Eglises d'Asie

Visite du patriarche de Moscou en Chine : beaucoup de visibilité, peu de résultats concrets

Publié le 13/05/2013




Fruit de l’actuelle amitié russo-chinoise, la visite que le patriarche orthodoxe Cyrille Ier de Moscou effectue ces jours-ci en Chine populaire se déploie avec une visibilité certaine mais peu de résultats concrets apparents.

Vendredi 10 mai, à la tête d’une délégation de 80 personnes, le patriarche de Moscou et de toute la Russie, chef de l’Eglise orthodoxe russe, a atterri à l’aéroport de Pékin pour une visite qualifiée d’« historique » par les médias officiels chinois. D’une durée de six jours, cette visite passe par Pékin, Harbin et Shanghai, d’où le patriarche s’en retournera à Moscou le 16 mai.

Peu après son arrivée sur le sol chinois, le patriarche, âgé de 66 ans, a rencontré le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping. L’entrevue s’est déroulée dans le Grand Hall du peuple, lieu habituel de réception des dignitaires étrangers par les dirigeants chinois. Lors de l’échange entre les deux hommes, il a été souligné que c’était la première fois qu’un patriarche orthodoxe russe se rendait en visite en Chine et que c’était aussi la première rencontre entre l’actuel président chinois et un chef religieux étranger. Les deux hommes ont rappelé le fait que Xi Jinping, dont l’accession officielle au pouvoir date du 14 mars dernier, avait réservé sa première visite à l’étranger au président russe Vladimir Poutine et qu’il avait exprimé à cette occasion le vœu d’accueillir dans son pays le patriarche de Moscou.

Selon le compte-rendu de la rencontre publié par l’agence Xinhua, le président Xi a redit à son hôte sa conviction que la coopération entre leurs deux pays bénéficiait aux peuples russe et chinois mais aussi au maintien de la paix et de la justice dans le monde. Le président Xi a félicité le patriarche Cyrille pour « le soutien constant » apporté par l’Eglise orthodoxe russe au développement des relations sino-russes et à la position de la Chine concernant ses intérêts vitaux, dans les domaines notamment de la souveraineté nationale, de la sécurité, de l’intégrité territoriale et du développement. « La visite en Chine du patriarche Cyrille, en ce qu’elle fait partie des échanges religieux entre la Chine et la Russie, contribuera à approfondir la compréhension mutuelle », a déclaré Xi Jinping, qui, précise encore la dépêche chinoise, a abordé avec son invité la politique religieuse de la Chine.

De son côté, le patriarche orthodoxe a répondu que le peuple russe et le peuple chinois « chérissaient la souveraineté et l’indépendance nationale ». La Russie et la Chine doivent se comprendre et se soutenir l’une l’autre pour faire face aux défis qui sont les leurs, a-t-il ajouté, déclarant que l’Eglise orthodoxe russe continuerait à adhérer aux principes d’égalité et de non-ingérence tout en œuvrant à l’approfondissement de l’amitié russo-chinoise.

Au-delà des discours convenus et de la visibilité donnée à cette visite inédite, peu d’éléments nouveaux semblent avoir été conclus entre les deux parties. Dans un pays où l’orthodoxie ne fait pas partie des cinq religions officiellement reconnues par les autorités (bouddhisme, taoïsme, islam, catholicisme et protestantisme), les lieux de culte orthodoxes se comptent sur les doigts d’une main. Dimanche 12 mai, en présence d’un fort déploiement de sécurité, le patriarche a célébré la messe sous une tente, dans l’enceinte de l’ambassade russe à Pékin. L’unique chapelle orthodoxe de la capitale chinoise se situe en effet dans l’actuelle ambassade russe, sur le lieu où avait été établie en 1713 la première Mission orthodoxe à Pékin, mais il semble qu’elle ait été jugée trop exiguë pour les quelque 300 personnes qui ont assisté à l’office ce 12 mai, d’où le choix d’une tente.

Le nombre des chrétiens orthodoxes est estimé aujourd’hui en Chine à environ 15 000. Composée d’expatriés et de marchands russes installés à Pékin ou dans les grandes villes du Nord-Est du pays, la communauté orthodoxe est également formée des descendants des Cosaques du Fort Albazin, construit par les Russes sur les bords du fleuve Amour, qui avaient été faits prisonniers par l’armée impériale chinoise en juin 1685. Devenus par la suite gardes de l’empereur, ils s’étaient mariés à des Chinoises tout en conservant leur foi orthodoxe. La mission russe de 1713 avait notamment pour objet, avec l’arrivée à Pékin du pope Maxime Leontiev, de répondre aux besoins pastoraux de ces populations.

Au XXe siècle, en 1922, le patriarcat de Moscou érige le diocèse de Pékin (avec les vicariats de Shanghai et de Tientsin (Tianjin)) et le diocèse de Harbin (avec les vicariats de Hailar et Qiqihar), puis accorde en 1946 le statut d’exarchat de l’Asie de l’Est à ce qui deviendra en 1956 l’Eglise orthodoxe de Chine, devenue autonome de l’Eglise de Russie à la faveur de la rupture sino-soviétique.

En réalité, au gré des différentes campagnes politiques lancées dans la Chine maoïste des années 1950, l’Eglise orthodoxe, comme les autres religions, fait face aux persécutions antireligieuses et disparaît tout à fait lors de la Révolution culturelle (1966-1976). Lorsque les réformes de Deng Xiaoping ont permis un renouveau de la vie religieuse, les orthodoxes ont peiné à se réorganiser et c’est aujourd’hui principalement depuis Hongkong et sa paroisse orthodoxe Pierre-et-Paul, que l’effort de renaissance est entrepris. En février de cette année 2013, la Chine et le Japon ont été proclamés territoires canoniques du patriarcat de Moscou par le Saint-Synode orthodoxe russe (1).

Outre le handicap que représente dans le paysage religieux officiel chinois l’absence de reconnaissance comme religion officiellement établie, l’orthodoxie en Chine se heurte aujourd’hui à un obstacle majeur, celui de l’absence de prêtre. Depuis la mort du dernier prêtre orthodoxe chinois, le P. Alexandre Du Lifu, en 2003 (2), plusieurs séminaristes chinois sont partis se former dans les séminaires orthodoxes de Moscou mais il semble que le patriarcat russe rencontre des difficultés quant à leur ordination. En effet, au nom du principe d’autonomie des Eglises en Chine, les responsables chinois des Affaires religieuses refusent qu’un évêque étranger, russe par exemple, ordonne un prêtre orthodoxe chinois. Dans un passé récent, les autorités chinoises ont bien suggéré à plusieurs reprises aux orthodoxes chinois de « s’affilier » à l’Eglise catholique de Chine, du moins dans sa dimension « officielle », mais la proposition a été aussi poliment que fermement rejetée par la communauté orthodoxe locale. Peut-être la très officielle visite de Cyrille Ier ces jours-ci en Chine permettra-t-elle de faire avancer ce dossier. En 2004, de passage à Hongkong, le responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou qualifiait encore la situation de l’Eglise orthodoxe en Chine de « très mauvaise ».