Eglises d'Asie

Libération du chrétien Younis Masih, condamné à mort pour blasphème

Publié le 29/11/2013




Younis Masih, un chrétien condamné à mort sur une fausse accusation de blasphème, a été remis en liberté après huit ans d’emprisonnement, le 10 novembre dernier, par décision de la Cour d’appel de Lahore.Le jeune chrétien, âgé de 35 ans aujourd’hui, avait été incarcéré le 10 septembre 2005 pour blasphème contre le prophète Mahomet (1) …

… et condamné à mort le 30 mai 2007 par un tribunal de première instance à Lahore.

Son dossier avait été rouvert en septembre 2012 par la Legal Evangelical Association Development (LEAD), qui s’était chargée de son pourvoi en appel. Younis Masih avait été acquitté le 3 avril dernier, avant de voir sa libération officiellement signifiée le 10 novembre. La nouvelle de sa libération semble cependant n’avoir été rendue publique que le jeudi 28 novembre, lors de la visite que le jeune homme a rendue à son avocat, Sardar Mushtaq Gill, directeur de la LEAD pour le Pakistan.

Depuis sa remise en liberté, le jeune homme et sa famille vivent dans la crainte d’être la victime des islamistes qui pourraient vouloir « faire justice eux-mêmes », comme cela a été souvent le cas dans les affaires de blasphème. Contrairement à ce qu’ont affirmé certaines associations ou médias, Younis n’a jamais été mis à l’abri dans un « endroit tenu secret par mesure de sécurité ». Il est revenu vivre avec sa famille, qui a reçu depuis sa libération « plusieurs lettres de menaces dont l’une venait du propriétaire de la maison ».

« Au Pakistan, a rappelé Me Sardar Mushtaq Gill, à l’occasion de la visite de son client, les chrétiens sont victimes d’une campagne de haine et subissent des menaces, des discriminations, des violences et des agressions. La loi sur le blasphème demeure une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes. Et même si leur innocence est reconnue et qu’ils sortent de prison, leur vie est toujours menacée. »

Les huit années d’emprisonnement de Younis Masih ont laissé des traces : le jeune homme a notamment été victime d’une attaque cardiaque le 8 janvier dernier, un incident dont il a gardé des séquelles définitives.

Lors de sa rencontre avec Me Gill, le jeune chrétien a raconté la déception de ses premiers jours de liberté. « J’ai été accueilli avec chaleur par plusieurs personnes à ma sortie de prison. Elles m’ont tout de suite emmenées avec elles pendant quinze jours et pris des tas de photos. Puis elles m’ont jeté comme un kleenex usagé », raconte avec amertume Younis Masih.

« Aujourd’hui, résume-t-il, j’ai quatre enfants et je suis sans emploi, avec aucune possibilité de retrouver du travail, au milieu de musulmans. Je vis dans la peur constante d’être assassiné et je dois rester caché, sans révéler mon identité (…). J’ai appris que Rimsha Masih avait trouvé refuge au Canada, mais pour le moment personne ne s’occupe de protéger ma vie. »

Rimsha Masih, jeune handicapée mentale dont l’innocence a été finalement reconnue en janvier 2013, a dû en effet quitter le pays pour échapper à la fatwa qui pèse toujours sur elle. La même menace atteindrait, si elle était relâchée, la chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème en 2010 et qui se trouve toujours dans le couloir de la mort de la prison de Multan. Un chef religieux musulman de Peshawar a offert entre autres, une récompense de 5 000 euros à qui assassinerait la chrétienne, mère de cinq enfants. Asia Bibi est devenue aujourd’hui le symbole de toutes les victimes de la loi anti-blasphème au Pakistan et le fer de lance de la campagne internationale en faveur de son abolition.

Selon différentes sources locales, près de 40 personnes seraient actuellement dans les geôles pakistanaises pour blasphème : plus d’une quinzaine d’entre elles se trouveraient dans les couloirs de la mort dans l’attente de leur exécution tandis que plus d’une vingtaine d’autres purgeraient une peine de prison à perpétuité (2).

« Cette loi anti-blasphème doit être abolie, du moins amendée afin qu’elle ne soit plus utilisée à mauvais escient comme c’est le cas aujourd’hui », réitérait le 1er novembre dernier Mgr Coutts, évêque émérite de Faisalabad jusqu’en 2012 (3), qui a été témoin de nombreuses violences déclenchées dans cette région par de fausses accusations de blasphèmes portées contre les chrétiens. Aujourd’hui archevêque de Karachi et à la tête de la Conférence épiscopale du Pakistan, Mgr Coutts souligne cependant que la multiplication des fausses accusations de blasphème semble avoir récemment provoqué un début de prise de conscience au sein de la population.

Ces derniers temps en effet, dans le cadre de plusieurs affaires très médiatisées, des tribunaux du pays ont été amenés à reconnaître l’origine douteuse de nombreuses accusations de blasphème, comme étant autant de règlements de comptes entre communautés ou cachant la volonté d’un propriétaire de procéder à l’expulsion de familles pauvres.

Tout récemment, des religieux musulmans, considérés pourtant comme se situant parmi les plus conservateurs, ont même réclamés la peine de mort pour les auteurs de fausses accusations de blasphème. Un projet d’amendement devrait être prochainement soumis aux législateurs par le Council of Islamic Ideology (CII), qui a pour rôle de vérifier la compatibilité des lois présentées au Parlement avec la charia.

(eda/msb)