Eglises d'Asie – Birmanie
Les pressions sur le gouvernement se multiplient pour que soit mis fin aux violences contre les musulmans
Publié le 01/10/2013
Selon les rapports du gouvernement et les récits des agences de presse internationales, le dernier incident en date a commencé par une altercation parfaitement mineure. Le 28 septembre, à Thandwe (Sandoway), ville côtière de l’Etat de l’Arakan, un chauffeur de taxi, de religion bouddhiste, s’est plaint à la police d’avoir été agressé verbalement par un musulman, propriétaire d’un commerce devant lequel il venait de garer son véhicule. La police a interpellé le commerçant en question pour interrogatoire, avant de le relâcher peu après, mais c’est alors qu’une foule de bouddhistes en colère s’en est pris à l’habitation du commerçant et y a mis le feu ainsi qu’à au moins une autre habitation appartenant à un musulman.
La tension est demeurée très élevée le dimanche 29 septembre et les forces de l’ordre ont dû tirer en l’air pour ramener le calme. Selon des témoignages recueillis localement, la communauté musulmane de Thandwe, composée non de Rohingyas mais de Kamans (1), craint un nouvel accès de violence de la part de la population bouddhiste. En juillet dernier, des maisons appartenant à des musulmans avaient déjà été incendiées après qu’une rumeur faisant état du viol d’une bouddhiste par des musulmans avait circulé.
Au total, depuis la flambée de violences qu’a connue l’Arakan en juin 2012, les heurts entre bouddhistes et musulmans ont tué au moins 237 personnes – dans leur très grande majorité des musulmans – et déplacé entre 150 et 250 000 personnes – toujours majoritairement musulmanes. Depuis la mise en place, il y a deux ans, d’un gouvernement civil, la multiplication des violences dirigées contre les musulmans, que ceux-ci appartiennent à la minorité rohingya ou aux autres composantes de la communauté musulmane de Birmanie, est apparue comme une des difficultés majeures se posant aussi bien au pouvoir en place qu’à l’opposition, tous deux paraissant dans l’incapacité d’y mettre fin. Les pressions sur Naypyidaw, tant sur la scène internationale que sur le plan national, se multiplient pourtant pour qu’une réponse politique soit apportée à ce problème.
Sur la scène internationale, la pression s’est manifestée à l’occasion de la tenue à New York de la 68ème Assemblée générale de l’ONU. Le 26 septembre, en marge de l’assemblée, le « Groupe des amis du secrétaire général [de l’ONU] pour le Myanmar » s’est réuni. Rassemblant de manière informelle les représentants de 14 pays occidentaux et asiatiques (2), ce groupe a vocation à soutenir les actions du secrétaire général Ban Ki-moon en vue d’accompagner la transition démocratique qui a cours en Birmanie. A l’issue de la réunion du groupe, le ministre britannique des Affaires étrangères Hugo Swire a souligné « l’importance d’une action continue pour maintenir le rythme des réformes, particulièrement la nécessité de s’attaquer aux violences et aux discriminations exercées à l’encontre des musulmans et des autres minorités religieuses, afin de poursuivre les progrès vers une paix complète et de soulager le sort de la communauté rohingya ».
Le 30 septembre, à la tribune de l’Assemblée générale, le ministre birman des Affaires étrangères, Wunna Maung Lwin, a répondu à cet appel en déclarant que s’il y aurait « toujours des personnes pour créer des remous », le gouvernement en place à Naypyidaw ne « laisserait personne profiter de l’ouverture politique pour fomenter des violences entre les différentes communautés ethniques ou religieuses ». Soulignant que les réformes étaient encore « récentes » et que le processus en cours « ne laissait que peu de marge à l’erreur », le ministre a ajouté : « C’est avec tout ceci à l’esprit que le président [Thein Sein] a publiquement insisté sur la nécessité pour chacun de se retenir de faire quoi que ce soit qui puisse mettre en danger la transition pacifique au Myanmar. »
Sur la scène intérieure, les pressions sont venues de la communauté des moines bouddhistes. Au sein de celle-ci, il est de notoriété publique que des moines, loin de chercher à empêcher les violences contre les musulmans, les ont encouragées, voire y ont participées. En dépit d’une initiative récente allant dans le sens d’un apaisement vis-à-vis des musulmans, l’une des figures marquantes de ce bouddhisme violemment antimusulman est le moine Wirathu.
Le 18 septembre dernier, à Rangoun, ce sont d’autres moines qui ont pris la parole. Commémorant le sixième anniversaire de « la grève des aumônes » – ce refus, à la symbolique très forte, des moines d’accepter les dons et les aumônes des membres du gouvernement, des militaires et des membres de leurs familles, ainsi que de pratiquer les rituels bouddhiques pour eux –, les moines qui avaient pris la tête de la « révolte safran », réprimée en 2007 par la junte alors au pouvoir, ont appelé à la fin des violences religieuses. Soulignant la difficulté à reconstruire la confiance entre le gouvernement et le peuple, les moines ont appelé les autorités « à véritablement s’engager pour la paix avec les groupes ethniques armés, ainsi qu’à la réconciliation nationale et à une vraie démocratie ». L’un deux, U Sandar Thiri, a précisé : « Le chemin vers la démocratie est nouveau. Afin de ne pas le détruire, il est important d’empêcher les violences ethniques et religieuses. » Une centaine de moines ainsi que des délégués de la Ligue nationale pour la démocratie et des membres de la « Génération 88 » étaient rassemblés pour cet anniversaire.
Sur la question des rapports difficiles entre la minorité musulmane et la majorité bouddhiste du pays, les observateurs soulignent qu’un aspect du problème tient à la faiblesse des statistiques officielles. Pour les bouddhistes qui entretiennent l’idée d’une submersion démographique de la Birmanie bouddhiste par les musulmans venus du Bangladesh voisin, la part des musulmans dans la population du pays avoisinerait les 10 %. Les chiffres les plus couramment retenus sont pourtant de 4 ou 5 %. Aucun recensement n’ayant été conduit dans le pays depuis 1983, ce sont les résultats du recensement que le gouvernement lancera au printemps prochain, en 2014, qui feront foi. Financé par la communauté internationale, ce recensement, a promis Khin Yi, ministre de la Population et de l’Immigration, concernera toutes les personnes présentes sur le territoire national. « Le recensement n’est pas lié à la politique ou à la citoyenneté, a-t-il déclaré à Radio Free Asia le 19 septembre. Si certaines personnes ne font pas partie de l’un ou l’autre des 135 groupes ethniques du Myanmar, elles apparaîtront dans la catégorie ‘autre’ à la rubrique ‘appartenance ethnique’. » Des propos destinés à rassurer sur le fait que les Rohingyas, en dépit de leur statut d’apatrides aux yeux des autorités birmanes, feront bien, eux aussi, l’objet du recensement.
(eda/ra)