Eglises d'Asie

Violences antimusulmanes : des autorités religieuses appellent au calme, d’autres font le contraire

Publié le 28/03/2013




Réagissant à la flambée de violences antimusulmanes qui a fait une quarantaine de morts ainsi que des milliers de sans-abri et de personnes déplacées ces derniers jours dans le centre du pays, des responsables religieux appellent au calme, tandis que certains moines bouddhistes continuent de propager un discours haineux envers la minorité musulmane du pays.

Le 25 mars dernier, cinq jours après le déclenchement des violences qui ont secoué la ville de Meikhtila (Meiktila), l’archevêque catholique de Rangoun, Mgr Charles Bo, a publié un communiqué appelant le gouvernement à unir les responsables religieux du pays dans un même appel au calme. « L’amour et la compassion sont des valeurs centrales du bouddhisme, de l’islam et du christianisme (…). Il est très urgent et important que tous les responsables religieux se réunissent et s’écoutent mutuellement avec respect pour parvenir à une parole et une action communes », peut-on lire dans le communiqué diffusé par les services de l’archevêché.

Président d’une Conférence épiscopale dont les prises de position dans la vie politique du pays sont rares, Mgr Charles Bo a ajouté : « Pour renforcer l’unité et la cohabitation pacifique de tous, aucune Constitution, aucune armée ne suffira jamais ; seule la loi de l’amour en est capable. » Le communiqué se terminait par un appel au gouvernement à recourir aux responsables religieux pour trouver une issue au conflit intercommunautaire qui, parti de la ville de Meiktila, s’est ensuite étendu à diverses localités de la région de Pegu (Bago).

Ce 28 mars, en écho à l’appel de l’archevêque de Rangoun, plusieurs responsables de mouvements de jeunes chrétiens, hindous, musulmans et bouddhistes se sont réunis dans les locaux de la YMCA à Rangoun et se sont entendus sur le texte d’un communiqué commun appelant à la fin des violences. Lors de cette rencontre, le Vénérable Kolnyanna, moine bouddhiste du monastère Mingun Tawya de Rangoun, déclarait notamment que « toutes les religions devaient vivre en paix [en Birmanie] » et que « chacun devait faire preuve de compassion envers autrui ».

Face à ce discours d’apaisement et d’appel à la cohabitation pacifique entre les différentes communautés religieuses de ce pays très majoritairement bouddhiste, une campagne visant à « protéger la race et la religion [birmanes] » diffuse cependant un message opposé et fondamentalement hostile aux musulmans (qui représentent environ 5 % de la population), perçus comme une menace pour la religion bouddhique et le peuple birman. Baptisée « Groupe 969 », la campagne, dans un pays féru de numérologie, renvoie à la tradition bouddhique selon laquelle les Trois Joyaux du bouddhisme se composent de 24 attributs (9 du Bouddha, 6 du Dharma et 9 du Sangha). Elle a un leader en la personne du Vénérable Wirathu, moine du monastère Maesoeyein à Mandalay, connu pour avoir pris la tête des moines ayant réclamé la déportation des Rohingyas de l’Arakan l’an dernier, lorsque cette région du sud du pays a été le théâtre de violences meurtrières entre Rohingyas musulmans et Arakanais bouddhistes. Par des prêches véhéments, retransmis sur Internet ou diffusés par CD, le Vénérable Wirathu cherche aujourd’hui à faire boycotter les commerces tenus par les musulmans, appelant chaque bouddhiste à ne se rendre que dans les échoppes arborant le sigle du « Groupe 969 ». « Si vous faites vos achats dans un magasin musulman, votre argent ne s’arrêtera pas là, mais poursuivra son chemin pour finalement détruire notre race et notre religion », affirme-t-il dans un discours tenu fin février 2013.

Face à une population birmane et bouddhiste encline à nourrir des sentiments de méfiance envers la minorité musulmane, le discours qui présente les musulmans comme de dangereux étrangers venus prendre le contrôle de la Birmanie rencontre un certain écho. Par le passé, à l’époque où la junte militaire était au pouvoir, la rhétorique antimusulmane avait ainsi pu être instrumentalisée par le régime en place pour créer artificiellement une adhésion des Birmans bouddhistes à l’armée, présentée comme l’instance protectrice du bouddhisme.

Dans l’allocution de dix minutes qu’il a prononcée ce jeudi 28 mars à la télévision nationale, le président Thein Sein a fait allusion à cette possibilité d’une manipulation des sentiments religieux de la population. Il a notamment rejeté la responsabilité des émeutes antimusulmanes sur « des opportunistes politiques et des extrémistes religieux », sans les désigner plus précisément mais en ajoutant que s’ils « tentaient d’exploiter les nobles enseignements de ces religions et de semer la haine entre des personnes de religions différentes afin de poursuivre leurs propres intérêts », ces manœuvres « ne seraient pas tolérées ». Le président, qui a mené la transformation ces deux dernières années de la junte militaire en un gouvernement civil réformiste, a ajouté qu’il n’hésiterait pas à faire usage des pouvoirs que la Constitution lui donnait pour rétablir l’ordre, comme la promulgation d’un « ordre administratif militaire » donnant le contrôle du pays à l’armée.

Dans les rues de Rangoun, un sentiment largement partagé était que les violences de ces derniers jours pourraient avoir été fomentées par des groupes proches de l’armée et des bouddhistes extrémistes afin de discréditer le gouvernement civil du président Thein Sein et de susciter des changements au sommet de l’Etat, voire le retour des militaires au pouvoir.

Selon certains analystes, le fait que le président Thein Sein ait désigné « des opportunistes politiques et des extrémistes religieux » comme responsables des violences sans pour autant les désigner nommément ou arrêter ceux qui, comme le moine Wirathu, tiennent des discours de haine, pousse à s’interroger sur le pouvoir dont il dispose réellement. De même, l’apparente incapacité des forces de l’ordre à empêcher l’attaque, le pillage et l’incendie des maisons appartenant à des musulmans à Meiktila pose la question du degré de contrôle de l’appareil de sécurité par le pouvoir exécutif.