Eglises d'Asie – Cambodge
Une délégation cambodgienne invite à l’espoir et à la conversion pour l’avenir du pays
Publié le 25/01/2023
Du 17 au 22 janvier, une délégation cambodgienne menée par le père Will Conquer, missionnaire MEP au Cambodge, le vénérable San Sochea, moine bouddhiste, et Neak Oknha Mengly J. Quach, philanthrope et entrepreneur, a organisé une tournée européenne à Rome, Vintimille, Monaco et Paris sur le thème « Conversion, détachement spirituel et écologie ».
Plus de 30 ans après la dernière rencontre entre des bouddhistes cambodgiens et un pape, notamment entre saint Jean-Paul II et le vénérable Maha Ghosananda (moine bouddhiste, 1913-2007, ancien patriarche suprême du Cambodge), la délégation a rencontré le pape François, le jeudi 19 janvier au Vatican. À Rome, les membres de la délégation ont également été reçus par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Ils ont aussi assisté à un colloque académique organisé à l’université pontificale Saint-Thomas d’Aquin.
Le 20 janvier, la délégation s’est ensuite rendue à Vintimille afin de soutenir un programme de bienfaisance en faveur des migrants, en lien avec Caritas Monaco, à hauteur de 5 000 euros : des membres de la délégation, dont Mengly J. Quach, ont en effet voulu aider à leur tour des personnes déplacées, après avoir eux-mêmes fui leur pays il y a plusieurs dizaines d’années à cause de la guerre. La délégation s’est aussi rendue à Monaco où elle a été reçue officiellement par le Conseil national (le parlement monocaméral de la principauté de Monaco), sa présidente Brigitte Boccone-Pagès, et Mgr Dominique-Marie David, archevêque de Monaco.
« Aujourd’hui, des prophètes doivent se lever pour inviter à l’espoir et à la conversion »
Enfin, ce dimanche 22 janvier à Paris, le père Will Conquer, le vénérable San Sochea et Mengly J. Quach ont échangé en présence d’environ 200 personnes, dont S.Exc. Sophann Ket, ambassadeur du Royaume du Cambodge en France, et Sun Soveasna, ministre conseillère de l’ambassade du Cambodge. Ils ont été accueillis par le père Vincent Sénéchal, supérieur général des Missions Étrangères de Paris.
Parmi les membres de la délégation cambodgienne, le vénérable San Sochea, moine bouddhiste khmer, est considéré comme la « jeune conscience du Cambodge » et compte près d’un million de followers sur Facebook et près de 300 000 abonnés sur Youtube, où il publie des vidéos régulièrement. Il a déjà effectué des tournées en Australie, aux États-Unis et en Europe, et il vit actuellement en Australie. Selon le père Will Conquer, il « garde un cœur pour le Cambodge et inspire une nouvelle génération » de Cambodgiens.
De son côté, Mengly Quach est né en 1969 dans la province de Battambang, au Cambodge. Après le régime Khmer Rouge (1975-1979), il a survécu au massacre de Dangrek (1979-1980), dans les montagnes de Dangrek à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. Sa famille, après avoir été une première fois repoussée au Cambodge par l’armée thaïlandaise, a finalement pu trouver refuge en Thaïlande après une seconde tentative.
Ils se sont ensuite installés en 1984 aux États-Unis, où Mengly Quach a étudié la médecine à l’université de Californie, à Berkeley. Il est devenu spécialiste en santé publique quelques années plus tard. En 2002, il est retourné au Cambodge pour contribuer à la reconstruction du pays, notamment au service de la santé et de l’éducation. Entre autres, il a fondé le centre éducatif Mengly J. Quach Education (en 2005) ainsi qu’une fondation qui soutient l’accès aux soins gratuits pour les plus démunis.
Il vit aujourd’hui à Phnom Penh avec sa femme et leurs deux filles. Il est devenu une personnalité civile khmère de premier plan, et compte près de 2 millions de followers sur Facebook. Outre ses activités professionnelles, il est fortement engagé pour de nombreux enjeux nationaux, dont la corruption, la paix et l’unité après des années de crise.
« Il faut que les bonzes et les prêtres continuent d’inspirer une conversion écologique »
En prenant la parole à Paris, le 22 janvier, le père Will est d’abord revenu sur la tournée européenne de la délégation. « Quel voyage incroyable. Nous venons de loin pour vous rencontrer, d’Australie, du Cambodge, de Rome et de Monaco, et enfin ce soir à Paris. Nous n’avons plus beaucoup de voix, mais il nous reste du souffle pour vous partager la joie et l’espoir que nous sommes venus transmettre », a-t-il souligné.
Espoir avant tout d’une conversion intérieure pour que « chacun de nous, sur le chemin qui est le sien, avec la tradition qu’il a reçue, essaie de construire un monde meilleur », en particulier face aux enjeux de paix après des années dévastatrices pour le Cambodge, mais aussi face à des enjeux qui sont aussi aujourd’hui environnementaux. Malgré des changements climatiques que le missionnaire observe lui-même au Cambodge, il insiste sur « l’espérance dont nous devons être les témoins ». « Nous ne pouvons pas être des témoins de la Bonne Nouvelle si nous n’avons que des mauvaises nouvelles à annoncer. »
« Aujourd’hui, des prophètes doivent se lever pour inviter à l’espoir et à la conversion », a poursuivi le missionnaire, qui a évoqué « deux grandes traditions qui ont inspiré le continent eurasiatique, le christianisme et le bouddhisme ». Avec notamment un modèle de vie représenté par la vie monastique, « qui existe aussi bien chez les bouddhistes que chez les chrétiens ». « Cette vie monastique, c’est une vie simple, sobre, stable, qui peut inspirer une conversion écologique », a-t-il poursuivi. « Il faut que les bonzes et les prêtres, dans ce modèle de vie de détachement, puissent continuer à inspirer une conversion écologique pour le monde. »
« La convoitise a trop longtemps divisé notre peuple »
Pour Mengly J. Quach, qui a commencé par témoigner de ses premières années douloureuses au Cambodge puis comme réfugié, cette tournée européenne est une occasion d’essayer de « mieux se comprendre les uns les autres dans nos différences, pour pouvoir mieux vivre ensemble dans notre société ». C’est aussi une occasion de réfléchir à la reconstruction et à l’avenir de son pays, où il estime que beaucoup de ses compatriotes sont toujours marqués par des traumatismes.
Pour lui, les épreuves vécues dans le pays « ont laissé à des générations de Cambodgiens des traumatismes graves », a-t-il expliqué, en estimant que plus de 70 % des Cambodgiens souffrent de traumatismes à cause de la guerre. « Cela, je l’ai vécu moi-même jusqu’en 1995, voire jusqu’en l’an 2000. J’avais tellement peur, à chaque fois qu’ils fêtaient le nouvel an chinois avec des feux d’artifice, que j’avais l’impression que c’était la guerre qui revenait », explique-t-il. « Je vous demande d’avoir un cœur miséricordieux pour que nous puissions guérir de ces blessures en apprenant à nous pardonner les uns aux autres. »
Selon l’entrepreneur, « si l’on veut sortir notre pays de la guerre, de la jalousie, de la haine, il y a une seule voie qui sera possible pour que nous devenions un pays plus juste et vivable, c’est celle de l’éducation ». « Ce sont vraiment les fondations pour un avenir meilleur. Aujourd’hui, au Cambodge, il faut essayer d’investir autant que possible dans l’éducation, pour l’avenir du pays », a-t-il insisté.
« Tout ce que nous avons traversé, cela a forgé ce que nous sommes aujourd’hui, et ce qui est incroyable, c’est qu’après s’être réfugiés aux quatre coins du monde, aujourd’hui, les Cambodgiens ont la chance de pouvoir enfin vivre chez eux en paix et en liberté », s’est-il réjoui. « Nous pouvons vivre en paix », a-t-il assuré. « Après la guerre, cela a été difficile pour nous de trouver une issue, de trouver la paix dans nos familles, dans notre économie, notre société et notre royaume. Mais la société cambodgienne va beaucoup mieux aujourd’hui », a insisté Mengly Quach, en soulignant que « la convoitise a trop longtemps divisé notre peuple, nous avons besoin de réconciliation ».
Appel à « promouvoir des modèles de développement qui guérissent les blessures »
De son côté, le vénérable San Sochea a tenu à saluer le témoignage donné par Mengly Quach qui a « fait de ses blessures une force pour sa vie aujourd’hui ». « Je ne me souviens plus de la période des Khmers Rouges parce que j’étais trop petit, mais je me souviens de ce qui est resté. Ce qui est resté, c’est la pauvreté et les traumatismes de cette période douloureuse. Ce régime est fini mais ses conséquences durent encore », a-t-il confié.
En revenant sur le thème de l’échange, « Conversion, détachement spirituel et écologie », San Sochea a partagé des propos du pape François lors de sa rencontre avec la délégation, le 19 janvier dernier au Vatican.
« Sa Sainteté le pape François a dit que ‘la conversion écologique survient quand les racines humaines de la crise environnementale actuelle sont nommées, quand une vraie repentance conduit à ralentir et cesser les tendances, les idéologies et les pratiques qui heurtent et qui nuisent et blessent la terre. Quand les gens s’engagent à promouvoir des modèles de développement qui guérissent les blessures infligées par la cupidité, la recherche excessive de profits financiers, le manque de solidarité entre voisins et le manque de respect envers l’environnement’. Je suis totalement d’accord avec cela », a-t-il assuré. « On peut dire que la convoitise détruit la terre. Quand les gens renoncent à leur convoitise et consomment seulement le nécessaire, il y a moins de destruction dans le monde », a-t-il poursuivi.
Le moine bouddhiste a conclu son intervention en insistant sur un dernier message : « Nous travaillons dans différents lieux, mais nous avons un objectif commun, travailler pour notre planète. Je voudrais vous partager quelques mots de l’ancien leader bouddhiste cambodgien Maha Ghosananda [après sa rencontre avec le pape Jean-Paul II il y a 30 ans] : ‘Certains disent que le bouddhisme et le christianisme ne peuvent coexister. Je voudrais dire : pourquoi pas ?’ »
À l’issue de la rencontre, le père Sénéchal a également remis au vénérable San Sochea et à Mengly Quach une médaille des MEP, représentant un pont et symbolisant l’œuvre de la société missionnaire depuis ses fondations : « Il y a un groupe de personnes d’un côté du pont, un autre groupe de l’autre côté. C’est un symbole qui représente ce que nous essayons de vivre depuis 365 ans, en allant à la rencontre des peuples d’Asie, pour entrer en relation avec ces peuples et partager ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité. »
(EDA)