Eglises d'Asie

Mgr Pakiam : « S’en prendre au P. Andrew, c’est s’en prendre à la communauté catholique tout entière »

Publié le 19/01/2014




Alors que le climat s’alourdit de jour en jour autour de la polémique relative à l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens de langue malaise et que le parti au pouvoir, l’UMNO, multiplie les actions contre le P. Lawrence Andrew, rédacteur en chef du journal catholique The Herald, l’archevêque de Kuala Lumpur, Mgr Murphy Pakiam, a publié …

… ce 18 janvier une lettre pastorale pour prendre sa défense. S’en prendre au P. Andrew, écrit l’archevêque, « équivaut à s’attaquer à la communauté chrétienne tout entière ».

Dans ce texte, lu dans les paroisses de l’archidiocèse lors des messes dominicales du 19 janvier, Mgr Pakiam se dit « attristé et affligé » par les événements de ces derniers jours, qui ont vu des militants de l’UMNO multiplier les manifestations dans le Selangor, l’Etat qui entoure Kuala Lumpur, pour dénoncer les propos tenus par le P. Andrew. En décembre dernier, celui-ci affirmait, dans un entretien accordé à un média en ligne, qu’à Selangor, les catholiques continueraient à utiliser le mot ‘Allah’ pour dire Dieu en dépit d’un règlement de 1988, instauré par le sultan local, le leur interdisant.

Mgr Pakiam, qui signe sa lettre en tant qu’administrateur du diocèse (1), dénonce notamment le fait que les manifestants soient allés jusqu’à « brûler une effigie du P. Lawrence Andrew »,et ajoute que ces actions génèrent « malaise, anxiété et même peur » parmi la population. Il poursuit en dénonçant le fait que « certains dirigeants politiques » ont approuvé ces actions (une allusion aux leaders de l’UMNO au Selangor – Etat où ce parti, au pouvoir au plan fédéral, se trouve dans l’opposition) et s’étonne du « silence inexpliqué d’autres [hommes politiques] », allusion ici quasi transparente au mutisme du Premier ministre sur cette question depuis des semaines.

L’archevêque écrit que l’attitude de ces responsables politiques ne fait que « verser de l’huile sur un feu qui semble se propager de manière incontrôlée ». Il affirme « ne pouvoir accepter ni tolérer qu’un groupe, quel qu’il soit, répande la division et la discorde au sein de la société ». Il poursuit en appelant les catholiques à se montrer « forts dans l’adversité » et écrit encore avoir trouvé « un réconfort » dans le fait que des Malaisiens « de toutes races et appartenances religieuses se sont levés pour défendre la cause de la justice et de la paix ». Mgr Pakiam invite chacun à se dresser contre « ceux qui cherchent à utiliser la religion pour diviser la nation » et conclut par un appel aux catholiques à prier « pour nos adversaires qui se méprennent sur notre foi ». Il  précise aussi que les catholiques de Malaisie doivent prier pour leurs dirigeants, « spécialement pour le Premier ministre », afin qu’ils aient « le courage d’unir les Malaisiens, quelle que soit leur affiliation politique, leur race ou leur religion » (2).

La lettre pastorale de Mgr Pakiam intervient à un moment où la pression se fait très forte sur les épaules du P. Andrew. Sous le coup d’une enquête ouverte le 7 janvier dernier au titre de la loi anti-sédition, – une législation vivement critiquée pour avoir été utilisée par le passé pour faire pression sur des opposants ou renforcer le pouvoir en place -, son sort est toujours incertain. Le procureur général a le dossier sur son bureau mais n’a pas encore fait connaître les suites qu’il donnera à cette affaire.

Du côté chrétien, outre le vif soutien apporté par Mgr Pakiam par le biais de sa lettre pastorale, la Fédération chrétienne de Malaisie (CFM), qui réunit l’ensemble des Eglises du pays (qu’elles soient catholique, protestantes ou évangéliques), a publié le 15 janvier une déclaration à l’attention des médias où elle dit « s’inquiéter de la tension croissante » autour de la question de l’usage du mot ‘Allah’ par les chrétiens. La CFM y regrette notamment que le gouvernement fédéral, – celui-là même qui avait rédigé l’accord en dix points de 2011 autorisant l’usage du mot ‘Allah’ dans la liturgie et les textes des chrétiens rédigés en malais (Bahasa Malaysia) -, « reste aujourd’hui silencieux ». La fédération y réitère également son attachement à la défense de la liberté de religion et à l’Etat de droit, deux principes « garantis par notre Constitution fédérale ».

Du côté de l’opposition, le leader de celle-ci, Anwar Ibrahim, a répondu à des journalistes, qui l’interrogeaient le 17 janvier à ce sujet, que « l’affaire était exploitée par des forces au sein de l’UMNO pour détourner l’attention de l’opinion publique de problèmes plus fondamentaux tels que la situation économique, les malversations ou la corruption ». Dans son fief de Penang, l’un des trois Etats de la Fédération contrôlés par le Pakatan Rakyat, la coalition des trois principaux partis de l’opposition, Anwar Ibrahim a rappelé qu’une législation religieuse de 2004 interdisait aux non-musulmans d’utiliser quarante mots, tels que ‘Allah’, ‘Ulama’ ou ‘Surau’, « mais que ce n’[était] pas un problème à Penang car personne ne parlait [de cette législation] ». Il a précisé que l’ensemble de cette affaire autour du mot ‘Allah’ « était un piège politique, mais certainement pas une question de foi » et que « cela n’avait jamais été le cas ces siècles derniers ».

Dans l’Etat de Selangor, l’un des trois Etats contrôlés par l’opposition, l’UMNO raconte aux Malais qu’Allah est menacé et que l’UMNO est le seul parti apte à le défendre, contrairement au PKR et au PAS qui ne font rien, a ajouté Anwar Ibrahim, lui-même le leader de facto du PKR (le PKR, le PAS et le DAP étant les trois partis qui forment la coalition de l’opposition). « Les médias contrôlés par l’UMNO n’ont de cesse de présenter les Malais comme étant menacés (par le fait que les chrétiens utilisent le mot ‘Allah’) et qu’ils doivent se mobiliser pour défendre l’islam », a déclaré l’homme politique, en réaffirmant que la position du Pakatan Rakyat sur le sujet était constante depuis 2010, à savoir que les non-musulmans peuvent sans restriction utiliser le mot ‘Allah’ dès lors qu’ils ne cherchent pas à en faire une insulte.

Selon les témoignages recueillis auprès de responsables de l’Eglise catholique, deux échéances judiciaires détermineront dans les prochains jours ou les prochaines semaines, la direction des événements à venir : premièrement, les suites que donnera le procureur général à l’enquête pour sédition ouverte àl’encontre du P. Andrew ; deuxièmement, la décision des cinq juges de la Cour fédérale, qui doivent se prononcer en dernière instance sur une révision ou non du jugement prononcé en octobre dernier, jugement qui avait été défavorable à Mgr Pakiam, au P. Andrew et au Herald. Il était prévu que la Cour se prononce le 24 février prochain ; un délai supplémentaire a été récemment annoncé, le jugement devant intervenir le 5 mars 2014.

Quelles que soient les décisions qui seront prises, ces responsables catholiques ne cachent pas leur « préoccupation » face aux tensions présentes.

(eda/ra)