Eglises d'Asie – Sri Lanka
Ouverture à Colombo du sommet du Commonwealth dans un climat de tension et de contestation
Publié le 15/11/2013
… qui a entraîné celle de l’île Maurice, c’est un sommet au climat très tendu qui vient de s’ouvrir à Colombo ce vendredi 15 novembre.
Le président Mahinda Rajapaksa comptait beaucoup sur ce grand rassemblement, lequel s’achèvera le 17 novembre prochain, pour se réconcilier la communauté internationale auprès de laquelle il doit se justifier de violations des droits de l’homme envers les populations tamoules et de crimes de guerre durant la dernière phase du conflit, qui s’est achevé en mai 2009.
Le 8 novembre dernier, Mgr Rayappu Joseph, évêque du diocèse catholique de Mannar, avait lancé un nouvel appel au boycott du sommet du Commonwealth à Colombo, dénonçant la « continuation des actes génocidaires perpétrés en l’encontre du peuple tamoul ». Il pointait le risque, pour la communauté internationale, de « renforcer la légitimité du gouvernement sri-lankais en tant que membre responsable de la communauté internationale » en acceptant que Colombo accueille le rassemblement des chefs d’Etat, tout en décrédibilisant « les valeurs inscrites dans la Charte du Commonwealth ».
Cet appel, émanant de celui qui avait alerté le premier les Nations Unies sur les violations répétées des droits des Tamouls et le « génocide en cours » dans les régions du Nord de l’île, faisait suite à la publication d’un rapport le 18 octobre dernier, de la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Jaffna, détaillant les très nombreuses exactions commises à l’encontre des populations tamoules ainsi que la politique de ‘cinghalisation forcée’ du gouvernement dans les anciennes zones de guerre.
A ces dénonciations venues de l’intérieur du pays s’étaient ajoutées ces dernières semaines les rapports très explicites d’Amnesty International ainsi que de nombreuses ONG, mais surtout de la Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, Navi Pillai, qui a effectué sa première visite au Sri Lanka en août dernier. Ces rapports avaient tous confirmé, faits et témoignages à l’appui, « la légitimité des allégations de violation des droits de l’homme » envers le gouvernement sri-lankais, réitérant la nécessité de l’envoi d’une commission d’enquête sur le terrain, et ce malgré les refus répétés de Colombo.
Mais le coup le plus rude asséné aux autorités sri-lankaises est venu de son ancienne alliée, l’Inde, qui a annoncé deux jours avant l’ouverture du sommet du Commonwealth que le Premier ministre Manmohan Singh ne se rendrait finalement pas à Colombo, un boycott de dernière minute qui a entraîné immédiatement celui de l’île Maurice.
Le président Mahinda Rajapaksa, après les défections de ces membres parmi les plus importants du Commonwealth, avait paru se raccrocher à la victoire que représentait pour lui la présence britannique au Sommet, dont la cérémonie d’ouverture a été solennellement présidée par le prince Charles jeudi 14 novembre. A cette occasion, le chef de l’Etat sri-lankais avait averti en ces termes les participants : « Le Commonwealth doit répondre aux besoins des peuples et ne pas se transformer en une organisation qui punit ou qui juge », signifiant clairement qu’il ne se montrerait pas disposé à entendre des remontrances de la part de ses hôtes.
Mais au discours par lequel le président se félicitait quelques heures auparavant de l’opportunité qui lui était faite de pouvoir montrer la « formidable transformation » du pays, a été opposée dès ce vendredi 15 novembre la demande très ferme et non négociable du Premier ministre britannique David Cameron de visiter la région de Jaffna, zone du nord de l’île toujours sous occupation militaire, et de rencontrer les « victimes tamoules de la guerre civile ».
Le Premier ministre avait justifié sa participation au rassemblement du Commonwealth – qui avait suscité une importante controverse au Royaume-Uni – en s’engageant auprès de la communauté tamoule à « avoir une discussion sérieuse » avec Mahinda Rajapaksa au sujet des accusations de crimes de guerre. « Quatre ans après la fin de la guerre civile et la défaite des Tigres tamouls, il n’y a guère eu d’amélioration (au Sri Lanka), avait-il notamment déclaré. (…) Nous devons obtenir une enquête approfondie sur les crimes de guerre en question ; si elle n’intervient pas rapidement, une enquête internationale indépendante sera nécessaire. »
David Cameron s’est donc rendu cet après-midi dans la partie de l’île où les stigmates de la guerre sont encore les plus visibles, à bord d’un avion militaire (toutes les lignes aériennes régulières civiles ont été suspendues dans toute la zone). Cette visite, dont le président Mahinda Rajapaksa n’a pas manqué de souligner qu’elle le contrariait fortement, est la première effectuée par un chef de gouvernement étranger depuis 1948.
Lors de ce déplacement éclair, les rares journalistes britanniques qui ont été autorisés à accompagner le chef du gouvernement ont fait état de nombreux rassemblements spontanés et de manifestations sur le parcours de David Cameron, témoignant d’une circulation de l’information par des circuits non officiels, la presse d’Etat s’étant bien gardé de faire allusion à ce déplacement.
A Jaffna, a rapporté un journaliste d’ITV News via son compte Twitter, les familles des personnes portées disparues s’étaient massées devant la Grande Bibliothèque, où le Premier ministre britannique était reçu par les autorités. Le reporter relate comment les forces de police ont tenté de repousser avec leurs matraques les manifestants qui pleuraient et criaient devant la bibliothèque et comment le Premier ministre, malgré l’opposition du service d’ordre, est sorti pour les entendre. Il a décrit la population qui se ruait sur le convoi du chef du gouvernement britannique brandissant les photos de leurs disparus, une scène qui évoque la manifestation qui s’était produite au même endroit et dans les mêmes circonstances en août dernier, lors du passage de la Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies.
David Cameron s’est ensuite rendu dans un village de déplacés près de Jaffna, où il a été reçu par les représentants de l’armée sri-lankaise et a pu entrevoir quelques groupes de réfugiés tamouls tentant de manifester, avant que ces derniers ne soient évacués par les forces de l’ordre.
A Colombo, la contestation s’organise également, malgré une forte présence policière. Des manifestations qui étaient prévues hier et aujourd’hui ont été empêchées par les forces de l’ordre, mais les médias étrangers présents dans la capitale ayant relayé ces tentatives avortées, le ministre de l’Information Keheliya Rambukwella a dû faire une déclaration publique, assurant qu’il s’agissait de « fauteurs de troubles » qui avaient été écartés dans le « seul but d’assurer la sécurité des invités du sommet ».
Parmi les manifestants qui tentaient de profiter du rassemblement des chefs d’Etat pour dénoncer les violations des droits de l’homme au Sri Lanka, se trouvaient plusieurs centaines de Tamouls venus du Nord du pays, essentiellement des familles de personnes portées disparues. Leurs cars ont été arrêtés peu avant Colombo, alors qu’ils s’apprêtaient à rejoindre les manifestants du collectif du Human Rights Festival.« Nous n’avons pas pu venir faire entendre nos voix et l’armée nous a forcés à rebrousser chemin », a regretté le P. Emmanuel Sebamalai, prêtre catholique du district de Mannar et l’un des organisateurs de la manifestation
D’autres médias étrangers présents au Sommet font état depuis leur arrivée de restriction de leurs mouvements, comme la chaine britannique Channel 4, qui s’est vue retirer son autorisation de se rendre dans les anciennes zones du conflit, très probablement en raison du rôle important qu’ont joué certains de ses journalistes dans la dénonciation des crimes de guerre de Colombo auprès des Nations Unies.
(eda/msb)