes peuvent frapper partout, mais les extrémistes wahhabites considèrent le fait de construire des lieux de culte sur des tombeaux comme contraire à l’islam », explique le révérend Niamat, qui a participé à une veillée aux chandelles organisée le 11 mai à Data Darbar, trois jours après les attaques. « De même, les wahhabites condamnent la tradition populaire du ‘dhamal’, une danse rituelle soufie. Ils voient également les chrétiens et les musulmans chiites comme des infidèles. Cet extrémisme est devenu un défi majeur à l’unité interreligieuse », regrette Amjad Niamat. Le soufisme a une histoire plus que millénaire en Asie du Sud. Au Pakistan, les danses sacrées du jeudi dans les sanctuaires soufis sont un spectacle habituel ; les fidèles soufis chantent et danses ensemble avec ferveur, souvent pieds nus, au rythme répétitif de tambours à double peau, appelés dhols. En 2016, un groupe Taliban a revendiqué l’assassinat d’Amjad Farid Sabri, l’un des chanteurs soufis les plus célèbres. L’homme de 45 ans était un artiste reconnu du qawwali, un style musical enraciné dans le soufisme.

Soutien de l’Église

Beaucoup de chrétiens sont également fascinés par ce genre musical, et écoutent les chants musulmans qawwalis à la télévision ou sur leurs smartphones. Le studio Wave (Workshop audio visual education), le centre audiovisuel catholique national basé à Lahore, a donc produit plusieurs albums comprenant des chants qawwalis racontant la vie de Jésus. Des chanteurs pakistanais célèbres ont également été invités à chanter dans le studio. Mgr Rufin Anthony, l’ancien évêque d’Islamabad-Rawalpindi mort en 2016, était d’ailleurs souvent surnommé « soufi » à cause de son style musical. De leur côté, les Talibans et d’autres groupes sunnites considèrent cette branche de l’islam comme hérétique. Le chanteur Amjad Farid Sabri a ainsi été accusé de blasphème en 2014 par la Haute Cour d’Islamabad, ainsi que deux chaînes de télévision, pour avoir joué des chants qawwalis durant un programme matinal qui citait plusieurs personnalités musulmanes majeures. Sohail Ahmad Raza, responsable des relations interreligieuses de l’ONG Minhaj-ul-Quran International, a remercié l’intervention de l’YDF après les attentats du 8 mai. L’ONG dirige notamment une université qui compte un chrétien, un sikh et un hindou parmi ses membres. « Nous proposons plusieurs cours, notamment sur les relations islamo-chrétiennes et sur la vie de Jésus », explique Sohail Ahmad Raza. « Nos portes sont ouvertes à tous ceux qui recherchent la cohésion sociale et qui rejettent les faux discours des terroristes », assure-t-il. Ce dernier explique que le Khawarij, un culte islamique datant du VIIe siècle à l’époque de la Première Fitna (une crise majeure apparue suite à la mort de Mahomet), est considéré comme à l’origine des groupes extrémistes comme l’État islamique, les Talibans pakistanais ou encore Boko Haram, que Sohail Ahmad Raza considère comme des aberrations. « Ils ont en quelque sorte construit leur propre version de l’islam, une version inhumaine », ajoute-t-il.

(Avec Ucanews, Lahore)


CRÉDITS

Kamran Chaudhry / Ucanews