Eglises d'Asie – Bangladesh
Une proposition d’amendement de la loi sur la presse inquiète les journalistes bangladais
Publié le 21/01/2023
Le gouvernement bangladais a annoncé récemment les amendements de plusieurs provisions de la loi sur le conseil de la presse de 1974 (Press Council Act). Cette décision de durcir la loi suscite l’inquiétude parmi les journalistes et militants qui craignent que cela affecte la liberté de la presse au Bangladesh.
Entre autres, le Conseil de la presse, qui dépend de l’État, pourra imposer des amendes jusqu’à un million de takas (8 750 euros) contre tout journal, organisation de presse, éditeur ou journaliste qui enfreint les règles en vigueur. Le conseil pourra aussi ordonner la suspension des publicités publiques et privées d’un journal ou d’une agence de presse pour une période d’un an au maximum.
Par ailleurs il sera également en mesure d’annuler l’accréditation d’un journaliste condamné. La proposition de loi précise que les décisions du conseil seront définitives et qu’aucun élément ne pourra être porté au tribunal. Le Conseil de la presse pourra aussi mener des enquêtes et convoquer des publications et des organisations de presse si les informations publiées par celles-ci sont contraires à l’intérêt public et national.
« Cela entraînera de l’autocensure »
Le 17 janvier, des responsables de presse et des membres de l’Association des propriétaires de presse du Bangladesh (Noab) ont rencontré Obaidul Quader, ministre des Ponts et Chaussées et secrétaire du parti au pouvoir, la Ligue Awami, afin d’exprimer leurs préoccupations. La délégation a également adressé une demande officielle au gouvernement en l’appelant à revenir sur cette décision et à consulter toutes les parties prenantes avant tout amendement de la loi en question.
Après la rencontre, Matiur Rahman, membre de Noab et rédacteur en chef du journal Prothom Alo (« Première lumière »), le quotidien le plus diffusé en bengali, a affirmé que les amendements proposés augmenteront le niveau de contrôle du gouvernement sur les médias et les journalistes.
« Le droit de saisir le tribunal a également été entravé par cette décision. Cela entraînera de l’autocensure. Je pense que cette crainte limitera notre liberté d’expression », estime le père Augustine Bulbul Rebeiro, secrétaire de la Commission pour les communications sociales de la Conférence épiscopale bangladaise. Le prêtre précise que la plupart des écrivains et journalistes catholiques critiquent peu le gouvernement, mais que quelques-uns le font.
En 2022, 25 affaires au tribunal pour des commentaires sur le gouvernement
« Cette nouvelle loi est inquiétante pour nos journalistes et nos médias. Il y a déjà des lois controversées qui contraignent les journalistes, et avec ces amendements, nous avons peur pour notre journalisme », souligne le père Rebeiro, qui est également rédacteur en chef de l’hebdomadaire catholique national Weekly Pratibeshi (« Voisin »).
Des militants rappellent aussi que le Bangladesh a déjà une loi répressive, la Loi sur la sécurité digitale (DSA) de 2018, qui a été largement détournée afin de museler les oppositions et critiques envers le gouvernement. Par ailleurs, on compte aussi la loi de 2013 sur les technologies de communication (ICT) qui limite la libération sous caution et qui autorise les arrestations sans mandat.
Pour Faruque Faisal, responsable de la section bangladaise d’Article 19 (une association britannique qui se concentre sur la défense et la promotion de la liberté d’expression et de la liberté d’information), le gouvernement craint les critiques et cherche à créer un climat de peur afin de réprimer les médias.
Selon son organisation, plusieurs centaines de personnes ont été poursuivies et arrêtées dans le cadre de la loi DSA, y compris des journalistes. Un nombre significatif de ces affaires ont été introduites par des dirigeants et des partisans du parti dirigeant. L’an dernier, 25 de ces affaires concernaient des commentaires sur le gouvernement et des dirigeants du parti au pouvoir, y compris la Première ministre Sheikh Hasina.
« Cela découragera le journalisme indépendant et le vrai journalisme »
Dans son Rapport mondial 2022, Human Rights Watch affirme que les autorités bangladaises utilisent la loi DSA pour « harceler et détenir indéfiniment » des journalistes, militants et autres critiques du gouvernement, ce qui a tendance à dissuader toute expression de dissidence. Un journaliste catholique, qui préfère rester anonyme, estime que la nouvelle loi est « catastrophique ».
« Cela découragera le journalisme indépendant et cela empêchera le véritable journalisme. D’autant plus que les journalistes n’ont pas assez d’argent pour pouvoir payer les amendes, donc beaucoup d’entre eux risquent de quitter la profession par peur », prévient-il. Il reconnaît que les journalistes peuvent commettre des erreurs dans leurs publications, mais il ajoute que de telles poursuites sont inacceptables. En faisant cela, il estime que le gouvernement veut maintenir les journalistes dans un climat de peur.
De son côté, le ministre aurait assuré que la Ligue Awami au pouvoir ne cherche aucun favoritisme de la part des médias, mais qu’elle veut simplement ce qu’elle estime « mériter ». « Nous ne cherchons pas à être spécialement avantagés par les médias. Il y aura aussi des informations sur les partis d’opposition, selon leur importance. Mais la Ligue Awami veut ce qu’elle mérite », a-t-il expliqué. « Nous ne sommes pas contre les journaux, ni leurs adversaires. Nous sommes des partenaires », a-t-il affirmé. Le Bangladesh a été classé 162e sur 180 pays par l’édition 2022 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), soit une perte de dix points par rapport à l’année précédente.
(Avec Ucanews)