Eglises d'Asie

Mgr Jin Luxian, courte biographie d’un évêque « prudent comme le serpent et candide comme la colombe »

Publié le 27/04/2013




Né en 1916 à Shanghai dans une famille qu’il présentait comme étant catholique depuis dix générations, le jeune Aloysius Jin perd très jeune ses parents. Sa mère meurt alors qu’il n’a que 10 ans, son père lorsqu’il en a 14. Il a 18 ans quand son unique sœur décède. Ses parents l’avait inscrit à l’école chez les jésuites et c’est auprès d’eux qu’il se forme …

… uprès plus précisément des membres français de la congrégation, faisant du français sa deuxième langue, après sa langue maternelle, le shanghaïen, mais avant le mandarin qu’il apprendra par la suite. En 1938, à l’âge de 22 ans, il est admis au sein de la Compagnie de Jésus. « J’avais perdu tous les miens. J’ai alors cherché à être un soldat de Dieu », expliquera-t-il plus tard.

Peu après, le 8 décembre 1939, le pape Pie XII lève la plupart des interdits qui empêchaient les chrétiens chinois de pratiquer le culte des ancêtres et les rites confucéens, mettant ainsi fin à la « querelle des rites » ouverte au milieu du XVIIe siècle. En dépit d’une époque troublée par l’invasion japonaise et la seconde guerre mondiale, l’Eglise en Chine poursuit sa construction : en 1946, le même Pie XII établit la hiérarchie ecclésiastique en Chine, attestant de la maturité grandissante de cette communauté après plusieurs siècles de présence missionnaire. Mais le pays sombre dans la guerre civile, dont l’issue sera en 1949 la victoire des communistes et la fuite des nationalistes à Taiwan. Pour Mgr Riberi, alors internonce en Chine, ainsi que pour la plupart des évêques, il est évident que les nationalistes, en dépit de la corruption de leur régime, sont un moindre mal en comparaison des communistes. Pour un certain nombre de catholiques chinois en revanche – dont le jeune Aloysius Jin formé au sein d’un système marqué par le colonialisme –, la victoire de Mao Zedong signifie une reconquête par la Chine de son indépendance. Et ces catholiques sont confrontés à un dilemme : ainsi que Mgr Jin l’expliquera lors d’un voyage en Allemagne en 1987, « rester catholique signifie alors ne pas pouvoir demeurer chinois ».

Durant ces années, le jeune Aloysius Jin ne se trouve pas à Shanghai. Ordonné prêtre en 1945, il a été envoyé parfaire sa formation en France en 1947, où il a Henri de Lubac comme professeur. En 1949, il est à Rome où, doctorant en théologie à la Grégorienne, il se lie d’amitié avec Albert Decourtray, futur primat des Gaules. En Chine, le nouveau régime a commencé à expulser les missionnaires étrangers et à restreindre la liberté religieuse. Le jeune prêtre obtient néanmoins de ses supérieurs de retourner à Shanghai, où il doit prendre la direction du grand séminaire à Sheshan. Pour lui, rentrer au pays épauler ses frères catholiques est un impératif à l’heure où les missionnaires sont chassés et les fidèles maltraités par un régime qui, rapidement, cherchera à diviser la communauté catholique pour mieux l’anéantir.

En janvier 1951, lorsque le P. Jin débarque à Shanghai, le rouleau compresseur communiste a commencé son œuvre. Dans la métropole orientale, symbole pour les nouveaux maîtres du pays de compromission avec les « impérialistes », la communauté catholique, estimée à 120 000 membres, est soupçonnée de vouloir saper la révolution. Sous la direction de son évêque, Mgr Ignatius Kung Pin-mei (Gong Pin-mei), l’Eglise de Shanghai résiste. Pour l’évêque, les communistes ne dureront pas et, le temps d’attendre le retour des nationalistes au pouvoir, il faut résister. Pour le recteur du séminaire, les communistes sont bien installés au pouvoir et il est nécessaire de veiller à organiser l’Eglise autour de ses évêques chinois de manière à ce qu’elle survive en l’absence des missionnaires étrangers, tous rapidement expulsés du pays. Dans la nuit du 8 au 9 septembre 1955, une vague d’arrestations envoie tout le monde en prison : Mgr Kung est arrêté, ainsi que le P. Jin et 300 autres prêtres, religieuses et laïcs. Des centaines d’autres arrestations suivront. Durant quatre années et demie, le P. Jin est maintenu à l’isolement, soumis à des interrogatoires quasi quotidiens. En 1960, un tribunal le condamne à dix-huit ans d’incarcération pour « activités contre-révolutionnaires », tandis que Mgr Kung est reconnu coupable de « haute trahison » et condamné à la perpétuité.

C’est pourtant de cette époque que datent les rumeurs et les témoignages selon lesquels le P. Jin aurait « trop parlé » une fois entre les mains de la police, sans que jamais des preuves ne viennent étayer ces soupçons. En 1973, il sort de prison, mais ne recouvre pas la liberté pour autant, ses talents de polyglotte trouvant à s’employer comme traducteur pour diverses administrations en un régime de semi-liberté qui ne prendra fin qu’en 1982, à la faveur de l’ouverture créée par les réformes mises en place par Deng Xiaoping.

A cette date, en 1982, le diocèse de Shanghai a deux évêques, Mgr Kung Pin-mei, toujours incarcéré, et Aloysius Zhang Jiashu, un jésuite de 90 ans qui a cédé sous la pression des communistes et qui a été consacré sans mandat pontifical en 1960. C’est aussi le moment où le Parti communiste met au point son « Document 19 » par lequel il théorise sa politique religieuse : les religions sont un phénomène historique amené à disparaître lorsque le socialisme triomphera ; dans l’intervalle, des mesures doivent être prises pour renforcer le caractère patriotique des institutions religieuses chinoises et assurer leur indépendance vis-à-vis de l’étranger. Parmi ces mesures figure la réouverture des grands séminaires pour former une nouvelle génération de prêtres patriotes. Et c’est au P. Jin qu’est confiée la mission de rouvrir le séminaire de Sheshan.

La démarche du P. Jin est très mal acceptée, notamment au sein de la Compagnie de Jésus où, depuis Taiwan, il est considéré comme étant à la solde des communistes. Depuis Rome, la perception n’est pas très positive non plus, notamment du fait qu’en janvier 1985, le P. Jin est ordonné sans mandat pontifical comme évêque auxiliaire – et successeur potentiel – de Mgr Zhang.

L’ambiguïté du choix posé alors par le P. Jin ne sera jamais plus totalement levée. Mgr Jin expliquera que « les communistes sachant tout », il était vain de vouloir agir dans la clandestinité et que, dans ces années où la Chine se relevait de la Révolution culturelle (1966-1976), l’urgence était de reconstruire l’Eglise. A différents visiteurs, il exposera son état d’esprit, citant l’Evangile de Matthieu, en disant être « prudent comme le serpent et candide comme la colombe » (1).

De fait, ses réalisations à la tête du diocèse de Shanghai (dont il prend la direction effective à la mort de Mgr Zhang en 1988) sont notables. Renouant avec ses contacts à l’étranger, écrivant à chacun dans sa langue, il trouve des fonds pour restaurer sa cathédrale, les églises du diocèse, relever le séminaire, former les prêtres. Après six voyages successifs à Pékin en 1988, il obtient des autorités politiques que, dans le canon de la messe, les catholiques puissent prier pour le pape. Il obtient également que les réformes liturgiques issues de Vatican II, dont l’application dans les églises de Chine avait été refusée par les communistes au nom de la nécessaire « indépendance » de l’Eglise de Chine à l’égard du Saint-Siège, soient autorisées à Shanghai. Le 30 septembre 1989, en la cathédrale de son diocèse, une première messe en chinois (et non plus en latin) est célébrée selon le nouveau missel, le célébrant étant le P. Joseph Zen Ze-kiun, natif de Shanghai et futur évêque et cardinal de Hongkong.

Mais vis-à-vis de Rome, Mgr Jin souffre longtemps de ne pas se voir reconnu comme l’évêque légitime de Shanghai. Depuis 1988, Mgr Kung, sorti de prison en 1986, vit en effet en exil aux Etats-Unis et incarne la résistance des catholiques « clandestins » face aux compromis acceptés par les « officiels » (2). Sa mort en 2000 permettra de débloquer la situation. A Shanghai, Mgr Fan Zhonglian, jésuite lui aussi, a succédé à Mgr Kung. A la demande de Rome, Mgr Jin et Mgr Fan, tous deux octogénaires, se mettent d’accord sur un successeur commun. Mgr Fan est déjà affaibli par la maladie d’Alzheimer et c’est le candidat de Mgr Jin qui est présenté à Rome, accepté par le pape et entériné par Pékin. En juin 2005, Mgr Jin, dont l’ordination épiscopale a été entretemps légitimée par le pape, ordonne Joseph Xing Wenzhi comme évêque auxiliaire de Shanghai , le destinant aux yeux de tous à prendre sa succession – et puisque la cérémonie n’est pas dénoncée comme illicite par le Saint-Siège, elle signifie à la face du monde que Mgr Jin Luxian est désormais bien en communion avec le pape. Au mois de septembre suivant, Mgr Jin figure au nombre des quatre évêques de Chine populaire que Benoît XVI a personnellement invités à prendre part au Synode sur l’Eucharistie (mais Pékin n’autorisera aucun de ces évêques à partir pour Rome).

Reconnu par Rome, jouant de sa stature de maître incontesté de l’Eglise à Shanghai, Mgr Jin ne jouira toutefois pas longtemps de la satisfaction de voir sa succession assurée. Le jeune évêque auxiliaire, Mgr Xing, se voit en effet poussé à la démission au début de l’année 2012 (sans qu’à ce jour, les raisons exactes de cette démission soient connues). Mgr Jin choisit pour le remplacer un jeune prêtre de Shanghai, le P. Thaddeus Ma Daqin. Le 7 juillet 2012, à l’issue de la messe d’ordination épiscopale, Mgr Ma prend la parole pour annoncer sa démission de l’Association patriotique des catholiques chinois, signifiant ainsi son refus de la politique de contrôle du régime communiste sur l’Eglise catholique. Le soir même, il est appréhendé par les autorités et placé en résidence surveillée au sein du séminaire de Sheshan, où il se trouve encore actuellement, empêché d’exercer son ministère épiscopal.

En juillet 2010, à l’occasion d’une interview accordée à Ignatius Insight, publication jésuite américaine, Mgr Jin déclarait : « Je suis né sous le règne du pape Benoît XV et je mourrai probablement durant le règne du pape Benoît XVI. Ma vie s’est trouvée ainsi encadrée par deux bons papes et j’ose espérer que j’ai été un bon évêque. » A cette date, il ne pouvait prévoir la renonciation de Benoît XVI, tout comme il était sans doute loin d’imaginer que celui qui serait appelé à lui succéder ne serait pas en situation de présider sa messe de funérailles, retenu en résidence surveillée et prisonnier d’un régime qui ne conçoit pas que les religions puissent s’organiser indépendamment de son contrôle.