Eglises d'Asie – Thaïlande
Une déclaration de la cour constitutionnelle protège la monarchie et provoque la colère des manifestants
Publié le 17/11/2021
Le 14 novembre, près de la préfecture de police dans le centre de Bangkok, de nombreux jeunes manifestants thaïlandais se sont rassemblés en brandissant des pancartes et banderoles portant divers slogans. Une affiche était particulièrement poignante, présentant un slogan écrit en anglais : « J’ai manqué mes examens pour un acte de trahison. » Pour l’auteur du message, c’était peut-être une plaisanterie, mais cela reflète malgré tout la réalité actuelle dans le pays.
La Cour constitutionnelle a en effet déclaré, la semaine dernière, dans une décision controversée, que les appels de trois jeunes manifestants prodémocratie à réformer la monarchie thaïlandaise constituent des actes de sédition – de haute trahison, en d’autres termes. De nombreux manifestants thaïlandais ont alors exprimé leur colère envers la décision Cour constitutionnelle à l’encontre des trois militants (Arnon Nampa, un avocat de 37 ans, Panupong Jadnok, 24 ans, et Panusaya Sithijirawattanakul, un étudiant de 23 ans). La décision de la cour considère en effet tout appel à réformer la monarchie comme un acte de trahison, un crime passible de la peine de mort.
« Ce qu’ils veulent, c’est une réforme de la monarchie, pas une abolition »
Les trois militants avaient déjà été accusés de diffamation royale – un crime passible d’une peine jusqu’à 15 ans de prison selon l’article 112 du Code pénal. Dans leur manifeste d’une dizaine de demandes, publié l’an dernier durant une manifestation prodémocratie, les trois militants accusés avaient appelé à une réforme constitutionnelle de la monarchie et à abolir l’article 112 (qui a conduit à la condamnation d’au moins 115 Thaïlandais l’an dernier). Après l’ordre de la cour contre les trois militants, qui n’ont pas pu se défendre devant les juges, les manifestants et les défenseurs des droits dans le pays ont dénoncé la décision, qui constitue pour eux un nouvel abus des libertés fondamentales en Thaïlande.
Andrew MacGregor Marshall, un journaliste écossais et analyste politique reconnu sur la Thaïlande, a considéré la décision de la cour comme « un jugement scandaleux qui brise le peu d’espoir qui restait sur la possibilité d’une voie pacifique vers une réforme royale ». Pour lui, l’ordre de la cour contredit aussi une évidence : « Ce qui rend cette décision particulièrement absurde, c’est que tous trois ont clairement souligné que ce qu’ils veulent, c’est une réforme de la monarchie, pas une abolition. » Sunai Phasuk, un chercheur de l’organisation Human Rights Watch basé à Bangkok, n’est pas moins sévère dans ses propos. « La décision d’aujourd’hui est essentiellement un coup d’État judiciaire, qui remplace la monarchie constitutionnelle en Thaïlande par la monarchie absolue », dénonce-t-il.
« Ce pays ne leur appartient pas »
D’autres ont souligné que la décision de la cour va à l’encontre des principes démocratiques les plus élémentaires, en réprimant encore davantage la liberté d’expression et de conscience des Thaïlandais. « Cette décision dépasse les bornes en créant une ‘zone rouge’, c’est-à-dire que si vous ne voulez pas être attaqué ou condamné, ne critiquez pas la monarchie », regrette Piyabutr Saengkanokkul, un expert juridique qui a soutenu le parti Future Forward, qui a été dissous par la même cour l’an dernier. Dans un nouveau tournant ironique, un membre du parti Phalang Pracharath au pouvoir a ensuite affirmé qu’il déposerait une plainte contre Piyabutr et Thanathorn Juangroongruangkit (l’ancien dirigeant du parti Future Forward), pour avoir commis des actes de trahison et de sédition en soutenant le mouvement étudiant appelant à une réforme de la monarchie.
De nombreux commentateurs et défenseurs des droits ont accusé la cour constitutionnelle d’être partiale, pour n’avoir rien eu à dire contre un coup d’État militaire qui a renversé un gouvernement élu en 2014, mené par le général Prayut Chan-o-cha (qui est toujours Premier ministre, plus de sept ans plus tard). « C’était pourtant un véritable acte de trahison », soutient un jeune militant prodémocratie. « Tout ce que font les autorités, c’est nous pousser à les haïr encore davantage », affirme un autre manifestant. « Ce pays ne leur appartient pas, il appartient au peuple. »
(Avec Ucanews)
CRÉDITS
Ucanews