Eglises d'Asie

Obama à Modi : « L’Inde sera freinée dans son développement tant qu’elle sera divisée religieusement »

Publié le 28/01/2015




Mardi 27 janvier, à l’issue de sa visite de trois jours en Inde à l’occasion de la fête nationale du pays, le président américain Barack Obama a mis en garde le Premier ministre Narendra Modi contre les « divisions religieuses » qui touchent actuellement le pays.

« L’Inde ne pourra réussir son développement si elle est minée de l’intérieur par les communautarismes », a-t-il affirmé.

Le « triomphe de Modi » obtenu grâce à la visite du président américain en Inde (1) pourrait-il finalement se retourner contre lui ? C’est seulement à la fin de sa visite de trois jours aux allures d’idylle politico-médiatique que le président américain a lancé cet avertissement au leader de l’Inde nationaliste. S’adressant à un auditoire constitué de 1 500 jeunes, Barack Obama a tenu à rappeler que la Constitution indienne était fondée sur la liberté religieuse et devait assurer à chacun la possibilité de pratiquer sa foi sans crainte de persécution. « Nulle part ailleurs qu’en Inde il n’est plus important, il n’est plus nécessaire, que ces valeurs fondamentales et la tolérance religieuse soient préservées », a t-il affirmé.

Premier président américain à être l’invité d’honneur des célébrations du Jour de la République indienne, célébré le 26 janvier, Barack Obama est arrivé à New Delhi le dimanche 24 janvier au soir. Bien plus qu’un simple échange de courtoisie – cette visite intervenant seulement quelques mois après celle du Premier ministre indien à Washington –, la venue du président américain marquait l’aboutissement d’une politique de séduction menée par Narendra Modi, en vue de réchauffer les relations entre les deux grands pays, sérieusement refroidies depuis quelques années, et en particulier depuis son élection à la tête du pays. En 2005, l’actuel Premier ministre indien, qui souffre d’une réputation sulfureuse aux Etats-Unis, s’était vu refuser un visa pour Washington en raison des émeutes antimusulmanes de 2002 qui avaient ensanglanté l’Etat du Gujarat, dont il était alors le dirigeant.

Comme l’espérait Narendra Modi, outre le dégel des relations indo-américaines, la rencontre a pu déboucher sur un accord de relance de la coopération entre les deux pays sur le nucléaire civil, bloquée depuis 2008. Durant la visite d’Obama, les journaux indiens se sont unanimement extasiés sur la bonne entente manifestée par les deux chefs d’Etat, lesquels ont multiplié les accolades et plaisanteries amicales. « Barack et moi avons développé une véritable amitié », a ainsi déclaré le Premier ministre indien, soulignant que cela rapprochait « Washington et New Delhi mais également les peuples des deux pays ».

C’est dire combien le dernier discours d’Obama a été ressenti comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. S’adressant aux « forces vives et à la jeunesse de l’Inde », le président américain a parlé durant 40 minutes aux étudiants réunis à New Delhi de la responsabilité de l’Etat indien dans le réchauffement climatique, mais aussi et surtout de liberté religieuse et de non-discrimination, fustigeant le fondamentalisme et rappelant que la Constitution indienne et la démocratie assuraient l’égalité de chacun quels que soient sa classe sociale, sa religion, son sexe ou encore son origine ethnique. « L’Inde sera freinée dans son chemin vers le progrès tant qu’elle ne règlera pas le problème de ses divisions religieuses », a-t-il conclu.

Depuis l’élection du nationaliste Narendra Modi en mai dernier, les violences interreligieuses ont considérablement augmenté en Inde, suscitant l’inquiétude de la communauté internationale. Selon un récent rapport du Catholic Secular Forum basé à Bombay (Mumbai), environ 273 000 personnes issues des minorités ont été « reconvertis » à l’hindouisme dans le seul Etat de l’Uttar Pradesh en 2014. Des chrétiens ont été tués dans des attaques menées par des hindouistes, de nombreux lieux de culte ont été détruits et des lois et des décrets restreignant la liberté religieuse au profit de l’hindouisme ont été promulgués.

Comme le craignaient les représentants des minorités en Inde, l’arrivée au pouvoir de Modi a marqué le lancement d’une campagne de « réhindouisation » du pays. « Le 18 décembre dernier, lors de la Journée nationale pour les minorités, Rajeshwar Singh, qui est à la tête du Dharma Jagran Manch [Forum d’éveil à la foi], a déclaré sur les chaînes d’information de la télévision nationale que son organisation s’était fixé jusqu’à 2021 pour ‘nettoyer l’Inde des étrangers musulmans et chrétiens’ », rapporte John Dayal, secrétaire général du All India Christian Council.

« Modi est le chef du Sangh Parivar (2) et c’est la raison pour laquelle il n’interfèrera jamais dans les activités des groupes hindous même si celles-ci sont illégales », accuse de son côté Zafarul-Islam Khan, président du All India Majlis-e-Mushawarat, un nouvel organisme de coordination des musulmans basé à Delhi, sur le site OnIslam.net. « Le gouvernement Modi a même utilisé les Ghar wapsi (3) pour envoyer un message clair au pays, lequel est que si vous n’acceptez pas ces [conversions de masse] vous n’avez qu’à soutenir le projet de loi anticonversion demandé par le BJP, alors que la Constitution indienne garantit la liberté de pratique et de prédication de la religion ! », ajoute-t-il.

Avant qu’Obama n’atterrisse en Inde, les communautés chrétiennes et musulmanes l’avaient pressé de transmettre les préoccupations de leurs communautés à Narendra Modi. Aux Etats-Unis, des chrétiens américains d’origine indienne avaient lancé une pétition en ligne, exhortant le président américain à demander à Modi de « préserver et de promouvoir la liberté religieuse », les minorités religieuses se sentant menacées par la montée de l’extrémisme hindou en Inde.

Une situation d’intolérance grandissante que dénonçait déjà début janvier John Dayal, également membre du Conseil pour l’Intégration nationale au sein du gouvernement indien, dans un article en hindi publié sur le site de Radio Veritas. Le militant chrétien y mettait en garde la communauté internationale contre le projet « en cours d’exécution » des extrémistes hindous de recréer une « Inde sans les chrétiens ni les musulmans ».

« Aujourd’hui, les minorités se sentent plus menacées et insécurisées que jamais », confirmait le 26 janvier sur le site OnIslam.net, le P. Dominic Emmanuel, directeur de l’Institut pour la communication et le dialogue interreligieux Sadbhavana à New-Delhi. « Obama [a été prié] d’insister auprès du Premier ministre sur le fait que ces derniers temps l’augmentation des attaques par les groupes extrémistes nationalistes hindous mettaient le vie des membres des minorités en grave péril », ajoute-t-il.

L’Indian American Muslim Council (IAMC), groupe de défense des musulmans américains d’origine indienne, a également écrit une lettre au président des Etats-Unis avertissant que depuis l’arrivée au pouvoir du leader du Bharatiya Janata Party (BJP), « plusieurs événements inquiétants » s’étaient produits en Inde et que « des conversions forcées de musulmans et de chrétiens » avaient été orchestrées par des « organisations hindouistes, dont le parti au pouvoir était le représentant politique ».

« Nous vous prions d’exprimer nos préoccupations concernant la détérioration rapide de la situation des chrétiens, des sikhs, des musulmans et des autres minorités en Inde, insistaient encore les auteurs de la lettre. Faire référence à notre sort pendant l’un de vos discours permettrait à la communauté internationale de connaître la réalité de notre situation en Inde. ».

Le P. Emmanuel, qui a appuyé cette lettre, ainsi que la pétition, a ajouté être pour sa part convaincu qu’« aucun pays, que ce soit les Etats-Unis ou l’Inde, ne pouvait s’engager sur la voie du progrès s’il excluait ses minorités ». Une phrase reprise presque mot pour mot par le président américain dans son dernier discours avant de quitter le territoire indien. 

(eda/msb)