Eglises d'Asie

Le Madhya Pradesh tente d’éviter un nouvel Ayodhya

Publié le 15/02/2013




La police et les forces spéciales armées ont dû intervenir pour contenir l’émeute qui a éclaté ce vendredi 15 février à Bhojshala, dans le district de Dhar, au Madhya Pradesh, un site religieux que les musulmans se partagent avec les hindous dans un climat de revendication croissante.

Les précautions prises par la police de l’Etat du Madhya Pradesh et les tentatives de dialogue entre les communautés musulmanes et hindoues qui revendiquent toutes deux le site de Bhojshala comme leur lieu de culte n’ont, semble-t-il, pas abouti.

A Bhojshala, les affrontements entre musulmans et hindous n’ont cessé d’augmenter ces dernières années en dépit du partage du lieu de culte mis en place en 2003 par la Commission d’enquête archéologique (Archaeological Survey of India, ASI), service fédéral qui gère le site.

Selon les archives gouvernementales, le roi Bhoj aurait construit un premier lieu de culte en 1034 en l’honneur de Saraswati, divinité hindoue du savoir et de la connaissance. Au XVème siècle, les conquérants musulmans convertirent ce lieu de culte en mosquée (Maulana Kamal Masjid). Aujourd’hui, le site, qui a été classé monument historique en 1952 par la Commission archéologique, sert au culte hindou le mardi – ainsi que le jour de la fête de Saraswati – et est réservé à la prière des musulmans le vendredi, les autres jours étant ouverts aux touristes.

Cette année, la Vasant Panchami, fête en l’honneur de la déesse Saraswati, tombant un vendredi, les tensions, toujours latentes entre les deux communautés, ont ressurgi, exacerbées par la campagne des nationalistes hindous en vue des prochaines élections législatives.

Afin de prévenir d’éventuels troubles et d’éviter que le conflit ne dégénère en émeute, le gouvernement du Madhya Pradesh avait pourtant déployé plus de 4 000 hommes, policiers et membres des forces spéciales, autour du site controversé. Le responsable de district C. B. Singh avait déclaré à la presse locale avoir placé toutes les unités de la région en « alerte rouge », et multiplié les tentatives de médiation et d’échanges entre les parties avant la journée fatidique du vendredi 15 février.

Dans un souci d’apaisement, la Commission d’enquête archéologique avait finalement tranché en faveur d’un partage de la journée de vendredi entre les hindous et les musulmans, les premiers étant autorisés à célébrer la Saraswati Puja jusqu’à 12h30 précises, heure à laquelle ils devraient se retirer avant que les musulmans ne se réunissent pour la prière à partir de 13h.

Les jours précédents, les extrémistes hindous, nombreux dans cet Etat mené par le parti nationaliste Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), avaient battu le rappel de leurs troupes afin d’empêcher les musulmans d’accéder au site et de « restituer une fois pour toute le temple de Saraswati » à ses fidèles hindous.

Parmi ces mouvements « safran » qui réclament depuis des années la restitution du temple de Bhojshala, l’Hindu Jagran Manch (‘Forum pour la mobilisation des hindous’) s’était montré l’un des plus virulents, réunissant des milliers de militants en prévision de la journée du 15 février, encourageant les habitants du district à rejoindre la procession et à prolonger le plus possible les cérémonies en l’honneur de la déesse.

Ce vendredi, dans son édition du soir, le Times of India rapporte que les affrontements que craignaient les autorités se sont finalement produits, les forces de l’ordre ayant dû charger la foule pour la disperser et le gouvernement du district ayant été contraint d’instaurer un couvre-feu. Les événements ont été pris très au sérieux par les autorités du Madhya Pradesh, dont l’Etat voisin de l’Uttar Pradesh garde encore les stigmates du drame d’Ayodhya, qui, dans un contexte similaire, a entraîné la destruction de la mosquée Babri et des milliers de morts dans tout le pays.

Les premières échauffourées ont débuté peu avant l’heure où les hindous devaient se retirer pour laisser place aux musulmans. Alors que la procession de Saraswati s’éternisait et que les musulmans commençaient à s’impatienter, des milliers de militants du Vishwa Hindu Parishad (VHP) auraient alors surgi simultanément de différents lieux où ils se tenaient cachés pour former une barrière humaine devant le temple.

A 12h30 exactement, rapporte encore le quotidien indien, tandis que les membres de la « milice safran » encerclaient Bhojshala et empêchaient les musulmans de rentrer, une procession de sadhous et de gourous connus des cercles hindouistes, entraient dans l’enceinte du temple avec le portrait de la déesse afin de la vénérer au cours d’une cérémonie à laquelle participaient 25 prêtres entourés de plus de 400 militants.

Ne parvenant pas à stopper les rituels ni à faire évacuer le site par les hindous, de plus en plus nombreux, les forces de l’ordre recevaient alors l’ordre de disperser par la force la foule rassemblée à l’extérieur du bâtiment. Une avalanche de pierres et de briques ayant accueilli leur tentative de faire respecter le délai accordé aux hindous, les unités de police et de l’armée ont alors riposté en tirant en l’air, puis en lançant des centaines de bombes lacrymogènes. Pour venir à bout de l’émeute, la police et les forces d’intervention armées ont dû finalement charger la foule avec des matraques.

Selon les dernières éditions des quotidiens locaux, il y aurait ce soir un nombre encore indéterminé de blessés parmi les forces de l’ordre et de nombreux véhicules auraient été incendiés par les militants en colère. Plusieurs heures ont été nécessaires pour disperser la foule des hindouistes et permettre de « au gouvernement du Madhya Pradesh de sauver la face », en faisant entrer symboliquement à l’intérieur du Bhojshala Maulana Kamal Masjid une quinzaine de musulmans pour la prière du vendredi.